mercredi 27 mai 2020

Le Masque de la Mort Rouge

"La chambre aux manteaux, disait Willi, est aussi le lieu où la Mort Rouge finit par attraper le prince rendu fou par les brumes d'une maladie qui commence à le couvrir de la légère asphyxie d'un linceul.
Pendant ses derniers mois d'existence, Willi l'arrêtait pas de parler de la Mort Rouge. La Mort-Rouge par-ci, la Mort Rouge par-là. "Les rêves sont glacés, paralysés dans leurs postures...", récitait Willi en prenant une voix de circonstance pour me raconter l'histoire du château aux sept salons."

Rodrigo Fresán, La Vitesse des choses, Passage du nord-ouest, 2008, p. 116.

Le 10 avril dernier, au vingt-sixième jour du confinement, je lus l'article de Juan Asensio, sur son site Stalker, consacré au Masque de la Mort Rouge (The Masque of the Red Death), une courte nouvelle d'Edgar Allan Poe que je découvris à cette occasion. Publiée en 1842 et traduite par Baudelaire en 1845, "elle  représente, selon Asensio, une espèce de singularité nue, soit un objet littéraire pour le moins fascinante puisqu'il s'agirait, comme c'est le cas de ce que l'on appelait jadis un astre occlus, d'une entité exotique qui serait débarrassé de l'horizon des événements censé nous le cacher."Un extrait qu'il cita me permit d'épingler au passage un nouveau vertige. Mais l'essentiel est ailleurs bien sûr. Il faut reprendre le fil de la méditation stalkérienne :
"Comme tous les textes à valeur iconique, Le masque de la Mort Rouge vaut pour tous les temps et tous les pays mais, singulièrement, pour le nôtre et, plus précisément encore, pour la situation que nous vivons à la date à laquelle j'écris, le 10 avril 2020. Je crois en effet que l'une des meilleures façons de lire cette très sombre nouvelle, à vrai dire tellement sombre qu'elle n'offre nulle possibilité de salut et aucune échappatoire d'aucune sorte, vu que la situation qu'elle décrit est non seulement singulière mais rigoureusement impossible puisque, en toute logique, le narrateur lui-même aurait dû être emporté par la pandémie qui n'est qu'une figure de la dissolution, de l'empire des Ténèbres et de la Ruine qui «établirent sur toutes choses leur empire illimité», l'une des meilleures façons de la lire disais-je est donc de faire remarquer que le mal ne vient pas de l'extérieur de l'abbaye fortifiée dans laquelle le prince Prospero s'enferme avec «un millier d'amis vigoureux et allègres de cœur, choisis parmi les chevaliers et les dames de sa cour», mais qu'il est bel et bien déjà présent parmi les convives se croyant à l'abri de la dévastation, de la peste laquelle, comme un lion, cherche qui dévorer et dévore tout et, même, dissout tout."
Relisant cette dernière phrase, je suis frappé par sa similarité avec la phrase d'ouverture du chapitre X du Hussard sur le toit, de Jean Giono, que je parcours ces dernières semaines, phrase que j'ai lue hier seulement, ce pourquoi elle bondit encore fraîche dans ma mémoire. La voici : "Maintenant, le choléra marchait comme un lion à travers villes et bois." 


Cet écho succède à un autre, qui résonna à mes oreilles quatre jours plus tard, à la lecture de l'effrayant opus fresanien, La Vitesse des choses, dans l'extrait mis ici en exergue. Poe n'y est jamais cité et je ne suis donc pas certain que j'aurais saisi la référence si je n'avais rencontré l'article d'Asensio auparavant. Mais c'est ainsi que passe le train des résonances : un texte jamais lu s'impose à vous par deux fois en une semaine.

La Mort Rouge prend place dans la nouvelle de Fresán qui se nomme "Signaux captés au coeur d'une fête".  Fête qui se trouve au coeur de la nouvelle de Poe, le mot étant même donné en français dans la phrase suivante : "He had directed, in great part, the moveable embellishments of the seven chambers, upon occasion of this great fete; and it was his own guiding taste which had given character to the masqueraders."* Fête dont le sens ne cesse d'être interrogé tout au long de la nouvelle de Fresán, si bien que j'avais relevé cette affirmation quelques pages avant l'émergence de la Mort Rouge :
"Les fêtes - sans doute est-ce là leur véritable utilité, leur miracle intime - mettent en valeur  le fleuve souterrain  qui coule, obscur et muet, sous la duperie de la surface et l'illusion optique de l'horizon." (p. 103)
Et j'avais écrit au crayon, dans la marge, Virilio. J'étais alors en pleine lecture de L'horizon négatif, un essai du philosophe, datant de 1984, prêté par Nunki Bartt, et dont j'avais recopié le 13 avril la phrase suivante : "Surfaces adverses, miroir des conquérants, les étendues désertiques ont attiré des générations de prospecteurs, chercheurs de vestiges, de richesses enfouies ; derniers du genre, les coureurs chercheurs de vertige, de vitesse ultime." Phrase qui, bien évidemment, avait été inscrite à l'inventaire des vertiges.** Et il n'est pas jusqu'à l'horizon qui n'apparaisse sur la même page 201, reprenant le titre même de l'essai :
"On pouvait s'étonner au cours des années trente, de voir un pilote du Royal Flying Corps, Malcolm Campbell, abandonner l'aventure aérienne pour s'enrôler dans la course aux records terrestres et n'utiliser l'avion que pour survoler les continents européen et africain, à la recherche de zones dromogènes propices à la précipitation, plateaux désertiques, cimetières minéraux, où les tentatives de vitesse ne seraient plus dépendantes du vent et des marées, comme celles précédemment effectuées sur les sables durcis de Pendine ou de Ninety Miles Beach... de même, on pourrait aujourd'hui s'interroger sur l'attrait renouvelé de l'horizon négatif."
Malcolm Campbell sur Campbell Rolls-Royce Railton 'Blue Bird' en août 1935, peu avant son départ pour Daytona Beach.
Blue Bird, l'oiseau bleu... Me revient en mémoire cet éclat bleu métallique alors que, ce même jour, muni d'une attestation dérogatoire de déplacement, je passai le pont de Déols pour rejoindre Nunki Bartt. Le temps de tourner la tête, je le vis encore brièvement, l'oiseau magiquement apparu qui, d'un battement d'ailes, se fondit dans les frondaisons des arbres qui bordaient la rivière. Martin-pêcheur, pensai-je aussitôt, et je ne peux m'empêcher aujourd'hui, à l'instant où j'écris, de rouvrir le beau roman de Bernard Chambaz, Dernières nouvelles du martin-pêcheur*** (Flammarion, 2014), où au chapitre 1, daté 11 juillet 2011, et à la page 11 très précisément, on peut lire :
" Soudain, il apparaît entre les pins.
Il vole droit, au ras de l'eau. Son plumage a des reflets ardoise. D'habitude, on reconnaît le martin-pêcheur au bleu soutenu de ses ailes qui ont le brillant de l'émail et le lustre de la soie. [...]
Après cinq minutes du même manège, notre petit martin-pêcheur s'en va.
Un instant, je crois voir le visage de Martin, ses yeux en amande, le dessin de ses sourcils, son sourire. Il m'est déjà arrivé de le revoir, en rêve, mais je sais qu'en ce moment je ne rêve pas. Il m'est aussi arrivé de le revoir en fermant les yeux, mais là c'est différent : il est devant moi, il agite les bras, il sourit, il se pose tout en haut d'une branche du pin qui surplombe le plan d'eau, il va plonger, il sourit, à contre-jour il disparaît.
J'ai beau savoir que je suis sur une terre de mirages et de merveilles avec ses pluviers siffleurs et ses baleines à bosse, je n'en reviens pas.
Anne pose sa main sur mon avant-bras. Sa montre indique 13 h 45. En raison du décalage horaire, c'est exactement l'heure où l'accident a eu lieu, à la 19è heure du jour, il y a 19 ans jour pour jour, sur une route unclassified, quand la voiture a fini sa course contre une haie d'aubépines après deux ou trois tonneaux."
Et cet accident, qui causa la mort de Martin Chambaz, 16 ans, est en écho avec les nombreux accidents qui jalonnèrent la quête de la vitesse record tout au long du XXème siècle, ainsi le propre fils de Malcolm Campbell, Donald, après avoir battu  huit records du monde de vitesse sur l'eau et sur terre, trouve la mort le 4 janvier 1967 sur le lac Coniston, aux commandes de son Bluebird K7. Le groupe Marillion en fit une chanson, Out of this world :

 
Et c'est en revenant de la petite balade baxtérienne, juste avant de repasser le pont de l'Indre, que je photographiai le gingko biloba que Bartt m'avait déjà signalé, avec le monolithe triangulaire du Lion's club en avant-plan, mais sous un angle de vue différent, ce fut le clocher de l'abbaye de Déols  qui apparut à l'horizon.


Clocher qui est l'unique vestige de l'abbaye soeur de Cluny, ravagée tout d'abord par les huguenots au cours des guerres de Religion puis sécularisée en 1622 par Henri II de Condé, père du Grand Condé. Engagée dès cette époque, la démolition de l'édifice fut poursuivie jusqu'au milieu 19ème.
Alors, au terme provisoire de ce parcours, comment ne pas voir dans le triangle sommital de ce clocher seul échappé à la ruine la réplique du monolithe lionsclubien (le Christ du tympan de Déols, dont quelques fragments ont été conservés, repose sur un socle porté par deux animaux, un lion et un dragon) ? Et, plus largement, ce vestige comme la résonance de l'abbaye fortifiée du prince Prospero, où se déroule la nouvelle de la Mort Rouge ? Qui finit par ces mots : "Et la vie de l'horloge d'ébène disparut avec celle du dernier de ces êtres joyeux. Et les flammes des trépieds expirèrent. Et les Ténèbres et la Ruine, et la Mort Rouge établirent sur toutes choses leur empire illimité."

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* "Il avait, à l'occasion de cette grande fête, présidé en grande partie à la décoration mobilière des sept salons, et c'était son goût personnel qui avait commandé le style des travestissements." 

** D'autant plus qu'elle associait le vestige au vertige. Un jeu de mots paronymes sur lequel j'ai glosé dans le petit texte sur les vertiges de la revue Torticolis.

*** Roman qui a déjà fait l'objet d'un article en août 2014.

lundi 25 mai 2020

Le G.I. et la golfeuse

J'avais une autre raison de consacrer un article à Gilles Caron. En janvier 2017, au début du projet Heptalmanach, j'avais réuni quelques notes au sujet du photographe, dont le parcours fulgurant faisait écho aussi bien à la théorie des 313 articles que j'avais décidé d'écrire cette année-là, qu'à la fiction en 52 épisodes qui tournait autour de l'année 1967. Deux des personnages de l'histoire étaient directement reliés au Vietnam, où la guerre faisait rage entre le corps expéditionnaire américain et le Viet-Cong. Or, Gilles Caron s'était rendu dans le pays en novembre-décembre 1967.

Mais cet article, je ne l'ai jamais écrit, requis par d'autres lignes de sens, d'autres pistes suscitées par l'Attracteur étrange.
Au départ de mes quelques notes, il y avait tout d'abord cette mention d'une vidéo du journal Mediapart, visionnée le 30 décembre 2016, le lendemain de sa mise en ligne : Images et gestes du soulèvement, entretien avec Georges Didi-Huberman, alors  commissaire de l'exposition Soulèvements au Musée du Jeu de paume.


A 24 :10, l'historien évoque Gilles Caron, en affirmant qu'il était l'un des grands photographes des soulèvements, et qu'il avait en particulier "magnifiquement photographié les révoltes populaires, les soulèvements paysans en 1967." Puis il commente la photo* de Caron qui est aussi la première de couverture du catalogue d'exposition.

Gilles Caron, Manifestants catholiques, Bataille du Bogside, Derry, Irlande du Nord, août 1969.
Épreuve gélatino-argentique, tirage moderne, 40 x 30 cm, Fondation Gilles Caron
Didi-Huberman  insiste sur la dimension gestuelle de l'exposition : il est question de montrer des corps qui, très concrètement, se soulèvent, et donc, malgré la violence qui affleure, on est frappé aussi, dit-il, par la grâce de ces garçons qui jettent des pierres sur la police : "On dirait qu'ils dansent." C'est alors que Joseph Confavreux propose : "ou qu'ils font du golf." Et c'est là un passage crucial de l'entretien, car G.D.H. avoue ne pas y avoir pensé, mais la remarque lui paraît "très intéressante" et il ajoute : "Parlons du golf". Et il évoque alors le grand historien d'art sur lequel il a beaucoup travaillé, Aby Warburg, grand collectionneur d'images et adepte de montages pour son Atlas Mnémosyne, qui, à côté de choses horribles, montre tout à coup une golfeuse.

Mnemosyne Atlas 77.5 Photograph of the golf champion EriKa Sell-Schopp, from “Frau und Gegenwart”
Plus précisément, Warburg aurait montré cette golfeuse en association avec une iconographie des Ménades mettant Orphée en pièces**, révélant là ce qu'il nomme une survivance (Nachleben), quelque chose qui survit souvent à travers un jeu. "Le geste même du golfeur, explique G.D.H., est la survivance d'un geste d'une extrême violence."

Or, dernière note sur le cahier bleu où j'ébauchais les articles du projet 2017, je signalais que juste avant la vidéo de Médiapart, j'avais regardé Témoin muet, troisième épisode des Petits meurtres d'Agatha Christie : la bonne y était tuée à coups de club de golf.


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* Photo également commentée, par Benjamin Bardinet, sur le site toujours actif de l'exposition :
"Connu pour ses photoreportages de guerre, fasciné par les actes libérateurs et la figure de l’insurgé, le photographe Gilles Caron porte tout au long des années 1960 un intérêt pour les conflits sociaux qui marquent son époque. Le premier qu’il est amené à couvrir est une révolte paysanne qui a lieu à Redon en 1967. Soucieux de produire une image qui lui apparaisse comme une traduction formelle de la colère de ces paysans, [Il y a ici une légère erreur, B.B. confond les deux événements : il ne s'agit évidemment pas sur la photo de paysans, mais bien de manifestants catholiques irlandais.] il saisit le geste d’un manifestant envoyant un projectile en direction des forces de l’ordre. Photogénique, ce geste suspendu donne aux insurrections une dimension chorégraphique et témoigne de la violence des revendications sociales qui animent les manifestants. La « figure du lanceur » réapparaît ensuite à l’occasion des événements de mai 1968 puis des conflits qui ont lieu en Irlande du Nord en 1969. Cet archétype s’inscrit dans la tradition de la représentation de David contre Goliath : le symbole de la puissance portée par la foi de celui que l’on pense faible face à la force brute. (...)"

** Encore une fois, je dois relever une petite erreur : j'ai retrouvé sur le site allemand Peter Matussek les planches de l'Atlas Mnemosyne de Warburg. Or, sur la planche 77, ce ne sont pas les Ménades qui sont représentées à côté de la golfeuse, il s'agit bien d'un "massacre", mot employé par G.D.H., mais c'est celui peint par Delacroix en 1824 : Scènes des massacres de Scio. Rappelant  les massacres perpétrés à Chios en par les Ottomans lors de la guerre d'indépendance grecque.



Un détail du tableau figure juste en dessous, Madre morta con bambino (pour reprendre le titre du site italien engramma, où nous pouvons voir aussi des reproductions de l'atlas), copie conservée à La Nationalgalerie de Prague.




Delacroix - Massacre de Scio (détail)
On se demande ce que Warburg avait en tête avec cette nouvelle association d'images. En tout cas, s'il m'était permis de prolonger le geste warburgien, j'ajouterai au moins l'une des peintures de Clotilde Vautier, la mère de Mariana Otero, qui lui valurent en 1967 la deuxième place au concours de la Casa de Velazquez, "avec des appréciations très élogieuses du jury", est-il précisé sur le site Awarewomenartists.

Clotilde Vautier, Tricoteuse endormie, 1967, huile sur toile, 73 x 92 cm,

mardi 19 mai 2020

Histoire d'un regard

Déconfinement, oui, mais certains espaces demeurent interdits : bars, restaurants, théâtres, cinémas, tous ces lieux de rencontre et de culture restent obstinément fermés au public. Nous ne savons pas encore, ici à Châteauroux, quand nous pourrons retourner à l'Apollo, cette grande salle de cinéma qui sera bientôt centenaire, puisqu'elle fut inaugurée le 11 septembre 1920, inauguration qui avait été retardée par la mobilisation de son propriétaire, Maurice Brimbal. On y donnait encore des pièces de théâtre, des concerts, des conférences et des spectacles de music-hall. Des aménagements en 1938 réduisirent la capacité de la salle, qui passa de 1000 à 500 places. Cinq cents places... bien rarement  occupées en totalité : la politique Art et Essai de l'actuel Apollo ne déplace pas les foules, on s'en doute, et les séances se déroulent souvent avec un public clairsemé (je me souviens d'un Bouli Lanners dont je fus l'unique spectateur, installé comme un nabab dans sa salle privée, au beau milieu des sièges vides - je crois même que le projectionniste, après avoir lancé le film, s'était carapaté). Alors bien sûr on déplore une sorte d'absurdité : la distanciation sociale, quoi de plus simple dans de telles conditions ? Il y aurait moins de danger à se taper un cinoche qu'aller à Auchan chercher de la bidoche.

Puisqu'on ne peut aller à l'Apollo, l'Apollo vient (un peu) à nous, en nous proposant des films via le site La Toile. C'est ainsi que nous avons vu dimanche soir Histoire d'un regard, de Mariana Otero. Pour être précis, je l'avais déjà vu en salle, mais ce documentaire est tellement fort que je l'ai revu avec plaisir. Allez, bande annonce :


A l'origine de ce film, il y a un livre offert à la réalisatrice par un ami, un livre sur l’œuvre du photographe reporter Gilles Caron (1939-1970), où elle retrouve des photos publiées dans la presse qui ont marqué sa mémoire. L'homme a disparu au Cambodge, en même temps que le reporter Guy Hannoteaux et le coopérant Michel Visot, sur la route n°1, après avoir traversé le Mékong sur un bac, sans doute enlevé par les Khmers rouges, mais rien n'a jamais pu être élucidé. Il avait trente ans.

Or, c’était précisément l’âge de Clotilde Vautier*, la mère de Mariana Otero, artiste peintre, quand elle succomba aux suites d'un avortement clandestin. Evénement qui fit l'objet d'un premier documentaire, Histoire d'un secret, seize ans plus tôt, en 2003.

Et puis, sur le dernier rouleau de pellicule impressionné par Caron, planche-contact 19599, juste avant les premières images du Cambodge, voici Marjolaine et Clémentine, ses deux petites filles, en bonnet dans un jardin d'hiver. Écho troublant pour Mariana, car Clotilde Vautier a dessiné, peu avant sa mort, un portrait d’elle, coiffée d'un bonnet, aux côtés de sa sœur Isabel. Deux petites filles qui n'auront, elles aussi, "pour trêve de l'absence, qu'une multitude d'images à tenter de déchiffrer."

Marjolaine et Clémentine Caron

Isabel et Mariana Otero

 

Autre résonance troublante, personnelle celle-ci : le jour-même où j'ai revu Histoire d'un regard, je m'étais rendu à Aigurande, chez mes parents, en même temps que ma fille Pauline et son ami Romain qui, eux, venaient de Poitiers (flirtant avec la limite des cent kilomètres). Or, Pauline, en ce 17 mai, fêtait son anniversaire : née en 1990, elle avait trente ans.

Et c'est en relisant la notice de Wikipedia sur Gilles Caron que je relevai une seconde coïncidence de dates, encore plus étonnante : le photographe et ma propre mère, Gilles et Jacqueline, étaient nés le même jour, le 8 juillet 1939.




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* C'est ce que dit Mariana Otero dans le film, mais ce n'est pas tout à fait juste : Clotilde Vautier était née à Cherbourg le 17 septembre 1939, et elle est morte à Rennes le 10 mai 1968. Elle avait donc en réalité 28 ans au moment de sa mort. Mais pouvons-nous faire reproche de cette approximation à Mariana Otero ? Il faut parfois arrondir pour que les histoires soient plus fortes...
Gilles Caron 1939, à Neuilly-sur-Seine.

mercredi 13 mai 2020

Le Jour où la Terre s'arrêta


"Il y a cette terreur ténue du monde déposée en nous comme un film recouvrant le monde pour qu'il soit habitable. Ces mots-là traduisent l'effroi que le monde ne se repose pas entre nos mains. Le risque le plus grand, on le sait depuis toujours, c'est aimer. Quitter l'enclos, le ventre des solitudes, l'abri familier."

Anne Dufourmantelle, Eloge du risque, Rivages Poche 2014, p. 98.

Enregistré de nombreux échos aux articles de ces dernières semaines, lesquels ont suivi une trajectoire erratique : pas un, je crois, qui n'ait échappé à la programmation timide que je m'étais donnée, qui ne se soit imposé comme nécessaire bifurcation. En même temps, ma vie prenait un tournant tout aussi imprévu : dans le moment même de cette période de confinement où tout contact humain était placé sous l'égide de la crainte, je renouai paradoxalement avec la magie de la rencontre.

A peine avais-je, dans le droit fil de cette secousse de l'âme, évoqué le si beau livre d'Anne Dufourmantelle et sa fin tragique, que j'en vins à lire la chronique de Frédéric Boyer sur l'hebdomadaire La Croix L'hebdo. Frédéric Boyer, écrivain, traducteur de Virgile et de saint Augustin, était aussi le compagnon d'Anne Dufourmantelle. Il a écrit à sa mémoire, en 2018, trois courts textes réunis en un volume, Peut-être pas immortelle, paru aux éditions P.O.L, qu'il dirige lui-même depuis cette autre disparition dramatique, celle de Paul Otchalovsky-Laurens, son éditeur et ami, le 2 janvier 2018.*


Or, cette chronique du 8 mai 2020, intitulée Deux ou trois choses que nous ferions bien de retenir...,  reprenait comme par hasard par cinq fois cette idée séminale du risque. "La crise sanitaire à laquelle le monde doit faire face doit nous conduire, écrit-il, à nous interroger sur comment vivons-nous, et quelles sont pour nous les valeurs de la vie elle-même. Beaucoup de questions se posent sous le porche du "déconfinement". Jusqu'où peut-on aller pour protéger la vie ? On demeure entre devoir de protéger et devoir de retourner au danger de la vie. On sait qu'on ne peut pas rester sans vivre les uns parmi les autres. Que chacun doit accepter le risque de vivre en société, sans lequel nous ne pouvons accéder à la joie, à l'intensité de la vie partagée. Que sommes-nous prêts à risquer pour retourner à la vie sociale, au sens fort du terme ? Toute société humaine est un travail d'interactions complexe, riche, délicat. On est en train d'essayer de jouer les apprentis sorciers pour savoir quelle part d'interactivité mettre en place, en risquant le moins possible." [C'est moi qui souligne]

Un peu plus loin : "J'ai d'autres questions encore. Plus troublantes. Pourquoi les vies que l'on tente de sauver aujourd'hui nécessiteraient-elles plus d'efforts et de risques  que celles que l'on ne sauve pas d'habitude ? Les milliers de migrants que l'on a laissé mourir Ceux des conflits dans lesquels nous sommes si souvent impliqués Le million de morts de malnutrition chaque année dans le monde."

Et de conclure ainsi sa chronique : "On me répondra, le virus s'attaque à tous indistinctement. Ce n'est pas tout à fait vrai, on sait qu'il cible très majoritairement les personnes à risque, et que précisément les mieux soignés seront encore ceux qui vivent dans les pays riches. L'argument ne vaut pas. Pourquoi, quand nous pourrions raisonnablement sauver  des vies, et avec peu de moyens au regard des milliards et des milliards engouffrés dans la lutte contre le Covid-19, nous ne le faisons pas ou de façon si insuffisante ? La réponse est simple et terrible. Nous ne sentons pas concernés. Nous ne voulons pas faire d 'efforts pour d'autres que nous. Nous voulons protéger notre système, nos modes de vie. Au prix d'autres vies. Eh bien, nous y sommes. Au pied du mur de notre absurdité et de notre immoralité."

Ce final cinglant fait le constat du désastre, qui surgit, redoublé, dans la CoronaChronique de David Dufresne au 55ème jour, 9 mai 2020 :
Spot est son nom, et le clébard gambade dans un parc de Singapour, téléguidé à distance, propagande par le fait accompli de la maison Boston Dynamics, longtemps financée par d’autres chiens de garde et de traces, Google Company. Sur la vidéo du matin, Spot fait le beau et tout le monde l’acclame à grands renforts de selfies et de servitude volontaire ; il veille au respect des distanciations sociales, il a le disque rayé ; sans cesse, Spot aboie d’une voix féminine « Let’s keep Singapore healthy, for your own safety and for those around you, please stand at least one metre apart. Thank you » et tout le monde rit, même Twitter ricane, et ne voit pas bien le danger, tout à sa joie de s’admirer dans son Black mirror, et honoré d’assister à son propre anéantissement : dans le parc, pas un pour se lever, pas un pour hacker le robot, le savater ou le saboter, ou même l’envoyer se noyer dans le bassin tout proche ; pas un pour comprendre ce que cette fausse bête à collier est en train de faire, mordre nos libertés — faux clebs qui nous prend pour de vrais chiens. Désastre au Désastre : en deux mois, aurions-nous tout perdu ? Appel de l’Après : et s’il n’était plus question d’être seulement vigilant, mais bien combattant ? [C'est moi qui souligne]

Les robots de Kraftwerk ne sont pas loin. Après avoir publié ce dernier article dans la nuit, je repris au matin du 8 mai la lecture de La Vitesse des choses, de Rodrigo  Fresán, et là encore, j'interceptai comme un bruissement d'échos : la nouvelle se nommait LA SUBSTITUTION DES CORPS et commençait ainsi :
"Mon père brille dans le noir.

Mon père brille dans le noir comme l'un de ses poissons des profondeurs qui ne voient jamais la lumière du soleil." (p. 525)
Et, quatre pages plus loin, le leitmotiv revient avec une variation robotique, sur fond de confinement :
"Mon père brille dans le noir et résonne comme s'il avait avalé un robot. Pièce par pièce, boulon après boulon, vis après vis. [...] Sa peau est comme une larve, une cosse, une membrane. Comme le papier peint sur les murs. Comme les housses que ma mère place sur les fauteuils lorsque nous partons e voyage. Et cela fait bien longtemps que nous n'allons nulle part, que nous ne sortons plus de chez nous. Notre foyer est comme un vaisseau spatial qui se serait posé sur une planète dont l'air est irrespirable, un air noir qui se glisserait sous les portes et entrerait par les fenêtres mal fermées, qui nous empoisonnerait lentement pendant que mon père continuerait d'économiser ses mots d'une voix étrange, celle de Gort, le robot qui, dans Le Jour où la Terre s'arrêta**, ne parle pas mais obéit à des ordres intimés dans une langue très lointaine."
Klaatu (Michael Rennie) et le robot humanoïde Gort
De Spot, je passe à Gort.
Bon, je voudrais tout de même finir sur une note d'espoir, celle dont toute rencontre est porteuse, et par laquelle je découvris ce délicieux petit roman L'oiseau canadèche de Jim Dodge. Peut-être pas immortelle, écrivait Frédéric Boyer, mais peut-être bien que oui, pense le personnage principal du livre, le vieux Jake Santee, après qu'un vieil Indien, trouvé un soir en train d'agoniser au seuil d'un saloon, lui ait donné la recette d’un tord-boyau carabiné, le « Râle d’agonie » ("deux lampées suffisaient à produire une catatonie doucement hallucinatoire") : « Bois ça, tiens toi peinard et tu seras immortel » lui avait glissé l'Indien avant de rendre son dernier soupir.


"À la mort de sa fille qu’il a à peine connue, Jake se bat pour gagner le droit de recueillir son petit-fils : c’est que l’administration rechigne un peu à confier l’enfant à un vieux solitaire excentrique, porté sur le jeu et la bouteille, réfractaire à toutes les contraintes sociales, travail et impôt en premier lieu. Écumant avec une chance insolente les tables de poker de tout l’Ouest, il gagne de quoi se racheter une moralité aux yeux de l’état américain, et le droit conséquent d’élever son petit-fils.
Quelques divergences de caractère semblent éloigner le jeune Titou de son grand-père, en particulier sa passion pour les clôtures ainsi qu’une relative sobriété, alors que toute forme de barrière répugne son alcoolique de grand-père. Mais le duo fonctionne pourtant bien, et mieux encore du jour où Titou découvre Canadèche, canard boulimique et fort sympathique, qui devient le compagnon préféré.
La vie s’écoule à peu près totalement peinarde, à peine perturbée par la présence sur leur domaine d’un antique et monstrueux sanglier… En lequel Pepe Jake croit reconnaître la réincarnation de son vieil ami indien, alors que Titou le chasse comme son pire ennemi…" (Présentation de l'éditeur)
Cela m'a amusé de retrouver dans ce conte libertaire mes 99 et 999 du mois de mars. Tout d'abord page 36, dans la partie intitulée La grande partie d'échecs de 1978, où Pépé Jake affronte son petit-fils :
"Le premier jour, ils convinrent de se départager en neuf parties - celui qui en gagnerait cinq serait vainqueur. Mais Titou ayant gagné cinq parties de suite, Jake voulut monter la série à dix-neuf.
- Comme ça, ça éliminera totalement le hasard, précisa-t-il.
Deux jours après les orages, alors que Titou mourait d'impatience de retourner à ses clôtures, ils étaient lancés dans une série de 999 parties, à charge, pour le vainqueur, de gagner les 500 premières. Le score était 451 à 12 quand Titou comprit que Pépé Jake ne guérirait jamais s'il ne gagnait pas, ce qui lui suggéra de sacrifier autant de parties qu'il pouvait - chose pas toujours facile étant donné la manière de jouer de plus en plus démente de son vieux Pépé."
Ce court passage illustre bien l'humour et l'humanité du livre, qui frappe aussi par son art singulier de déplier ou de laisser filer le temps, comme le signale Nicolas Richard dans sa postface :  "des décennies glissent en quelques mots, comme une goutte de whisky sur les plumes d'un colvert ; c'est à coups de vertigineux zigzags temporels que gouttent anecdotes truculentes, dialogues désarmants et réflexions splendides." Et de citer alors quelques morceaux choisis dont celui-ci : "C'est pas en réfléchissant que j'ai atteint mes 99 ans"...

Car oui, le vieux Jake passa le cap du siècle, se réveillant fort tard à cent ans et un jour "pour découvrir une suave journée de printemps." Le temps était venu pour lui d'exhaler à son tour sa dernière bouffée d'air :
"Puis il distingua le murmure des ailes tandis qu'on l'emportait.
Il sentait bien, à la manière dont il était porté, que ce n'étaient pas des anges... Il était si certain que c'étaient des colverts qu'il ne se donna même pas la peine d'ouvrir les yeux. Il rassembla patiemment un nouveau battement dans son coeur, un nouveau souffle dans sa poitrine, puis il leur déclara avec emphase, sans la moindre trace de repentir ni de regret :
-Bah, nom d'une pipe, j'aurai été immortel jusqu'à ma mort !
Il n'y eut pas d'autre souffle. Alors il s'abandonna à lui-même et il les laissa l'emporter."
Que pouvons-nous souhaiter de mieux pour nous, et toutes celles et tous ceux que nous aimons, que de vivre jusqu'au bout cette vie qui nous est dévolue, autrement dit d'être immortels jusqu'à notre mort ?

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 [ L'écrivain Jean-Philippe Domecq, présent le jour du drame, a écrit un livre en hommage à A.D., L'amie, la mort, le fils ]

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"Le Jour où la Terre s'arrêta (The Day the Earth Stood Still) est un film américain réalisé par Robert Wise, sorti en 1951. Il est souvent considéré comme la première œuvre d'envergure de science-fiction dans le cinéma américain1.
Le film évoque l'arrivée d'une soucoupe volante à Washington. Deux créatures en sortent, Klaatu un extraterrestre, et Gort un robot. Un soldat nerveux tire et blesse Klaatu. Gort réplique, mais Klaatu est emmené blessé dans un hôpital, dont il ne tarde pas à s'échapper. Klaatu cherche alors à contacter des personnalités dignes de recevoir son message. D'apparence humaine, il se fait passer pour le major Carpenter et trouve refuge dans une pension de famille où il fait connaissance d'une veuve et de son petit garçon." (Wikipedia)


vendredi 8 mai 2020

Kraftwerk, la Machine et le risque

Curieuse coïncidence temporelle et thématique entre deux sites récemment introduits dans ma catégorie Autres sentes, Le lorgnon mélancolique de Patrick Corneau et Le SauteRhin de Bernard Umbrecht. Et qui jouent de proximité avec la fameuse photo de Lartigue déjà croisée à plusieurs reprises.


Patrick Corneau chronique au sujet d'une nouvelle, La Machine s'arrête - qui m'est parfaitement inconnue - de E.M. Forster, plus célèbre pour ses romans sur l'Angleterre victorienne que pour ses fictions d'anticipation.
L'intérêt de ce récit de 1909, c'est qu'il décrit un monde qui par bien des côtés ressemble à celui dans lequel nous vivons aujourd'hui : ensemble de la population mondiale interconnectée au moyen d’une tablette électronique, nourriture et médicaments livrés par tubes,  si bien que « les gens ne se touchent jamais l’un l’autre. »  "En fait, rapporte Corneau, toute présence ou contact avec autrui ainsi qu’avec la réalité matérielle est si superflu que la rencontre devient presque contraignante voire pénible. La « distanciation sociale » s’est transformée en éloignement puis en isolement et la solitude est devenue la norme : chacun est en couple avec lui-même pourrait-on dire, et l’on est prié d’aimer son lointain… Les habitants de ce monde totalement virtuel, et même quintessencié, vivent « physiquement » dans des appartements souterrains pourvus de tous les services car la surface est devenue invivable."

Ce monde est administrée par la Machine, à qui l'homme a délégué "l’entièreté de sa volonté, de ses projets, désirs ou aspirations". L'un des personnages reconnaît que « La Machine nous a volé le sens de l’espace et du toucher, elle a brouillé toute relation humaine, elle a paralysé nos corps et nos volontés, et maintenant, elle nous oblige à la vénérer. La Machine se développe – mais pas selon nos plans. La Machine agit – mais pas selon nos objectifs. Nous ne sommes rien de plus que des globules sanguins circulant dans ses artères. »



De son côté, Bernard Umbrecht republie un article mis en ligne le 12 décembre 2017, dans le but de rendre hommage à l'un des fondateurs de Kraftwerk, Florian Schneider-Esleben, mort d’un cancer à l’âge de 73 ans, et inhumé dans le plus grand secret ( annoncé par sa famille le 6 mai, son décès remonterait aux derniers jours d’avril). Umbrecht y montrait la vidéo de Die Roboter, Les robots,  morceau extrait de l’album die Mensch-maschine, la machine-homme, l’homme-machine, sorti il y a presque 40 ans, en 1978.


L'autre fondateur de Kraftwerk, Ralf Hütter, confiait à Stéphane Davet (Le Monde, 2014), que leur projet était, plutôt qu'une musique folk électronique, une musique qui reflétait le quotidien : "Nous aimions jouer avec les mots, comme, par exemple, avec « Alltag », qui signifie le quotidien, et « All Tag », « un jour dans le cosmos ». Avant nous, des musiciens allemands, comme Tangerine Dream, avait utilisé l’électronique pour composer des musiques méditatives, cosmiques… Nous, notre quotidien était Düsseldorf, le Rhin, la Ruhr, un environnement industriel, au centre de l’Europe. Nous voulions évoquer cela."  

A la question : "Quand vous avez sorti l’album « Computer World », en 1981, pensiez-vous que l’informatique dominerait le monde à ce point ?" il répond que c’était alors un fantasme, que l'album avait d'ailleurs été  produit à partir de 1979, sans ordinateur (le premier ordinateur personnel de Macintosh a dû sortir en 1984). "La menace, poursuivait-il, d’un contrôle du monde par l’informatique nous paraissait déjà claire, il y a trente ans. Peut-être parce que nous avions l’exemple d’un état orwellien comme l’Allemagne de l’Est. Tout cela a été aujourd’hui multiplié à la puissance 1 000, par exemple par la NSA, mais aussi par Facebook ou Google qui surveillent nos moindres faits et gestes".

Florian Schneider, à droite, lors d’un concert du groupe Kraftwerk, à Berlin, le 19 mai 2004

Patrick Corneau précise ensuite que Forster rejoignait en les anticipant "des craintes exprimées naguère par des penseurs comme Günther Anders, Jacques Ellul et Lewis Mumford sur la « mégamachine » qui se profilait devant leurs yeux au siècle dernier et est aujourd’hui une quasi réalité." Et il cite aussi Günther Anders et Jean Baudrillard, mais aussi - ce qui rejoint plusieurs chroniques délivrées ici récemment - Paul Virilio et sa théorie de l'Accident général.

 

Pour autant, faut-il désespérer ? Faut-il se résigner à ce désastre qui si souvent est évoqué ici, et dont j'ai trouvé encore une occurrence chez Riss, de Charlie-Hebdo ? Peut-être pas : le fait même de cette synchronicité autour de ce concept de machine, sur ce blog minuscule à l'échelle de l'Internet mondial, montre que quelque chose toujours s'insurge contre la domination des algorithmes, et même va jusqu'à en jouer, en sourdine, à la dérobée, grain de sable du vivant dans la mécanicité universelle induite par la loi de maximisation des profits. La solitude de l'homme et de la femme confinée n'est pas inéluctable, mais pour cela il faut très certainement prendre ce risque dont Anne Dufourmantelle a fait si bien l'éloge en 2011 (Payot, p. 115-116) :
"Au risque des nuits blanches.
Au risque d'écrire à un(e) presque inconnu(e) une lettre d'amour à partir d'un presque rien qui vous aura traversé dans une fulgurance inconnue de vous jusqu'alors.
Au risque de pas cesser de faire l'amour.
Au risque de prier sans le secours d'aucun Dieu, ou même avec. (...)
Au risque de ramasser sur la plage des petits cailloux blancs dépolis par la mer et de les disperser ensuite, le soir.
Au risque d'un communisme de pensée.
Au risque de la joie."
On sait qu'Anne Dufourmantelle perdit la vie le 21 juillet 2017 en sauvant un enfant qui allait se noyer en mer Méditerranée. Chez elle, les mots n'étaient pas que des mots, ils étaient des actes.





lundi 4 mai 2020

Cartes postales envoyées depuis le pays des hôtels

D'un billet à l'autre, j'essaie de maintenir un lien logique ou du moins de suivre une piste, mais tout se passe comme si celle-ci ne cessait de bifurquer et de m'entraîner chaque fois plus loin du programme originellement prévu. Des embranchements nouveaux surgissent, et je commence à perdre de vue l'horizon premier vers lequel se dirigeaient mes pas. Est-ce grave, docteur ? Non, c'est même souvent exaltant, mais en même temps c'est frustrant. Le déploiement linéaire de ces chroniques ne parvient que médiocrement à rendre compte de l'étoilement des thèmes. Bien sûr, ce n'est pas la première fois que je suis confronté à un tel phénomène. L'attracteur étrange a dégoupillé sa grenade et je rame pour en ramasser les éclats. Pardon alors pour le décousu de ce qui va venir, ce jour et les jours à venir.

Je continue de tailler ma route à coups de serpe dans la jungle fresanienne de La Vitesse des choses. Et j'ai même atteint la 500ème page ce matin avec la nouvelle Cartes postales envoyées  depuis le pays des hôtels. On avance dans la pénombre de cette prose labyrinthique avec la sensation parfois de tourner en rond, l'ennui guette même ici et là comme un python constrictor neurasthénique prêt à vous enrouler dans ses anneaux temporels. Et puis soudain, clairière, puits de lumière, épiphanie mordorée. C'est le naufrage de la nef portugaise Sao Paulo évoqué par Michaël Ferrier qui vous claque à nouveau à la figure comme un drap séché d'un coup par le simoun.
"Carte postale de mon père et de ma mère  en naufragés indifférents à toute catastrophe, fredonnant une chanson que j'ai mis des années à réentendre.
Parfois, je me disais que cet air n'existait pas, que je l'avais inventé. En français, une langue qui ne m'avait jamais été proche et qui me donne l'impression, comme le portugais, d'être une sorte d'animal invertébré, un langage sans ossature dépourvu des courbes voluptueuses de l'espagnol ou du côté pratique aussi agile que spasmodique de l'anglais." (p. 480)
Et pourtant, c'est dans la langue portugaise sous-titrée en français que j'ai suivi avec passion (car au contraire du narrateur de Fresán, je préfère la souple ondulation du portugais à la rugosité hispanique) ces trois derniers jours, la captation de Sopro, la pièce de Tiago Rodrigues représentée en 2018 au Teatro Nacional Dona Maria II. Une pièce par-delà la catastrophe : "Quand le théâtre serait en ruines, quand ne resterait rien des murs, des bureaux, des coulisses, des machines, du décor, quelqu'un subsisterait : le poumon du lieu mais aussi du geste théâtral, le souffleur. Les voix, les sons, les musiques qui d'habitude habillent la scène sont maintenant en retrait et la respiration du théâtre entier, ce que personne n'entend, pour une fois, est devant. Gardienne de la mémoire et de la continuation, une femme a passé toute sa vie dans ce bâtiment où chaque jour on a joué, où on s'est réuni. Ce soir, elle souffle ses histoires, des vraies, des fausses, toutes écloses au théâtre. Elle est à vue, en scène. Tiago Rodrigues sort de sa boîte, de sa « maison », ce métier en voie d'extinction et convainc celle qui n'a toujours eu que le bout des doigts sur scène de venir « souffler » une époque disparue."


Cette réplique de la partie finale de la pièce, dite par l'actrice à gauche mais portant la voix de la souffleuse (que l'on n'entendra qu'à la toute fin), cette réplique venait mettre en abyme tout ce qui m'avait porté jusque-là.

Cette chanson que le narrateur de Fresán crut longtemps avoir inventée, il raconte ensuite qu'elle a surgi d'un écran de cinéma, dans une salle où il avait fui "une tempête impertinente et brève des Caraïbes après avoir rendu visite à sa mère au sanatorium de Miami". Il reste ensuite jusqu'au bout du générique pour découvrir, ému comme s'il "avait déchiffré la pierre de Rosette", qu'il s'agit de La Mer de Charles Trenet.
S'enquérant auprès de ses connaissances, on lui propose d'abord une version en anglais interprétée par un certain Bobby Darin, "l'un de ces crooners mielleux parfaits pour les adolescents en rut. Il avait fait de La Mer une épouvantable adaptation destinée à satisfaire l'optimisme nord-américain d'après-guerre." J'en ai retrouvé une archive du 19 mars 1960, qui confirme le succès dudit crooner.


Le narrateur exige ensuite la version originale, de notre Trenet national :


S'il n'avait pas retrouvé cette chanson, il n'aurait, selon lui, jamais su la vérité à propos de ses parents ni du mensonge qu'ils lui avaient servi "avec tant d'amour et de haine des années plus tôt."
Je n'irais pas plus loin avec cette histoire, cela nous entraînerait dans une autre bifurcation dont je ne serais pas certain de revenir, et je me transporte deux pages plus loin avec le passage suivant (mais nous restons sur ce thème annoncé du mensonge) :
"Pour l'essentiel, les photos sont des formes socialement acceptées de mensonge. Ce qu'elles montrent n'a jamais été, bien qu'il se présente à nous comme rigoureusement vrai. Quelqu'un nous demande de sourire, de prendre la pose, de regarder l'objectif et d'offrir une seconde de notre vie à la postérité. Mais il s'agit d'une seconde artificielle qui ne reflète en aucun cas la vérité.
Je songe au cliché d'un homme mourant les bras ouverts pendant la guerre civile espagnole, aux images bleues de la terre prises dans l'espace, aux photos de Jacques-Henri Lartigue où la liquidité des vagues se suicidant contre les récifs semble se pétrifier avec l'orgueil pathétique  d'un animal bien dressé qui s'immobilise quelques secondes afin qu'on puisse apprécier le triste tour qu'on lui a enseigné et qu'il n'aurait jamais dû apprendre."
Alors bien sûr on aura reconnu la célèbre photo de Robert Capa, dont l'authenticité est d'ailleurs encore discutée (on l'a soupçonnée d'avoir été mise en scène - Capa l'ayant déjà fait, ce n'est pas invraisemblable -, mais comme la planche-contact n'a pas été retrouvée, on ne pourra jamais le prouver).

Robert Capa, "Mort d'un soldat républicain".
Toutefois ce n'est pas Capa qui m'a retenu ici mais la mention de ces photos de Jacques-Henri Lartigue, avec "la liquidité des vagues se suicidant contre les récifs". Que vous tapiez dans Google "Jacques-Henri Lartigue  + vagues" ou "Jacques-Henri Lartigue  + récif", quelle est la photo qui s'impose chaque fois ? Sinon Sala au rocher de la vierge , photo prise à Biarritz en 1927. Cette même photo qui était apparue, il y a une  semaine,  synchroniquement sur le site de Vila-Matas et dans La Zone de Stalker.


Qu'il s'agisse de cette photo, j'en veux encore pour confirmation que le nom même de Biarritz apparaît à la page suivante :
"Sur la photo, je posais en petit Neptune assis sur un trône miniature, drapé d'une cape, la tête ceinte d'une couronne en carton doré, dans un endroit que j'ai reconnu sans peine grâce à ses haies taillées en forme de tritons et de sirènes : les jardins qui entouraient la fausse construction grecque de l'hôtel Parthénon, à Biarritz."
Pour finir, intéressons-nous d'un peu plus près à ce fameux Lartigue, né en 1894, qui prend ses première photos en 1900 et possède son propre appareil en 1902, à l’âge de 8 ans. "Il y a l’essence de la vie, écrit Maïlys Celeux-Lanval, dans chacune de ses œuvres, le goût du soleil et la violence de la mer. Un sentiment positif émane de ses œuvres. Sa vie semble à l’abri de tout danger, mais plus que ça, son goût n’est que sucré. Il regarde ses amis, ses parents, et le spectacle qu’il photographie est celui d’un monde mondain sans souci. [...] Accoutumé à la vie des stations balnéaires dès son plus jeune âge, il connaît le loisir des pieds dans l’eau, seul sur la grande plage de Biarritz, de Cannes ou de Nice. Le luxe de la vie, Lartigue est gâté, chanceux, heureux. L’imagerie de la mer revient tout au long de son œuvre."

On a compris que Lartigue ne photographie pas pour gagner sa vie. Pas besoin. Aussi sa reconnaissance est-elle tardive : il expose en 1963 au MoMA de New York, alors qu'il a soixante-neuf ans. "La même année, ses photographies paraissent dans le numéro de Life annonçant l’assassinat du président Kennedy: le magazine fait le tour du monde, et c’est ainsi que Lartigue devient un des photographes français les plus connus." Une autre coïncidence appréciable...

Jacques-Henri Lartigue

C'est le 18 juillet 1963 que naît à Buenos-Aires Rodrigo Fresán.

Le 2 mars 2019, Claro, dans Le Monde des livres, chroniquant le dernier roman de l'argentin, La Part rêvée,  termine par cette citation dont la première partie pourrait sans problème servir de cartel à la photo lartiguienne :
« Le passé est comme un ressac géant et un salut murmuré au pied ou du haut des falaises. Un changement subit dans la pression atmosphérique et le passé éclate de rire devant notre planche de surf. (…) le clown en profite pour violer l’écuyère, voler son fouet au dompteur et l’abattre sur le prestidigitateur pendant que le public hypnotisé découvre que le présent est un cirque en flammes sans avenir ni filet. »
La chronique ouvrant sur d'autres liens en rapport avec l'oeuvre fresanienne, je tombe sur ces notes pour une théorie de la fin du monde, dans un article publié en mai 2011. Je ne résiste pas à consigner la sixième et dernière note, qui résonne puissamment avec ce qui précède :
"SIX - Idée pour une courte nouvelle de science-fiction. Un homme invente la machine à remonter le temps. Sa première excursion a lieu le soir du 6 avril 1912, quand le côté du Titanic heurte un iceberg. L'homme dîne merveilleusement, n'avertit personne, passe un moment sur le pont, filme le big crack avec son petit téléphone et regagne le présent. Bien sûr, il met sa vidéo sur YouTube. Quelques heures plus tard, l'homme se rend à Dallas, Texas, et se retrouve dans la matinée splendide du 22 novembre 1963. Maintenant que j'y pense, cette histoire ressemble à une nouvelle de Kilgore Trout, écrivain catastrophiste de science-fiction créé par Kurt Vonnegut, qui me manque de plus en plus. Vonnegut est mort en 2007 et c'était un grand maître du Jugement dernier. Dans ses romans et ses nouvelles, il se plaisait souvent à détruire notre planète et le faisait mieux que personne. Dans une interview, il a déclaré qu'aucun écrivain ne pouvait se considérer comme un auteur "véritable et sérieux" s'il n'avait pas au moins une fois couché sur le papier un holocauste aux proportions cosmiques.
Je conclus ces pages en rendant hommage à sa mémoire et à son oeuvre à laquelle je dois tant. Qu'il repose en paix, où qu'il soit, pendant que je relis encore et toujours ses livres puissamment unplugged, dans lesquels il nous raconte comment tout prendra fin sans qu'il lui soit nécessaire d'attendre que cela arrive pour le filmer et dire ensuite, pendant que défilent les crédits du THE END, combien de visites et de comments il a reçus."
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Ajout du 4 mai : c'est un détail que j'ai failli noter hier, mais la fatigue était grande, et j'ai préféré différer. J'y reviens donc aujourd'hui. J'ai cliqué sur le nom de la rédactrice de l'article sur Lartigue, Maïlys Celeux-Lanval, ce qui m'a donné accès à la liste de tous les papiers qu'elle avait rédigés pour le site Boumbang. Or, juste au-dessus de Lartigue se trouvait la chronique sur la bande dessinée de Cyril Pedrosa, Portugal (2011).


Magnifique point d'orgue pour le thème lusitanien qui a traversé cette propre chronique. Il se trouve que j'ai lu récemment Portugal, grâce à un prêt de mon ami Gary Tupolev, l'ami des pangolins, et je partage entièrement l'avis de Maïlys Celeux-Lanval, c'est un chef d'oeuvre : "Pedrosa parvient à nous faire sentir la chaleur de la ville, de ses pierres et de ses habitants. Les toits, les escaliers, la plage dansent dans une sorte d’hallucination fidèle à une impression lusitanienne."

La plage est ainsi ce lieu commun aux deux artistes, pourtant socialement aux antipodes, mais unis dans un même goût du mouvement et de la beauté.

Cyril Pedrosa, Portugal, 2011, Editions Dupuis


samedi 2 mai 2020

Danube et bleu du ciel

Jeudi dernier, continuant ma recension des vertiges (tâche qui n'aura de fin que par mon épuisement devant le matériau chaque jour renouvelé), j'en consignai un, qui s'était glissé dans la présentation d'un essai de l'écrivain espagnol Álvaro de la Rica. Ces Sept méditations sur Kafka avaient bénéficié d'une préface de Claudio Magris, que j'ai lue dans sa traduction française sur le site de l'auteur. J'y avais déjà repéré une référence au désastre, cette notion de désastre que je ne cessais plus de croiser ces derniers temps.
La relisant quelques jours plus tard, juste après avoir rédigé le billet sur le Naufrage, inspiré par le texte de Michaël Ferrier publié dans la collection Tracts de chez Gallimard, je découvris que naufrage et désastre qui étaient déjà couplés dans le billet l'étaient également dans un même paragraphe de Magris :
"Écrire signifie nommer la vie mais sans insuffler la vie, manquer son objet en faisant resplendir un instant l’essence dans ce naufrage ; la littérature est eschatologie, discours  sur les choses dernières, qui à la littérature ne montrent qu’un visage de désastre, même si ce n’est peut-être pas leur seule face. Une apocalypse, mais ironique, adaptée à la condition dégradée de l’individu moderne dans son rapport avec le pouvoir — un pouvoir de plus en plus totalitaire, défectueux et pourtant  écrasant, soutenu par une nécessité qui, bien que derrière son autorité de sphinx se cache une vile corruption, n’en est pas moins tyrannique et puissante. L’écriture est appelée à témoigner contre cette Méduse, mais cette dernière est la vérité — négative et horrible — de l’époque, qui salit tout et ne permet aucune innocence ; l’écriture doit donc témoigner aussi contre elle- même, dénoncer — c’est l’une des plus heureuses intuitions de ce livre — sa propre implication dans cette corruption, montrer son propre visage défiguré." [C'est moi qui souligne]
J'avais écrit dans Toute une foule d'harmonies secrètes, que Magris n'avait fait qu'une seule apparition sur le blog, qui était à mettre au compte de Rodrigo Fresán : entre Richard Powers et Antonio Tabucchi, il insérait, disais-je, "Claudio Magris remontant le Danube comme le fil de sa propre vie".  Et je m'étonnais que le grand écrivain italien ne soit pas plus présent ici, car enfin, Danube avait été aussi pour moi un livre d'exception, lu en juin 1991 (emprunt à la Bibliothèque municipale de La Châtre).

En réalité je me trompais : Claudio Magris avait fait une autre brève apparition sur Alluvions à la date du 3 juin 2018, avec l'article Magie des Marins. Flash-back :
"A cette époque de l'année, il commence à y avoir beaucoup de concurrence avec les brocantes de village et autres vide-greniers, aussi y avait-il beaucoup de trous dans l'enfilade des exposants. Et il n'y avait pas une foule énorme, malgré le beau temps (tant mieux, pensé-je égoïstement, je n'ai aucun goût pour la foule). Comme je commence à redescendre l'avenue, j'avise trois cartons de livres sur le trottoir. Je jette un œil : le premier livre que j'aperçois est Danube de Claudio Magris. Je l'ai lu il y a bien longtemps, je l'avais emprunté à la bibliothèque de La Châtre, Danube, récit admirable qui nous fait voyager des sources du fleuve jusqu'à son delta, le grand écrivain italien y retraçant dans son sillage tout ce qui compte dans la littérature de la Mitteleuropa. C'était bon signe : de fait ces trois cartons étaient une mine d'or, ne renfermant pratiquement que des ouvrages intéressants qui signalaient un vrai lecteur, mélomane qui plus est, car abondaient les essais sur la musique. Je me tournai vers le vendeur le plus proche, mais celui-ci me répondit que je pouvais me servir, ces cartons ne lui appartenaient pas, ils avaient été semble-t-il déposés là pour qu'on se serve. Inespéré. D'autant plus que dans cette manne se trouvaient plusieurs livres qui avaient un lien direct avec mes recherches les plus récentes. La perle étant L'enfant brûlé de Stig Dagerman dont j'ai parlé ici à propos de François Truffaut. C'était presque inouï de le découvrir ici sans l'avoir cherché."

Danube avait donc été l'étincelle de cette trouvaille assez inespérée. Ces livres abandonnés sur un trottoir au bon désir des passants.

Ce n'est pas tout. Magris a fait retour ici aussi par la grâce d'un commentaire laissé le 27 avril par Arnauld Le Brusq, dont le site Terre Gaste figure à l'inventaire des Autres sentes :
"Bonjour Alluvions,
Ayant besoin de retrouver le passage de Sebald sur le palais de Justice de Bruxelles - et ne pouvant courir à la librairie d'à-côté pour cause de confinement, je tombe sur votre billet de 2015. Revenant à l'accueil de votre blog je vois que vous êtes repassé par Danube de Magris, tout comme moi il y a quelques jours. Voilà des coïncidences. Lorsque j'aperçois que vous avez épinglé ma terre gaste à vos alluvions. Merci alors et à bientôt, vos fraternels alluvions de pensée et ma terre gaste, le mois d'avril, bien que cruel - ou pour cette raison même - pousse à la croissance (la vraie, celle des êtres !)"
L'article recherché, remontant à novembre 2015, évoquait le formidable documentaire que Stan Neumann avait réalisé sur Austerlitz, le dernier roman de Sebald. Cela coïncidait donc avec cet autre magistral travail du même Stan Neumann sur la condition ouvrière, qui fut diffusé le lendemain, mardi 28 avril, sur Arte : Le temps des ouvriers, fresque en quatre parties relatant trois cents ans d'histoire. "Sans délaisser, écrit Laurent Etre dans l'Humanité, tout à fait les débats théoriques (communisme versus anarchisme, socialisme scientifique versus socialisme utopique), le Temps des ouvriers se veut d’abord la restitution passionnée de tout un vécu de résistances protéiformes."

Fillette travaillant dans une filature de Caroline du Sud (1908)
Et si Arnauld Le Brusq (dont c'était la première fois qu'il se signalait sur ce site) était présent ici, c'est bien parce qu'il était apparu dans ma vie à travers son livre Monuments, déniché à Noz en mai 2016. Admirable livre, qui entra immédiatement en résonance avec les thèmes qui m'occupaient alors, et singulièrement celui du bleu du ciel. J'en ai rendu compte dans Le bleu du ciel au Père Lachaise, le 29 mai 2016. 
Outre que le thème céleste est revenu dans ma réflexion récemment (lire Les nouveaux Envahisseurs), il se trouve que la photo personnelle insérée à la fin de l'article de 2016 renvoie au même événement, la découverte d'une épave dans le sable de l'une de ces plages aujourd'hui interdites à l'heure où j'écris, micro-événement  dont témoigne l'autre photo personnelle semblablement postée à la fin de l'article du 25 avril.

Photo postée le 29 mai 2016

Photo postée le 25 avril 2020
Si Arnauld Le Brusq n'avait pas laissé de commentaire en ce mois d'avril, le lien entre les deux photos n'aurait jamais pu apparaître.