lundi 18 février 2019

Cléo de 5 à 7

Après avoir rédigé l'article Planta nuda sur la nudité sacrée, je me suis tourné vers quelque chose qui n'avait a priori rien à voir avec l'imagerie que j'avais décrite. En effet, sur Mubi, je n'avais plus que deux jours pour visionner un film d'Agnès Varda que je n'avais jamais encore jamais vu, Cléo de 5 à 7, considéré comme une de ses plus grandes réussites, un vrai classique de la Nouvelle Vague. Je ne fus pas déçu, je retrouvais la tendresse, la liberté, la joie de vivre qui marquent les films d'Agnès Varda, même si le fond de l'histoire est parfois tragique. Et c'est bien le cas dans ce film, puisque Florence alias Cléo, la jeune femme qui en est le personnage principal, incarnée par la belle chanteuse Corinne Marchand, qui attend des résultats médicaux et craint un cancer, voit au début du film ce pronostic pessimiste confirmé par le tirage d'une cartomancienne. C'est le seul passage en couleur du film, tourné sinon dans un noir et blanc éblouissant. A partir de là, nous allons la suivre, dans sa détresse, à travers Paris, en quasi temps réel, de 5 à 7, jusqu'au moment où elle doit revoir son médecin à l'hôpital de La Pitié-Salpétrière.

Lors du tirage, Cléo devait tirer quatre cartes, dont l'une devait la représenter, en l'occurrence c'était la lame III, L'Impératrice. "Mère des Formes, écrit Robert Grand, de l'Aphrodite grecque, elle va devenir la VENUS latine (...). Le graphisme des lames en conservera la séduisante et un peu froide beauté, sous les traits de l'arcane 3." (L'Univers inconnu du Tarot, Rocher, 1979, p. 175)


Or - cela ne m'avait pas frappé en voyant le film -, je constatai, à partir des copies d'écran que je fis lors d'un second visionnage, que cette iconographie de l'Impératrice était reproduite un peu plus tard, lorsque Cléo, dans son appartement, se pose sur sa balançoire (accessoire déjà curieux pour un intérieur). Sur le mur du fond sont plaquées comme deux ailes d'ange, et l'effet de perspective - Cléo s'encadrant exactement entre les deux ailes - nous fait apparaître les deux montants du trône de l'Impératrice.


Le déshabillé vaporeux qu'elle revêt à ce moment accentue bien sûr l'effet angélique. La blancheur (renforcée par le parquet et les mur blancs) contraste avec la robe noire ajustée de la brune Dominique Davray (qui joue la gouvernante de Cléo, nommée, comme par hasard, Angèle), ainsi qu'avec le chat noir dont on ne peut oublier le funeste présage qu'il induit traditionnellement.

Cléo va rompre avec l'auto-apitoiement auquel elle s'abandonnait dans la première partie du film, et va ressortir en revêtant symboliquement une robe noire. Elle qui n'était qu'égocentrisme va commencer à s'ouvrir aux autres, à les observer, à essayer de les comprendre, ce mouvement culminant avec la rencontre avec Antoine (Antoine Bourseiller),un jeune soldat qui doit repartir en Algérie le soir-même (lui aussi annoncé dans le tirage des tarots par le Bateleur). Mais avant cela, elle va rejoindre une amie, qui pose nue dans un atelier de sculpture (Dorothée Blank). Et c'est à ce moment-là que j'ai commencé à comprendre que le thème même de la nudité que j'avais traité un peu plus tôt se trouvait là dans une résonance inouïe.


Résonance redoublée par la conversation que Cléo mène avec Antoine dans le Parc Montsouris, puis dans le bus qui les conduit vers l'hôpital.



Que la nudité ne soit pas un thème accessoire, j'en trouve par ailleurs confirmation dans l'excellente critique du film par François Giraud sur le site de Dvdclassik
"Dans un entretien pour Positif du mois de mars 1962 (n°44, p.7), Agnès Varda explique que la nudité, thématique centrale de ses films, est « un point de rencontre entre un univers qui est beau formellement et un univers beau moralement. » Il y a toujours une qualité abstraite, et rarement érotique, dans les corps nus filmés par la cinéaste, car elle recherche dans la nudité la possibilité picturale d’exprimer l’idée de beau."

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