Passage hier au Bleu fouillis des mots, où Michel Baggi continue de recueillir ces livres qu'on dit d'occasion. Il y avait bien quelques mois que je n'avais hanté le lieu, et ce n'est certes pas la pénurie d'imprimés, bien au contraire, qui m'en faisait là franchir le seuil. Non, c'est toujours justement l'espoir d'une découverte qui me pousse. Je ne cherchais rien de précis et furetai dans les rayonnages, me décidant finalement (impossible de repartir bredouille) pour un petit Quignard de chez Fata Morgana (Une gêne technique à l'égard des fragments, jamais lu encore) et les Pensées de Francis Blanche illustrées par Cabu (c'est dire mon éclectisme). Et puis, comme nous discutons avec Michel, à son petit bureau-comptoir, j'aperçois sur le côté Les pierres sauvages, de Fernand Pouillon, que j'ai cherché en vain à la Médiathèque voici quelques semaines. Enchantement de cette trouvaille : ce livre, j'avais oublié que je le cherchais, et soudain il apparaît, au moment où je vais partir. Il y a quelque chose de miraculeux dans ce surgissement.
mercredi 23 mai 2007
Les pierres sauvages
lundi 7 mai 2007
Soif du poème
Soif du poème
Appel de la crue
Appel au flot sombre des mots criblés d'ajours
A la boue bouleversant le mol balancé des rives
Au tourbillon tourbeux à la tombe certaine
Que monte la hargne des troncs la clameur des biefs
Qu'elle m'emporte en sa main noire d'aragne bègue
Qu'elle précipite les nuits sur le versant lissé des jours
Qu'elle ébouriffe les toits et ventile les ruelles
Soif du poème
Appel au débord au rut des vocables
Appel aux carex à l'alliance des granits
A la morve orpailleuse qui crie dans les caves
A la madone railleuse qui saigne son lait de sphaigne
Que s'élève le calice ruineux des cimes abattues
Que ploie sous la ténèbre le vol glacé des autours
Que tranchent dans le vif les remugles des douelles
Que se fracassent les refrains sans frein des amours
Soif du poème
Appel à la griffure
Appel à la brisure des écluses
A la nue sanglante de l'éternelle souillure
A la battue des quais chancelant sous les blasphèmes
Que crachent sur le ciel le fumier du nadir
Que s'encre une phrase aux chemins de misère
Qu'elle remue mes os et me scarifie de ses rythmes
Qu'elle m'enlise loin aux sentiers de la buse
Appel de la crue
Appel au flot sombre des mots criblés d'ajours
A la boue bouleversant le mol balancé des rives
Au tourbillon tourbeux à la tombe certaine
Que monte la hargne des troncs la clameur des biefs
Qu'elle m'emporte en sa main noire d'aragne bègue
Qu'elle précipite les nuits sur le versant lissé des jours
Qu'elle ébouriffe les toits et ventile les ruelles
Soif du poème
Appel au débord au rut des vocables
Appel aux carex à l'alliance des granits
A la morve orpailleuse qui crie dans les caves
A la madone railleuse qui saigne son lait de sphaigne
Que s'élève le calice ruineux des cimes abattues
Que ploie sous la ténèbre le vol glacé des autours
Que tranchent dans le vif les remugles des douelles
Que se fracassent les refrains sans frein des amours
Soif du poème
Appel à la griffure
Appel à la brisure des écluses
A la nue sanglante de l'éternelle souillure
A la battue des quais chancelant sous les blasphèmes
Que crachent sur le ciel le fumier du nadir
Que s'encre une phrase aux chemins de misère
Qu'elle remue mes os et me scarifie de ses rythmes
Qu'elle m'enlise loin aux sentiers de la buse
samedi 3 mars 2007
Illuminationen
Plusieurs semaines sans que la figure de l'Ange ne se manifeste : je pensais que l'attracteur étrange s'était replié, lentement rétracté jusqu'au silence complet, comme cela se passe chaque fois. Mais à Limoges, aujourd'hui même, il a opéré un spectaculaire retour.
Nous étions en visite chez un couple d'amis. Vendredi après-midi, dans la ville battue par les pluies, nous avions fait quelques courses et exploré cette excellente librairie de la place de la Motte, page et plume. J'y fis l'acquisition du petit volume d'Hannah Arendt sur Walter Benjamin, aux éditions Allia (j'aime beaucoup cette maison-là, pour la pertinence, l'originalité souvent de ses choix, mais aussi pour l'élégance de sa charte graphique).
Nous avons dormi là-bas, dans un immeuble dominant la gare des Bénédictins, le bureau de notre amie, professeur d'allemand, nous servant de chambre. Ce matin, regardant les rayonnages de sa bibliothèque, je remarquai un ouvrage de Benjamin. Un titre que je ne connaissais pas : Illuminationen. Comme je me reportai au livre d'Arendt, je lus dans le préambule de présentation que Walter Benjamin : 1892-1940, tout d'abord paru en 1968 dans The New Yorker, avait servi d'introduction la même année au recueil d'essais surnommé Illuminations (Harcourt, Brace and World).
Piqué par la curiosité, je sortis alors le livre de son meuble et je l'ouvris très précisément sur la page que mes rudiments d'allemand me permirent d'identifier comme celle-là même de l'Angelus Novus...
Nous étions en visite chez un couple d'amis. Vendredi après-midi, dans la ville battue par les pluies, nous avions fait quelques courses et exploré cette excellente librairie de la place de la Motte, page et plume. J'y fis l'acquisition du petit volume d'Hannah Arendt sur Walter Benjamin, aux éditions Allia (j'aime beaucoup cette maison-là, pour la pertinence, l'originalité souvent de ses choix, mais aussi pour l'élégance de sa charte graphique).
Nous avons dormi là-bas, dans un immeuble dominant la gare des Bénédictins, le bureau de notre amie, professeur d'allemand, nous servant de chambre. Ce matin, regardant les rayonnages de sa bibliothèque, je remarquai un ouvrage de Benjamin. Un titre que je ne connaissais pas : Illuminationen. Comme je me reportai au livre d'Arendt, je lus dans le préambule de présentation que Walter Benjamin : 1892-1940, tout d'abord paru en 1968 dans The New Yorker, avait servi d'introduction la même année au recueil d'essais surnommé Illuminations (Harcourt, Brace and World).
Piqué par la curiosité, je sortis alors le livre de son meuble et je l'ouvris très précisément sur la page que mes rudiments d'allemand me permirent d'identifier comme celle-là même de l'Angelus Novus...
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Walter Benjamin
lundi 19 février 2007
En vallée du Suin
Le causse après les maisons de pierre blanche
la descente aux chemins verts et humides
dans la splendeur tortueuse des chênes
et le parfum premier des violettes
Le Suin au trouble gué des dimanches
la descente aux chemins verts et humides
dans la splendeur tortueuse des chênes
et le parfum premier des violettes
Le Suin au trouble gué des dimanches
mardi 6 février 2007
Les falaises
Je les abordai par le nord.
Je ne savais rien d'elles.
Des rumeurs, certes,
couraient sur leur compte,
dont j'avais retenu
quelques bribes.
Mais les brouillards
qui flottaient
quasiment en permanence
sur ces régions
ne permettaient pas
d'en avoir
le coeur net.
Je ne savais rien d'elles.
Des rumeurs, certes,
couraient sur leur compte,
dont j'avais retenu
quelques bribes.
Mais les brouillards
qui flottaient
quasiment en permanence
sur ces régions
ne permettaient pas
d'en avoir
le coeur net.
samedi 3 février 2007
Pour en finir avec les blogs
Je suis son site perso depuis longtemps, très régulièrement, même si tout ne m'intéresse pas. Il annonce aujourd'hui son départ, son désir de passer à autre chose, et critique longuement cette blogosphère qui l'a déçu et dont il ne donne pas cher de l'avenir. Je parle ici de Jean-Claude Bourdais. J'en parle aussi, par delà l'intérêt de son propos, parce qu'il cite Walter Benjamin :
"Quand je pense que Walter Benjamin avait déjà tout compris sur le fantasme du Progrès et de la technologie et à quoi il conduirait !
Retour à Angelus novus de Paul Klee, image de l'ange déchu pour Walter Benjamin (...)".
Sans doute avait-il trop espéré dans ce nouveau média, trop négligé les anciennes formes de son travail artistique, trop pensé que la solitude allait être jugulée par le réseau alors qu'elle ne l'a rendue que plus éclatante encore. Il se retire comme un amant écœuré d'avoir cru en un amour qu'il sait maintenant impossible. Mais il alerte justement sur les dangers de se recroqueviller sur soi, sur sa machine, au point d'en oublier les proches, les vivants là tout à côté.
Je ne suis pas indemne de ce danger, j'ai essuyé aussi des reproches, souvent justifiés. J'ai passé bien des heures de nuit devant ces pages, dans la fascinante recherche de l'inconnu, et je continuerai certainement, mais je veux aussi échanger de peau à peau, dans la caresse et le baiser, entendre le grain des voix et me frotter à la matière, arpenter toujours les plateaux de théâtre ou de vent et tracer des mots avec l'encre des stylos qui parfois fuient sous vos doigts. Je veux être capable de débrancher, de couper le courant, être capable de me mettre à l'écart, en dehors de l'actualité, intouchable, inaccessible.
Ici, je suis encore seul. Dans l'ouvert. Mais toujours pas pressé de voir surgir le visiteur. La trouille même de l'irruption grossière (il y a eu déjà ces deux commentaires anglo-saxons, sans aucune personnalité, que j'ai supprimé illico). Pourtant je ne veux pas modérer, je cours le risque, confiant aussi (pour une part seulement, car j'ai l' anxiété vissée au corps) dans les itinéraires des anges.
"Quand je pense que Walter Benjamin avait déjà tout compris sur le fantasme du Progrès et de la technologie et à quoi il conduirait !
Retour à Angelus novus de Paul Klee, image de l'ange déchu pour Walter Benjamin (...)".
Sans doute avait-il trop espéré dans ce nouveau média, trop négligé les anciennes formes de son travail artistique, trop pensé que la solitude allait être jugulée par le réseau alors qu'elle ne l'a rendue que plus éclatante encore. Il se retire comme un amant écœuré d'avoir cru en un amour qu'il sait maintenant impossible. Mais il alerte justement sur les dangers de se recroqueviller sur soi, sur sa machine, au point d'en oublier les proches, les vivants là tout à côté.
Je ne suis pas indemne de ce danger, j'ai essuyé aussi des reproches, souvent justifiés. J'ai passé bien des heures de nuit devant ces pages, dans la fascinante recherche de l'inconnu, et je continuerai certainement, mais je veux aussi échanger de peau à peau, dans la caresse et le baiser, entendre le grain des voix et me frotter à la matière, arpenter toujours les plateaux de théâtre ou de vent et tracer des mots avec l'encre des stylos qui parfois fuient sous vos doigts. Je veux être capable de débrancher, de couper le courant, être capable de me mettre à l'écart, en dehors de l'actualité, intouchable, inaccessible.
Ici, je suis encore seul. Dans l'ouvert. Mais toujours pas pressé de voir surgir le visiteur. La trouille même de l'irruption grossière (il y a eu déjà ces deux commentaires anglo-saxons, sans aucune personnalité, que j'ai supprimé illico). Pourtant je ne veux pas modérer, je cours le risque, confiant aussi (pour une part seulement, car j'ai l' anxiété vissée au corps) dans les itinéraires des anges.
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Jean-Claude Bourdais,
Paul Klee,
Walter Benjamin
jeudi 1 février 2007
La langue ne ment pas
Vu La langue ne ment pas le documentaire exceptionnel de Stan Neumann sur Victor Klemperer.
mercredi 31 janvier 2007
Mes huit ans et demi de jeunesse
D'Aigurande, où la neige avait enseveli les jardins, j'ai rapporté les Mémoires de guerre et de captivité de Jean M., le voisin de mes parents. Intitulés Mes huit ans et demi de jeunesse.
En ai commencé le soir-même la lecture.
En ai commencé le soir-même la lecture.
samedi 27 janvier 2007
Dans la terre poursuivie de l'attente
Dans la terre poursuivie de l'attente,
La glaise indécise sous le lit du ciel,
Je dois retracer le chemin
Avec l'orvet comme unique mesure.
Le soleil s'est couché au dos des étangs ;
Un foulque, un instant, a piétiné l'ombre :
Il était temps pour nos yeux de partir,
Partir avant l'arrivée sombre du sang.
La glaise indécise sous le lit du ciel,
Je dois retracer le chemin
Avec l'orvet comme unique mesure.
Le soleil s'est couché au dos des étangs ;
Un foulque, un instant, a piétiné l'ombre :
Il était temps pour nos yeux de partir,
Partir avant l'arrivée sombre du sang.
lundi 22 janvier 2007
Femme fractale
Torse insoumis
qui se déplie
s'étend
se laisse
s'affale
se nappe
dans la masse
creuse dans la nasse
se dresse dans l'axe
où l'ombre striée
d'un store
s'enlace
ocres mêlées
à l'empan
d'une aurore
qui se déplie
s'étend
se laisse
s'affale
se nappe
dans la masse
creuse dans la nasse
se dresse dans l'axe
où l'ombre striée
d'un store
s'enlace
ocres mêlées
à l'empan
d'une aurore
jeudi 18 janvier 2007
Le Guetteur de rêves
Exaltante lecture que celle de l'essai de Stéphane Mosès. Sans l'Angelus Novus de la couverture, je serais passé à côté. Dans l'analyse qui y est développée des conceptions de l'histoire de Rosenzweig, Benjamin et Scholem, j'entrevois des rapports étroits avec mes intuitions déjà anciennes. Cette idée d'un temps ouvert à l'irruption du nouveau, d'un temps discontinu non complètement régi par les lois de causalité rejoint la figure de l'Archéo-réseau avec ses émergences dans l'actuel.
Mosès évoque le tableau de Klee à la suite d'une réflexion de Benjamin sur le nom de la personne :
"A chaque homme son nom garantit sa création par Dieu, et en ce sens il est lui-même créateur, comme l'exprime la sagesse mythologique dans l'intuition (qui n'a d'ailleurs rien de rare) selon laquelle le nom d'un homme est son destin." Forme vide sans contenu sémantique défini, le nom préexiste à l'homme, mais celui-ci engendre, à partir de cette pure structure, une infinité de significations nouvelles. D'où, dans un texte pseudo-autobiographique rédigé en 1933, la fiction d'un "nom secret" que ses parents lui auraient donné à la naissance, et qui, depuis lors, gouvernerait sa vie. Ce nom, Agelisus Santander, que Gershom Scholem a déchiffré comme une anagramme de "Angelus Satanas", renvoie à l'aquarelle de Paul Klee intitulée Angelus Novus, que Benjamin avait acquise en 1921 et qui deviendra pour lui la figure emblématique de son propre destin. Les deux métaphores de l'ange et du nom se font ici écho comme deux représentations de la manifestation, ou plutôt de l'irruption, de l'originel au coeur du présent. "Dans la chambre que j'habitais à Berlin, écrit Benjamin, cet autre nom [...] avait son portrait accroché à mon mur : Ange nouveau." Mais cet ange symbolise aussi l'intuition centrale de la philosophie de l'histoire de Benjamin : "La Kabbale, ajoute-t-il, raconte que Dieu crée à chaque seconde une foule d'anges nouveaux, et que chacun d'eux n'a qu'une seule et unique fonction : chanter un instant la louange de Dieu avant de se dissoudre dans le néant. Ce fut comme si l'un d'entre eux que l'Ange nouveau se présenta à moi, avant de consentir à me révéler mon nom." Le sens de l'Histoire ne se dévoile pas, pour Benjamin, dans le processus de son évolution, mais dans les ruptures de sa continuité apparente, dans ses failles et ses accidents, là où le soudain surgissement de l'imprévisible vient en interrompre le cours et révèle ainsi, en un éclair, un fragment de vérité originelle. Au cœur du présent, l'expérience la plus radicalement nouvelle nous transporte ainsi, en même temps, jusque vers l'origine la plus immémoriale. expérience fulgurante où le temps se désintègre et s'accomplit à la fois. "Ce que l'Ange veut, c'est le bonheur : tension où s'opposent l'extase de l'unique du nouveau, de ce qui n'avait jamais été connu, et cette autre félicité, celle du recommencement, des retrouvailles, du déjà vécu." Cette rupture unique du tissu temporel se vit à la fois comme une anamnèse, comme une reconnaissance des harmoniques originelles du langage, et comme l'expérience vertigineuse d'un amour auratique : "C'est pourquoi la seule nouveauté que [l'Ange] puisse espérer passe par le chemin de retour, lorsqu'il entraîne de nouveau un être humain avec lui. Ainsi pour moi : à peine t'avais-je vue pour la première fois que je retournai avec toi vers le lieu d'où j'étais venu." (pp. 163-164)
Et aujourd'hui, nouvelle "harmonique" au poème déposé ici lundi dernier, je lis, dans une annonce de l'IMEC autour du livre de Jean-Michel Palmier sur Benjamin (livre inachevé que j'ai maintenant grande envie de découvrir), que le penseur est désigné comme le "Guetteur de rêves" (après recherche, ce nom proviendrait d'un livre de Miguel Abensour).
Mosès évoque le tableau de Klee à la suite d'une réflexion de Benjamin sur le nom de la personne :
"A chaque homme son nom garantit sa création par Dieu, et en ce sens il est lui-même créateur, comme l'exprime la sagesse mythologique dans l'intuition (qui n'a d'ailleurs rien de rare) selon laquelle le nom d'un homme est son destin." Forme vide sans contenu sémantique défini, le nom préexiste à l'homme, mais celui-ci engendre, à partir de cette pure structure, une infinité de significations nouvelles. D'où, dans un texte pseudo-autobiographique rédigé en 1933, la fiction d'un "nom secret" que ses parents lui auraient donné à la naissance, et qui, depuis lors, gouvernerait sa vie. Ce nom, Agelisus Santander, que Gershom Scholem a déchiffré comme une anagramme de "Angelus Satanas", renvoie à l'aquarelle de Paul Klee intitulée Angelus Novus, que Benjamin avait acquise en 1921 et qui deviendra pour lui la figure emblématique de son propre destin. Les deux métaphores de l'ange et du nom se font ici écho comme deux représentations de la manifestation, ou plutôt de l'irruption, de l'originel au coeur du présent. "Dans la chambre que j'habitais à Berlin, écrit Benjamin, cet autre nom [...] avait son portrait accroché à mon mur : Ange nouveau." Mais cet ange symbolise aussi l'intuition centrale de la philosophie de l'histoire de Benjamin : "La Kabbale, ajoute-t-il, raconte que Dieu crée à chaque seconde une foule d'anges nouveaux, et que chacun d'eux n'a qu'une seule et unique fonction : chanter un instant la louange de Dieu avant de se dissoudre dans le néant. Ce fut comme si l'un d'entre eux que l'Ange nouveau se présenta à moi, avant de consentir à me révéler mon nom." Le sens de l'Histoire ne se dévoile pas, pour Benjamin, dans le processus de son évolution, mais dans les ruptures de sa continuité apparente, dans ses failles et ses accidents, là où le soudain surgissement de l'imprévisible vient en interrompre le cours et révèle ainsi, en un éclair, un fragment de vérité originelle. Au cœur du présent, l'expérience la plus radicalement nouvelle nous transporte ainsi, en même temps, jusque vers l'origine la plus immémoriale. expérience fulgurante où le temps se désintègre et s'accomplit à la fois. "Ce que l'Ange veut, c'est le bonheur : tension où s'opposent l'extase de l'unique du nouveau, de ce qui n'avait jamais été connu, et cette autre félicité, celle du recommencement, des retrouvailles, du déjà vécu." Cette rupture unique du tissu temporel se vit à la fois comme une anamnèse, comme une reconnaissance des harmoniques originelles du langage, et comme l'expérience vertigineuse d'un amour auratique : "C'est pourquoi la seule nouveauté que [l'Ange] puisse espérer passe par le chemin de retour, lorsqu'il entraîne de nouveau un être humain avec lui. Ainsi pour moi : à peine t'avais-je vue pour la première fois que je retournai avec toi vers le lieu d'où j'étais venu." (pp. 163-164)
Et aujourd'hui, nouvelle "harmonique" au poème déposé ici lundi dernier, je lis, dans une annonce de l'IMEC autour du livre de Jean-Michel Palmier sur Benjamin (livre inachevé que j'ai maintenant grande envie de découvrir), que le penseur est désigné comme le "Guetteur de rêves" (après recherche, ce nom proviendrait d'un livre de Miguel Abensour).
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lundi 15 janvier 2007
Rapport d'un guetteur
Sommeil bradé à l'étal des songes
Solitaire sur l'aile de l'instant
Mes yeux s'épuisent à fouiller l'ombre
Sur l'ardoise éclatée des rêves
J'inscris les mouvements du silence
L'affleurement fugace d'une lèvre
Tout ce qui vint en ce royaume
Chat de gouttière éventrant la nuit
Poulpe noir réfracté dans la paume
Solitaire sur l'aile de l'instant
Mes yeux s'épuisent à fouiller l'ombre
Sur l'ardoise éclatée des rêves
J'inscris les mouvements du silence
L'affleurement fugace d'une lèvre
Tout ce qui vint en ce royaume
Chat de gouttière éventrant la nuit
Poulpe noir réfracté dans la paume
jeudi 11 janvier 2007
L'Ange de l'Histoire
samedi 6 janvier 2007
Perdu le paradis
C'est le titre du dernier livre, emprunté à la médiathèque, de Cees Nooteboom, un écrivain néerlandais que je lisais pour la première fois, après avoir longtemps tourné autour. Un court roman qui lui aussi s'inscrit nettement dans la constellation symbolique apparue après la lecture des Souris et des Hommes.
Ça commence dès la citation liminaire de Walter Benjamin, qui s'articule autour du tableau de Paul Klee intitulé Angelus Novus (1920). Texte que j'ai retrouvé sur Remue.net.
En poursuivant la recherche, j'apprends par le blog Lunettes rouges que Benjamin avait acheté ce tableau en 1921. Quand il quitta Paris en 1940, il laissa "deux valises de documents, dont ce tableau, à Georges Bataille, qui les cacha à la Bibliothèque Nationale pendant la guerre, puis les remit au philosophe et musicien Theodor Adorno, lequel les transmit à l’héritier de Benjamin, le philosophe juif Gershom Scholem à Jérusalem (le tableau est actuellement dans un musée de Jérusalem)."
Avec ce tableau resurgit donc la traque, la mort, l'extermination. Alma et Almut, les deux jeunes brésiliennes dont le livre de Nooteboom conte l'histoire, ont des grands-pères allemands, venus au Brésil après la guerre et qui ne veulent pas parler de leur passé : "Ils ne veulent jamais parler de la guerre, et nos pères ne veulent jamais parler de leurs pères. (p.28) " Voilà, c'est tout, l'auteur n'insiste pas, on a compris.
Alma est une accro des anges, elle raffole des Annonciations. Si Almut parle avec dérision de sa volière, elle partage néanmoins avec elle une égale fascination pour l'Australie, leur secret, et la culture aborigène : "Les hommes-foudre, le serpent arc-en-ciel et tous ces autres êtres à forme humaine ou non, qui avaient traversé le chaos du monde avant sa formation, avaient ainsi créé toutes choses et appris aux hommes comment se comporter avec l'univers. Dans ce temps du rêve, les ancêtres mythiques avaient jeté sur le monde les mailles d'un filet de "rêvements". Tantôt ces ancêtres étaient attachés aux habitants d'un lieu déterminé, tantôt ils parcouraient le désert sur de longues distances, si bien que les gens de diverses régions, même lorsqu'ils parlaient des langues différentes, étaient unis les uns aux autres par un même"rêvement". Et tout cela se voyait à travers le territoire, partout les esprits et les ancêtres avaient laissé leurs traces sous la forme de pierres, d'étangs, de formations rocheuses, qui permettraient aux générations suivantes de lire les récites et de remonter ainsi le cours de leur propre histoire. Et ce n'était pas tout. Non seulement les forces toujours vives de ces êtres ancestraux restaient visibles et identifiables dans le paysage, mais les hommes eux-mêmes avaient leurs propres "rêvements", qui les reliaient aux êtres ancestraux. Et tout cela s'exprimait à travers ce qu'on appelait aujourd'hui l'art, votre identité spirituelle, votre totem, caractérisé par un phénomène naturel ou un animal, par des chants que personne d'autre ne pouvait chanter, par des danses, des signes secrets, une cosmogonie qui n'avait jamais été écrite mais où tout, littéralement, avait sa place, une place où vous-même ou votre groupe reviendriez perpétuellement, un monde sans langue écrite, une encyclopédie sans fin de signes qu'au bout de dix mile ans vous lisiez encore à livre ouvert et où vous aviez votre place. (pp. 42-43)"
Pierres, étangs, sources, bois étaient aussi pour les Celtes porteurs de sacré. Ce filet de "rêvements" qu'évoque Nooteboom est une autre géographie sacrée. Le souvenir me revient bien sûr du livre de Bruce Chatwin, Le Chant des pistes, que j'avais abondamment annoté il y a quelques années. Il écrivait alors qu'il avait "le sentiment que les itinéraires chantés ne se limitaient pas à l’Australie, mais constituaient un phénomène universel, le moyen par lequel les hommes marquaient leur territoire.»
Alma et Almut ne peuvent que se résigner à demeurer à la périphérie de cet art aborigène, à admirer sans réellement comprendre. Malgré tout, Alma connaît une manière d'extase, lors de la semaine qu'elle passe avec un peintre aborigène "aussi inaccessible que son art" :
"Pour la première fois, j'ai compris ce qu'on appelait au Moyen Age, l'harmonie des sphères. Je suis dehors et non seulement je vois les étoiles, mais je les entends.
Qui donc a banni du monde l'idée des anges alors que je continue à les sentir autour de moi ? Mon mémoire de fin d'études portait sur les représentations d'anges musiciens, Jérôme Bosch, Matteo di Giovanni, mais avant tout sur une miniature d'un manuscrit enluminé du XIVe siècle.
On y voit saint Denis à son pupitre, écrivant son livre sur la hiérarchie des anges qui, suspendus au-dessus de lui selon neuf cercles concentriques, tiennent leurs instruments médiévaux. Survolant sa tête mitrée, ils vont à la rencontre les uns des autres avec leurs instruments à cordes ou à vent, leurs psaltérions et leurs tambourins, leur orgue et leurs cymbales. Ici, couchée dans le désert, je les entends, incroyable jubilation dans le silence. Anges, lézard du désert, serpent arc-en-ciel, les héros de la création, tout concorde. Je suis arrivée à destination. Et quand je repartirai, je n'aurai rien à emporter, j'ai déjà tout en moi." (p. 53, c'est moi qui souligne)
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mardi 2 janvier 2007
Comme à Barcelone
Comme à Barcelone, il y a quelques mois, la fièvre soudaine, le corps rompu. Quarante-huit heures de malaise. Toujours dans les temps de vacances (jamais malade pendant le travail), comme si le corps exigeait le grand relâchement.
Comme à Barcelone, l'impossibilité de trouver le bon sommeil réparateur : à la place, les délires abstraits, paralogiques, les débats dont je suis incapable au réveil de me restituer le contenu, la trame. Aucune image psychédélique, aucune vision colorée, hallucinatoire, la seule ivresse des arguments tournant à vide, des idées s'entrechoquant jusqu'au vertige et l'épuisement.
Comme à Barcelone, juste avant la fête prévue, là-bas sur les Ramblas, à l'occasion d'une demi-finale ou finale, je ne sais plus, de Coupe d'Europe, hier, à Poitiers, pour le réveillon, où j'ai zombifié plus que fêté dans la grande maison trop froide pour moi. Comme si je devais m'extraire de la joie des vivants.
Comme à Barcelone, l'impossibilité de trouver le bon sommeil réparateur : à la place, les délires abstraits, paralogiques, les débats dont je suis incapable au réveil de me restituer le contenu, la trame. Aucune image psychédélique, aucune vision colorée, hallucinatoire, la seule ivresse des arguments tournant à vide, des idées s'entrechoquant jusqu'au vertige et l'épuisement.
Comme à Barcelone, juste avant la fête prévue, là-bas sur les Ramblas, à l'occasion d'une demi-finale ou finale, je ne sais plus, de Coupe d'Europe, hier, à Poitiers, pour le réveillon, où j'ai zombifié plus que fêté dans la grande maison trop froide pour moi. Comme si je devais m'extraire de la joie des vivants.
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