jeudi 29 février 2024

Le troll de la rue Mouffetard

Juste après avoir rédigé l'article Tlön Uqbar Orbis Tertiusje me suis rendu sur le site Suédois d'ailleurs, de Nils Blanchard. Et j'ai immédiatement été saisi par cette photo de Nils, montrant la Loire à Angers en décembre 2023, photo que je me permets de reproduire ici.


Pourquoi "saisi" ? Pour deux raisons. La première est en rapport direct avec l'article sur Tlön. Angers y était cité dans l'histoire de Serge Lehman. La ville n'y joue aucun rôle important, c'est juste un détail, mais c'est comme dans un rêve, tous les détails comptent. C'est avant d'aller à Angers que l'écrivain fait halte chez un caviste de la rue Mouffetard. On connaissait la sorcière de la rue Mouffetard, de Pierre Gripari, mais là c'était un troll qui surgissait d'une trappe et vous fourrait une bouteille d'Islay dans les mains.

La seconde raison, c'est cette barque noire sur le fleuve, parallèle au pont traversé par un unique passant. Le motif de la barque n'avait cessé de m'apparaître ces dernières semaines, et d'en voir encore une manifestation me toucha fortement. D'autant plus que - détail sur lequel j'avais fait l'impasse dans la chronique -  le chapitre III des Anneaux de Saturne que j'étudiais faisait aussi état de la présence d'une barque :

"A un quart d'heure à pied au sud de Benacre Broad, à l'endroit où la plage se rétrécit et cède la place à un morceau de côte découpée, gisent pêle-mêle quelques douzaines d'arbres morts qui ont dû tomber il y a des années déjà des falaises de Covehithe. Blanchi par l'eau de mer, le vent et le soleil, le bois brisé et sans écorce fait penser aux ossements d'une espèce, dépassant en taille les mammouths et les sauriens, anéantis il y a longtemps sur ce rivage solitaire. Contournant l'abatis, le sentier franchit un talus couvert de genêts puis grimpe jusqu'au sommet de la falaise argileuse qu'il longe à faible distance du bord de la terre ferme, menacée d'effondrement par endroits, à travers des fougères dont les plus grandes m'arrivaient à hauteur d'épaule. Au large, sur la mer couleur de plomb, un petit bateau à voile se déplaçait dans le même sens que moi ou, plutôt, à ce qu'il me semblait, se tenait sur place, tandis que de mon côté, j'avais beau presser le pas, je n'avançais pas davantage que l'invisible navigateur fantôme à bord de sa barque immobile."

 Et le texte était alors suivi d'une photo, une longue photo au format vertical.


Remarquez l'art de Sebald de susciter l'inquiétude en quelques phrases, de la falaise menacée d'effondrement et des fougères géantes comme venues tout droit du carbonifère jusqu'à cette barque mystérieuse au skipper fantôme. C'est juste après qu'il découvre le troupeau de cochons, va jusqu'à en toucher un en lui grattant doucement le creux derrière l'oreille, puis le ciel s'assombrit, des bancs de nuages déferlent au-dessus de la mer et il constate que la barque, "qui était resté si longtemps immobile, avait soudain disparu." C'est à ce moment précis qu'il se rappelle l'histoire du possédé de l'évangile de Marc.

Ce n'est pas tout. Dans l'après-midi, je rends quelques livres à la médiathèque et, inévitablement, je charge ma besace de quelques volumes qui attirent ma curiosité. Parmi eux, La France d'après. Tableau politique, de Jérôme Fourquet. Rien à voir donc, en apparence, avec la littérature et la poésie, Sebald et Borges. Sauf que ce livre s'inscrit dans le sillage d'un livre de référence, celui du géographe André Siegfried, Tableau politique de la France de l'Ouest, paru en 1913. Un ouvrage magistral mais dont la grille de lecture est en partie obsolète, qui faisait "la part belle aux "tempéraments" inhérents aux "races" ou aux habitants de telle ou telle région." :

"Les sciences sociales, qui ont grandement progressé depuis le début du XXI siècle, ont invalidé depuis longtemps ces catégories. Nous qui sommes natif du Mans et avons de lointaines origines paysannes, il était difficile de souscrire aux formules du type : "Avec sa passivité naturelle de Manceau ou d'Angevin, le paysan trouve naturelle cette soumission héréditaire et il est trop content de profiter des petits bénéfices qu'elle comporte." Trois pages plus loin, l'auteur récidive, ce sont cette fois les Angevins qui sont spécifiquement visés : "Le plus souvent même, ils [le paysan et le métayer] ne résistent pas à la pression : la douceur, la mollesse de cette race (Andegavi molles, écrivait César !) l'inclinent à une soumission passive et qui paraît d'autant plus naturelle qu'elle est héréditaire." (p. 17-18)


 Un autre livre emprunté cet après-midi là fut l'objet d'autres coïncidences. J'y reviendrai.



mardi 27 février 2024

Tlön Uqbar Orbis Tertius

L'article du 13 février, Forme étrange dans le chaos de la tradition, m'a conduit à relire la nouvelle de Borges, Tlön Uqbar Orbis Tertius, dans l'exemplaire Folio que j'avais acheté à La Châtre en février 1998, il y a donc vingt-six ans. L'avais-je relue dans l'intervalle ? C'est possible mais je n'en ai aucune certitude. Toujours est-il que je pris un immense plaisir à reparcourir cette vingtaine de pages où l'érudition la plus folle nous convie au vertige. Je ne sollicite pas bien sûr ce terme de vertige par hasard, c'est par lui que j'ai terminé l'article du 13, vertige que je n'ai pas tardé à retrouver dans la nouvelle elle-même, quand le narrateur retrouve dans un bar un grand in-octavo laissé en 1937 par Herbert Ashe, ingénieur des Chemins de fer du Sud : "Je me mis à le feuilleter  et j'éprouvai un vertige étonné et léger que je ne décrirai pas, parce qu'il ne s'agit pas de l'histoire de mes émotions, mais d'Uqbar, de Tlön et d'Orbis Tertius."



Il faut lire la suite immédiate : "Au cours d'une nuit de l'Islam qu'on appelle la Nuit des Nuits, les portes secrètes du ciel s'ouvrent toutes grandes et l'eau est plus douce dans les cruches ; si ces portes s'ouvraient, je n'éprouverais pas ce que j'éprouvai ce jour-là. Le livre était rédigé en anglais et comprenait 1001 pages." Impossible à cet instant de ne pas penser à la préface de Serge Lehman à son Art du Vertige, et au titre qu'elle portait : Mille jours de nuit. Titre qui ne doit rien à Shéhérazade, mais dont l'explication nécessite de revenir sur la découverte par Lehman du Mont Analogue de René Daumal, grâce au dessinateur Jean-Marc Rochette. Il écrit qu'il ne savait plus exactement ce qu'il cherchait mais que "le sentiment de dérive et d'exploration était une fin en soi." "Des réseaux de signification se dessinaient, poursuit-il, luisant brièvement - poissons des profondeurs - puis s'évanouissaient sans laisser de trace. Je commençais à perdre pied, mon bureau était recouvert de post-it, et quand je croisais mon reflet dans un miroir j'avais à peine l'impression de voir un visage."
Revenant alors à la ligne, il écrit : "C'est là que ça s'est produit."

Avant de se pencher sur ce qui s'est produit, j'attire l'attention sur cette histoire de miroir. Qui n'est pas anodine quand on sait que l'incipit de la nouvelle de Borges est celui-ci : "C'est à la conjonction d'un miroir et d'une encyclopédie que je dois la découverte d'Uqbar. Le miroir inquiétait le fond d'un couloir d'une villa de la rue Gaona à Ramos Mejia ; l'encyclopédie s'appelle fallacieusement The Anglo-American Cyclopoedia (New York, 1917)."

Revenons sur Serge Lehman. Sa femme, le voyant sombrer depuis deux mois dans Le Mont Analogue, décide qu'il est temps de faire une pause. Ça tombe bien, le couple est invité à Angers, alors, sur le chemin du départ ils s'arrêtent chez un caviste de la rue Mouffetard pour acheter du whisky pour leurs amis angevins. Comme Lehman demande de l'aide pour le choix du whisky, un type énorme, roux, barbu, chevelu - "on dirait un troll", précise Lehman - sort d'une trappe derrière le comptoir, l'emmène au fond de la boutique et lui conseille un Islay.
"Il emballait la bouteille. J'ai compris avec retard qu'il pensait avoir affaire à un alcoolique (j'avais vraiment une sale tête). J'ai bredouillé quelques mots pour le rassurer : "Non, ça va, je... fais des recherches... la nuit... C'est assez intense."
J'avais du mal à parler. Le troll a pris ma carte bleue.
"Ah ouais, des recherches... C'est sympa. Sur quoi ?"
Je n'allais pas entrer dans les détails, mais j'éprouvais quand même le besoin de dire quelque chose, d'essayer de me justifier. Alors j'ai fait au plus simple : "Sur l'entre-deux-guerres, les surréalistes, Queneau, tout ça..."
Le troll a souri en me rendant ma carte : "Ah ouais ? Moi, j'ai fait ma thèse sur René Daumal."
Une ligne de points de suspension suit ce passage. Elle signale une sorte de trou noir dans l'esprit  de Serge Lehman :
"Je n'ai aucun souvenir de ce qui s'est passé ensuite. Comme si j'avais perdu conscience. Ma mémoire ne reprend qu'à l'instant où je claque la portière de la voiture, un quart d'heure plus tard. Ma femme me regardait avec curiosité : "Qu'est-ce qu'il y a, tu as l'air bizarre ?"
La bouteille de whisky reposait sur mes genoux. Je l'ai palpée à travers le sac pour vérifier qu'elle était bien là et je me suis entendu répondre, dans un état de stupeur totale : "Quelque chose vient de m'arriver, mais je ne sais pas quoi."
Vingt ans plus tard, l'écrivain n'a toujours pas d'explication sur ce qui s'est passé. Le souvenir de ce quart d'heure rue Mouffetard n'est jamais revenu. S'il a repris une vie normale à l'été 2001, il a replongé à la rentrée sur un détail de Métropolis : "Même impression d'être entraîné dans des chaînes associatives incontrôlables (infinies), même besoin de solitude, même sentiment de mystère et d'errance, même pulsion documentaire maniaque./ Sauf que là, l'immersion a duré trois ans. Je n'ai recommencé à publier  et à fonctionner socialement qu'à la fin 2004."
Et il conclut : "Trois ans : mille jours de nuit."

Borges, en 1969 (photo : Diane Arbus)

Le 14 février, j'ai cherché une illustration sonore pour l'article du 13. Je n'ai rien trouvé qui me satisfasse, cependant, par sérendipité, j'ai découvert que Sebald citait Tlön Uqbar Orbis Tertius dans Les Anneaux de Saturne, le premier livre que j'ai lu de l'auteur allemand, acquis le 15 avril 2003 (au coeur donc de la dépression de Serge Lehman). Je n'en avais pas souvenir. Chapitre trois, Sebald chemine alors sur la côté du Suffolk, près de la lagune de Benacre Broad. Une logique associative, qu'on peut penser semblable à celle de Lehman, le conduit à rapprocher un troupeau de cochons endormis dans un champ avec l'histoire du Gadarénien fou rapportée dans l'évangile de Marc. Un homme possédé, qui avait brisé toutes ses chaînes et que nul ne pouvait dompter, un homme qui affirme s'appeler Légion, parce que nous sommes plusieurs. "Et les plusieurs le supplient en disant : "Fais-nous passer dans les cochons, pour entrer en eux." (Un troupeau de pourceaux paissait aux alentours). Jésus leur permet, et les plusieurs entrent dans les cochons, se précipitent du haut de la falaise dans la mer et périssent. Sebald se questionne sur le sens de cette histoire, assis au bord de ce qu'il nomme "l'océan allemand", puis écrit :
"Tandis que cela me passait par la tête, je voyais les hirondelles zébrer le ciel au-dessus de la mer. Poussant sans cesse leurs cris perçants, elles se croisaient si vite que l'oeil ne pouvait les suivre. Autrefois déjà, dans mon enfance, lorsque du fond de la sombre vallée j'observais ces oiseaux  qui, à l'époque, volaient encore en grand nombre dans la clarté du jour déclinant, je m'imaginais que la cohésion du monde n'était assuré que par les lignes qu'ils traçaient dans l'espace aérien. De nombreuses années plus tard, je devais prendre connaissance d'un texte intitulé Tlön, Uqbar, Orbis Tertius, rédigé en 1940 à Salto Oriental, en Uruguay, où il était question d'un amphithéâtre sauvé par quelques oiseaux."

Le nom de l'auteur, Borges, ne sera jamais indiqué. Le fragment cité se situe à la fin du texte principal de la nouvelle, juste avant le post-scriptum de 1947 :

"Dans Tlön les choses se dédoublent . elles ont aussi une propension à s'effacer et à perdre leurs détails quand les gens les oublient. Classique est l'exemple d'un seuil qui subsista tant qu'un mendiant s'y rendit et que l'on perdit de vue à la mort de celui-ci. Parfois des oiseaux, un cheval, ont sauvé les ruines d'un amphithéâtre." 

Et c'est en suivant les oiseaux, ces hirondelles qui avaient creusé leurs nids dans la couche d'argile supérieure de la falaise, que le narrateur de Sebald s'approche du bord, "qui pouvait céder à tout moment sous mes pieds", renverse la tête en arrière, tourne son regard vers le zénith et le laisse glisser vers le bas jusqu'à la plage étroite vingt mètres en contrebas.

"En expirant lentement pour surmonter la sensation de vertige qui m'avait gagné et en faisant un pas en arrière, il me sembla avoir vu bouger quelque chose dont la couleur jurait dans le paysage. Je m'accroupis, pris d'une soudaine panique, et plongeai du regard par-dessus le bord de la falaise. C'était un couple d'humains qui reposait là en bas, dans le creux, pensai-je, un homme couché sur le corps d'une autre créature dont on ne voyait que les jambes repliées et écartées. Et durant l'éternité de la seconde d'effroi où cette image me traversa, il me sembla qu'un tressaillement avait parcouru les pieds de l'homme, on aurait dit un pendu au moment du trépas." 


"Les anneaux de Saturne sont constitués de cristaux de glace vraisemblablement mêlés à des particules de météorites qui tournent en bandes circulaires dans le plan de l'équateur de la planète. Sans doute s'agit-il de fragments d'une lune plus ancienne, trop proche de la planète et finalement détruite sous l'effet de la force d'attraction de cette dernière" .

Encyclopédie Brockhaus




jeudi 22 février 2024

Mon âme est une barque

Missak Manouchian  était aussi poète. 


Ce poème a été publié le 16 août 1946 dans Les Lettres françaises (voir aussi sur Gallica).

Voir aussi la belle émission sur France Culture : Quand Aragon et Eluard rendaient hommage au "groupe Manouchian"

Dans laquelle on peut entendre Léo Ferré :


Missak encore, dans Le miroir et moi :

Me battant contre la mort, vivre étant le seul problème…
Quel guetteur têtu je fus des lueurs et des mirages !

mardi 13 février 2024

Forme étrange dans le chaos de la tradition

Jeudi 23 novembre, 14 h. Nous voici, Eric et moi, de nouveau à la centrale de Saint-Maur dans le quartier des"vulnérables" pour une lecture à voix haute du roman de John Fante, Demande à la poussière (j'ai déjà évoqué cette action le 10 décembre dernier). Quatre détenus sont présents et nous lisons deux chapitres. A la fin de la séance, l'un d'entre eux avise mon tote bag à l'effigie de la New York Public Library, me demandant si j'étais allé à New York. Je lui réponds que non, le sac est un cadeau de ma fille Pauline au retour de son voyage aux Etats-Unis. Eric en parle alors et j'apprends en même temps que les autres qu'il s'est rendu en Amérique cinq ou six fois, dans le cadre de son travail d'ingénieur (il est maintenant à la retraite), et qu'il a eu l'occasion de visiter la New York Public Library, où il a été sidéré par l'absence de livres... Tout étant numérisé, les usagers du lieu lisaient sur des écrans.


Le soir-même, je poursuis ma lecture de Trust, et ne tarde pas à tomber sur ce passage : "A contrecoeur, j'ai dû admettre que j'avais devoir sortir de mon appartement et retourner à la bibliothèque principale de la New York Public Library." (p. 305) Belle synchronicité.

J'ajoute que je notais tout ceci dans un cahier, juste après avoir commencé la lecture de La légende du processeur d'histoire, le second texte de L'art du vertige de Serge Lehman, écrit, dit-il, pour être lu à voix haute, car il s'agissait de la conférence inaugurale d'un colloque organisé à Nice en mars 2005 sur le thème "science-fiction et histoire". Il y relate sa découverte du Mont Analogue de René Daumal, qu'il considère comme un théoricien inconscient de la science-fiction, et rappelle l'article qu'il lui a consacré en 2001 dans la revue Europe, La physique des métaphores, juste après l'avoir lu, affirmant s'être concentré sur l'hypothèse suivante : "la science-fiction est d'abord une expérience esthétique, ce qui implique que tous les objets ou institutions avec lesquels elle a été historiquement confondue n'étaient  en fait que les dispositifs requis pour sa production. [...] une telle hypothèse accorde un primat de fait à l'intuition des premiers fans qui, mis en demeure d'exprimer ce qui constituait l'essence du genre, ont désigné le sense of wonder, l'émerveillement, l'éblouissement, le vertige que procure sa fréquentation." (p. 43) 

La question de la définition de la science-fiction est loin d'être résolue, et je me garderai bien de vouloir m'y risquer. En travaillant un tant soit peu le thème, j'ai découvert que Serge Lehman était loin de faire l'unanimité et que des débats complexes et même des polémiques ont animé le monde de la SF, comme on peut le voir en lisant l'article de Simon Bréan et Irène Langlet dans la revue en ligne Belphégor. En réalité, Lehman m'intéresse surtout en ce qu'il fait signe et connexion avec mon propre fil de réflexion. Ainsi, dans les trois exemples qu'il donne de ce fameux sense of wonder de la SF, à côté de Voyage au centre de la Terre, de Jules Verne et de L'Homme démoli d'Alfred Bester (le premier roman à avoir reçu le prix Hugo, en 1953), il place la nouvelle de Borges qui commence ainsi : "L’univers (que d’autres appellent la Bibliothèque) se compose d’un nombre indéfini, et peut-être infini, de galeries hexagonales, avec au centre de vastes puits bordés par des balustrades très basses. De chacun de ces hexagones, on aperçoit les étages inférieurs et supérieurs, interminablement."

E. Desmazières,  "La bibliothèque de Babel  de Borges est une bibliothèque qui contient tous les textes possibles et imaginables. Il s’inspire de La bibliothèque universelle de l’écrivain, philosophe et mathématicien, Kurd Lasswitz (1904).

Il se trouve qu'Hernan Diaz, bien avant de créer Trust, a écrit une thèse en littérature comparée, dont une partie  est devenue un livre : Borges. Between History and Eternity, publié par Bloomsbury en 2012. A la question de Frédérique Roussel dans Libération, de savoir dans quelle mesure Borges planait  dans les pages du roman, Diaz répond :

Comment pouvons-nous transmettre la vérité à travers différents genres ? C’est une notion très borgésienne. Mon irrévérence avec plusieurs traditions, le roman réaliste, le poème moderniste en prose, la prose journalistique, cette liberté-là, je l’ai apprise de Borges. Il n’y a pas de frontière artificielle. La chose la plus borgésienne de toutes dans Trust est la notion de livres dans les livres. Dans le livre que vous ouvrez, il y a un livre que vous ouvrez, dans lequel il y a un livre que vous ouvrez… Vous trouvez ça aussi chez Laurence Sterne, Flann O’Brien ou Nabokov. Une nouvelle de Borges raconte comment des objets d’une planète fictive inventée par quelqu’un dans une fausse encyclopédie commencent à apparaître dans notre réalité. L’idée que la fiction peut altérer la réalité m’est capitale, c’est pourquoi Trust commence par un roman. Et il met tout le reste en action.

Dans un autre entretien, avec Steven Sampson pour En attendant Nadeau, il revient sur cette influence de Borges avec plus de précision encore : "Tout à l’heure, j’ai parlé des poupées russes et de la mise en abyme : ces mondes imbriqués sont borgésiens. Aussi m’a-t-il influencé dans l’idée que la fiction doit laisser des traces. Par exemple, dans Tlön, Uqbar, Orbis Tertius, il s’agit d’une planète inventée presque comme un canular pour une encyclopédie apocryphe, ensuite elle prend pied dans la réalité ; à la fin de la nouvelle, le narrateur prend conscience que notre monde deviendra Tlön."

Le premier texte de L'art du vertige, Exfiltration, est la préface des Univers de Druillet, un recueil d'images paru chez Albin Michel en 2003. Et l'on y retrouve dès l'incipit la nouvelle de Borges : "Dans l’une de ses plus belles nouvelles, Tlön, Uqbar, Urbis Tertius, Jorge Luis  Borges raconte le remplacement de notre monde par un autre, né de l’imagination d’un groupe d’encyclopédistes démiurges. La jonction s’effectue d’abord dans un texte avant de s’étendre à tout le réel."

Allons un peu plus loin : "C‘est le monde où nous vivons. Les archivistes occultes suggérés par Borges existent bel et bien : ce sont les auteurs de SF qui, depuis deux siècles, accumulent les preuves de l’existence d’une multitude de réalités coextensives à la nôtre. Comme Homère, les grands créateurs devinent la forme étrange dans le chaos de la tradition dont ils sont issus ; ils la voient à l'oeil nu, comme un pan de nature originelle, et la célèbrent pour elle-même, tandis que le lecteur ou l’artiste mineur se lais­sent prendre au piège des représentations secondes."


N'est-elle pas également vertigineuse cette intrication entre les deux textes ? 

Ce vertige qui se donne à voir dans la dernière partie du quatrième livre de Trust, le journal intime de Mildred Bevel :

"Tache de soleil sur couverture. Chaque particule de lumière a voyagé du soleil jusqu'à mes pieds. Comment quelque chose d'aussi petit a pu parcourir une telle distance ? De près, le flot de photons ressemblerait à une pluie de météores. Mes pieds jouent avec. Le vertige de l'échelle (l'espace entre un photon et moi et une étoile) est un avant-goût de la mort." (p. 393)

lundi 12 février 2024

Daumal et le disparate

Le 7 octobre dernier, j'ai acheté Trust, un roman de l'écrivain américano-argentin Hernan Diaz, prix Pulitzer 2023, mais je n'en ai commencé la lecture que le 20 novembre. L'ouvrage est divisé en quatre livres sensés être écrits par quatre auteurs différents, dans quatre styles différents. Le premier est la biographie non autorisée de Benjamin Rask, un riche banquier à l’époque de la crise de 29,  écrite par un certain Harold Vanner, "dans un registre un brin décadent à la Henry James ou à la Edith Wharton", selon Hernan Diaz lui-même.  Le second intitulé « Ma vie » est le manuscrit inachevé de l’autobiographie de Andrew Bevel, nom réel de Rask, visant à récuser le portrait de Vanner qu'il juge mensonger et mystificateur.  Dans le troisième livre, Un Mémoire, Remémoré, Ida Partenza, grande dame des lettres américaines à New York dans les années 1980, revient sur la période de sa jeunesse où elle avait été secrétaire et ghostwriter d'Andrew Bevel. C'est en procédant à des recherches d’archives (les papiers privés du financier et de sa femme, Mildred, ayant été récemment été ouverts au public) qu'elle est tombée sur le journal intime de l’épouse, lequel constituera la quatrième partie du roman. Structure complexe, on le voit, où le jeu des points de vue remet chaque fois en question la version précédente de l'histoire.


Rendre compte de sa lecture n'est donc pas une mince affaire, mais, pour ne rien arranger, je dois faire intervenir dans ce post un autre livre qui n'a a priori rien à voir. L'art du vertige, de Serge Lehman, un recueil d'essais sur la science-fiction, publié en 2023 aux Moutons électriques. Je ne connaissais pas du tout Serge Lehman mais on connaît mon addiction au vertige et mon goût de la science-fiction. Je commandai donc ce livre que j'avais furtivement vu passer sur je ne sais quel fil d'information et allai le chercher à Arcanes le 21 novembre. J'en lus aussitôt la préface, de Lehman également, intitulée Mille jours de nuit. Et je fus aussitôt captivé. "En janvier 2001, commence-t-il, j'ai passé quelques heures en compagnie de Jean-Marc Rochette, le dessinateur du Transperceneige. Nous ne nous connaissions pas. L'idée de cette rencontre était venue d'Enki Bilal, avec qui je travaillais sur l'adaptation cinéma de La Foire aux immortels." Jean-Marc Rochette, cela était suffisant pour attiser d'emblée ma curiosité, j'avais croisé sa route en janvier 2020, à travers son album autobiographique Ailefroide, et c'était là encore une fois une histoire de vertige. D'autres billets avaient suivi en janvier 2020 et octobre 2022.

Lehman propose à Rochette de faire une histoire de "merveilleux géographique". "Il a souri, rapporte Lehman, et m'a demandé en retour : "Est-ce que tu as lu Le Mont Analogue de René Daumal ?" Et c'est ça qui a tout déclenché." Lehman ne connaissait pas, et cela a mis fin, avoue-t-il, à la discussion : "Lis ce livre", a insisté Rochette. "Ensuite, si tu veux, on reparlera de merveilleux géographique." Lehman rentre chez lui, et une heure plus tard, Rochette, "la classe faite homme", lui adresse le roman par courrier. 

René Daumal, Le Mont Analogue, c'était là encore un nom et un écrit qui avaient traversé Alluvions avec ferveur. De nombreux articles en témoignent.

Une même ferveur s'empare de Lehman à la lecture de l'oeuvre. Une ivresse de critique, dit-il : "Dans un de mes premiers romans, des aliens capables d'imiter la forme humaine étaient appelés "Analogues". Et dans la nouvelle Nulle part à Liverion, j'avais imaginé une zone géographique invisible "par déformation topologique". Cette double coïncidence explique peut-être pourquoi je me suis laissé engloutir par le texte de Daumal si facilement."


Serge Lehman écrit alors deux articles dont le but était de révéler l'existence du roman de Daumal aux lecteurs de science-fiction, mais il confesse aussi un "espoir historiographique : celui de corriger l'image d'un genre dont le développement français se serait arrêté à Verne et qui n'aurait repris qu'après la découverte de la SF américaine. Daumal prouvait le contraire." Il est tellement plongé dans son étude qu'il ne reprend pas contact avec Rochette. A ce moment-là, il ne voit d'ailleurs plus personne, il lit et prend des notes seize heures par jour, "sur le qui-vive, à l'affût du moindre recoupement, de tout ce qui pourrait venir nourrir cette chose qui m'avait absorbé." C'est ainsi que dans le numéro de mai du Magazine Littéraire consacré à l'Oulipo, son attention est captée par un texte de Paul Braffort sur François Le Lionnais, co-fondateur de l'Oulipo avec Raymond Queneau. C'est le préambule de l'article - disponible sur le site de Paul Braffort - qui allume l'étincelle : 

"[Le Lionnais] constitue à lui seul une table des matières de la culture contemporaine de langue française. Il est donc naturel, pour évoquer cette figure hors du commun, d'adopter le format d'un dictionnaire encyclopédique (avec ce qu'il faut de "clinamen") et de lui laisser, autant que possible, la parole, en exploitant des fragments d'un ouvrage autobiographique demeuré inédit : Un certain disparate."

Lehman écrit : "Ce mot - disparate - m'a frappé, sans que je puisse dire pourquoi." Il le retrouve dans la notice consacrée à Michel Petrovitch :

"Professeur à l'Université de Belgrade, Michel Pétrovitch, dont la grande culture privilégiait une vision "transversale" des disciplines, est l'auteur d'un petit livre fascinant, publié dans la prestigieuse Nouvelle Collection scientifique, chez Félix Alcan, en 1921 : Mécanismes communs aux phénomènes disparates [9] . Lorsque, étudiant, je rendis visite pour la première fois à FLL - qui revenait de déportation - l'évocation de ce livre dont nous étions tous deux férus scella notre amitié. Visiblement le mot "disparate" était cher à François, tout comme l'approche résolument "structurale" qui est celle de Pétrovitch dont les concepts d'allure des phénomènes, d'analogies phénoménologiques sont toujours associés à des événements réels et ne sombrent jamais dans le pur formalisme."

Rouvrant alors Le Mont Analogue, Serge Lehman comprend pourquoi l'insistance du texte sur la notion de disparate l'avait alerté. Il en retrouve la trace au début du roman lors de la première rencontre du narrateur avec Pierre Sogol, qui compare sa pensée avec une force, "aussi sensible que la chaleur, la lumière et le vent", ajoutant : "Cette force, c'était une faculté exceptionnelle de voir les idées comme des faits extérieurs, et d'établir des liens nouveaux entre des idées d'apparences tout à fait disparates."

Michel Petrovitch (1868 - 1943) «Les mathématiques sont la poésie suprême ».

Et c'est ici que je reconnecte avec Hernan Diaz et le roman Trust (je sais, j'y ai mis le temps, mais il fallait tout ce chemin pour en savourer la retrouvaille). Le mot "disparate" me frappa moi aussi comme il avait frappé Lehman car il me souvenait l'avoir rencontré, et c'était à la page 151, au deuxième chapitre de l'autobiographie d'Andrew Bevel : "Tout financier devrait être un esprit universel car la finance est le fil qui traverse tous les aspects de la vie. C'est, de fait, le noeud où sont réunies toutes les fibres disparates de l'existence humaine." (C'est moi qui souligne) Au paragraphe précédent, Bevel se vante d'être parvenu à exceller dans les études, en particulier dans le domaine des mathématiques : "Cela, je le dois à ma mère. Elle fut la première à voir, très tôt, mon aptitude innée pour les nombres et à entretenir le talent pour l'algèbre, le calcul et la statistique dont j'avais hérité."

Or les mathématiques sont aussi (et avec plus de vérité) le domaine d'élection de François Le Lionnais. L'article de Paul Braffort renferme d'ailleurs une entrée Mathématique :

"Beauté et raison vont toujours de pair, avec FLL et l'on notera qu'il avait choisi comme exergue, pour son Dictionnaire des mathématiques [5] cette phrase de Georg Cantor : « L'essence des mathématiques est dans leur liberté ». Et, dans "Un certain disparate" : « Je n'ai jamais vécu un seul jour, même quand je souffrais beaucoup, sans avoir au moins quelques minutes pour les mathématiques, quelques minutes ou quelques heures. Dans mon profil général, les mathématiques ont certainement une place à part différente de tout le reste, de tout temps. » Avec Les grands courants de la pensée mathématique [6] (médité dès la fin des années trente), FLL réussissait à rassembler savants et critiques pour une mise au point dont la pertinence est encore aujourd'hui manifeste [7] ."

Et la notice Nombres remarquables (les) enfonce le clou :

"Le dernier ouvrage de FLL : Les nombres remarquables [8] , est dédié « Aux amis de toute ma vie, délicieux et terrifiants, les nombres ». Il comporte quatre parties : PréludeThème et variationsInterlude et Postlude, chapitres qui s'ouvrent respectivement sur des mesures de Bach, Beethoven, Webern et une page de portées vierges. Le livre peut être lu comme une sorte d'autobiographie réduite aux acquêts et s'ouvre sur cette phrase : « On ne lance pas impunément les nombres dans l'univers des enfants. »"

Une biographie de FLL par Olivier Salon


Une deuxième occurence de "disparate" est visible dans Trust. Dans la troisième partie, cette fois, du roman, avec Ida Partenza comme narratrice :

"Après avoir consulté des bibliothécaires, j'ai lu, de manière désordonnée, tout ce qui selon moi pouvait être une source d'inspiration, d'Etiquette d'Emily Post à Bad Girl de Viña Delmar. Mais ce sur quoi je me concentrais, si je pouvais dire cela de mon approche à la va-vite, c'étaient les écrivaines américaines plus ou moins contemporaines dont les oeuvres seraient peut-être pertinentes. Parmi elles, je me souviens de noms immensément disparates tels que Dawn Powell, Ursula Parrott, Anita Loos, Elizabeth Harland, Dorothy Parker et Nancy Hale. seules quelques-unes se sont révélées utiles - et aucune ne capturait l'atmosphère de richesse discrète que je voulais pour Mildred." (p. 307, c'est moi qui souligne)

A ce stade, je n'ai encore levé qu'un coin du voile. La suite au prochain épisode.

lundi 5 février 2024

Barque élevée dans les brumes immobiles

L'automne. Notre barque élevée dans les brumes immobiles tourne vers le port de la misère, la cité énorme au ciel taché de feu et de boue. Ah ! les haillons pourris, le pain trempé de pluie, l'ivresse, les mille amours qui m'ont crucifié ! Elle ne finira donc point cette goule reine de millions d'âmes et de corps morts et qui seront jugés ! Je me revois la peau rongée par la boue et la peste, des vers plein les cheveux et les aisselles et encore de plus gros vers dans le coeur, étendu parmi les inconnus sans âge, sans sentiment... J'aurais pu y mourir... L'affreuse évocation ! J'exècre la misère.

Arthur Rimbaud, Adieu, in Une saison en enfer

La Nuit du chasseur, aujourd'hui reconnu unanimement comme un des chefs d'œuvre du cinéma mondial, fit pourtant un four à sa sortie en 1955, en Amérique comme en Europe. Il restera la seule réalisation de l'acteur Charles Laughton. François Truffaut  en parle alors comme d'un "petit film très agréable",  mais ajoute cruellement : « La mise en scène titube du trottoir nordique au trottoir allemand et ne parvient pas à traverser dans les clous plantés par Griffith. » C'est le destin singulier de certains films qui sortent dans l'indifférence ou le mépris avant de devenir, au fil du temps, de ces films qu'on appelle cultes, qui ne cessent ensuite d'inspirer une foule de créateurs divers. Parmi lesquels mon ami Nunki Bartt : il se souvint avoir réalisé pour le festival Chapitre Nature, qui se tenait alors dans la ville du Blanc, un grand kakémono qui fut exposé près de l'hôtel de ville. Au bas de ce kakémono, était représentée la barque du film avec les deux enfants.



*
Hier, le motif de la barque traversa encore par deux fois ma journée. Ce fut tout d'abord en achevant la lecture du Poètes d'aujourd'hui de Jean Quéval consacré à Max-Pol Fouchet. Le numéro 106 de la collection sorti en 1963. J'avais alors trois ans, autant dire que ce n'était pas une nouveauté que je tenais dans mes mains. Il faut que je dise deux mots sur Max-Pol Fouchet car je suis bien certain que ce nom ne dit plus grand chose à personne. Ecrivain, poète, critique d'art et homme de télévision à la grande époque de Lectures pour tous, il eut portant une notoriété certaine, et son oeuvre est considérable. Mais l'absence sans doute d'un titre marquant, d'un best-seller, l'a petit à petit fait tomber dans un injuste oubli. J'avais découvert son nom à travers la très intelligente postface qu'il écrivit pour Au-dessous du volcan, de Malcolm Lowry. Tiens, en voilà une oeuvre-phare, qui passe et passera encore gaillardement les décennies. Max-Pol Fouchet jetait sur ce roman flamboyant et énigmatique des lumières bienvenues pour le jeune lecteur que j'étais. On peut la relire encore cette postface, elle n'a pas pris une ride.



Ce n'est que l'année dernière que j'ai retrouvé Max-Pol Fouchet, avec une préface cette fois, à une autre oeuvre de premier plan, Entre les actes de Virginia Woolf. Je m'intéressai alors de plus près à l'écrivain, à sa biographie, découvrant qu'il était né le 1er mai 1913 à Saint-Vaast-la-Hougue. Son père l'avait fait baptiser laïquement en pleine mer, entre France et Angleterre, sur un voilier nommé Liberté, une goutte de calvados déposé sur la langue par les pêcheurs. Ce père, comédien devenu armateur, qui, parce qu'il ne voulait pas porter les armes, devint ambulancier en première ligne pendant la guerre de 14, et fut grièvement gazé près de Verdun pour avoir tenu à secourir des blessés allemands. Il ne retrouvera jamais la pleine santé et ira s'établir, comme on le lui avait conseillé, en Algérie, pays de soleil. A Alger, Max-Pol fera la connaissance d'Albert Camus, né la même année que lui. Une amitié forte qui se dissoudra pourtant quand Camus lui ravira sa fiancée, Simone Hié.

Il faudra une nouvelle rencontre d'apparence fortuite pour que je me penche enfin avec attention sur l'oeuvre du poète. L'occasion en fut donnée par le centenaire de cet autre poète, Henri Pichette, né à Châteauroux le 24 janvier 1924. L'ami Francis Labbaye, qui avait découvert Pichette il y a quelques années, voulait profiter de l'événement pour le faire un peu mieux connaître. Une lecture de textes fut programmée au Chauffoir le vendredi 24, et il m'offrit d'y participer. Nous nous vîmes deux semaines avant et décidâmes de deux ou trois poèmes que je pourrais lire. Il me prêta par la même occasion un petit livre rare, publié en 1950 chez L'Arche, qu'il avait eu beaucoup de peine à trouver : 


La Lettre Rouge était adressée à Max-Pol Fouchet. Pichette était alors un jeune homme de vingt-six ans, encore auréolé de la création de sa pièce Les Epiphanies, avec Gérard Philipe et Maria Casarès, au Théâtre des Noctambules (que Gérard Philipe avait loué à ses frais - la pièce  aurait dû être créée au Théâtre Édouard-VII, mais le directeur, Pierre Béteille, après avoir assisté à une répétition, avait déclaré  qu'elle n'était pas "dans la ligne" de son théâtre). On peut consulter sur cette affaire qui tourna au scandale un excellent dossier mis en ligne sur Gallica. J'en extrais ce seul article de René Barjavel, qui rend justice au talent du poète sans pour autant y voir une oeuvre théâtrale digne de ce nom :


La Lettre Rouge, écrite à Paris à l'été 1947, participe du même torrent verbal que les Epiphanies, avec la même luxuriance lexicale, le même verbe souvent vindicatif et batailleur. Juste un extrait qui donne le ton :
"IL FALLAIT, parmi les inexorables vaisseaux d'or et les bouteilles de sang, les lambris plaqués aux ciels de chaque hémisphère, et surtout dans la boue de ce siècle où l'atavisme compte des souteneurs navrants, IL FALLAIT pratiquer la levée du corps poétique. Ce sont les Epiphanies."
A cette épître souvent obscure, Max-Pol Fouchet, qui dirigea longtemps la revue poétique Fontaine, depuis Alger, pendant l'Occupation, en prenant parfois des risques certains, Max-Pol Fouchet donc répond longuement sur un ton beaucoup plus posé. Il reconnait le poète : "vous aviez le visage que j'attendais, celui d'un jeune barbare sonore bien acquis à réveiller le bruit lui-même. (...) Je salue vos poèmes comme des caravanes." Mais il ne s'en laisse pas conter : "Vous ne croyez pas au poème. J'y crois. Désespérément, sans doute, mais pleinement. [...] Dans Le point vélique, inédit encore, votre avance m'apparaît dans toute sa verdeur, au lieu que les comminations de Lettre rouge me laissent souvent aux franges de l'indécis." Il faudrait citer bien d'autres passages, et il est bien clair que la suite de l'œuvre de Pichette donne raison à Fouchet. Avec ses Odes offertes, ses Ditelis du rouge-gorge, Pichette renonça de glisser sur la pente où l'entraînaient ses Apoèmes - dont on peut d'ailleurs douter qu'ils se justifient pleinement du préfixe privatif.

Pour tout dire, je trouvai qu'il y avait dans la prose de Max-Pol Fouchet plus de poésie que chez Pichette, et plus de réelle pensée. Pour reprendre Barjavel, il y avait plus de graine chez l'un que chez l'autre. Mais je m'en veux maintenant de comparer, j'ai été heureux de dire le 24 janvier les poèmes de Pichette, et même un large extrait de l'un de ses Apoèmes, c'est un grand et authentique poète, mais c'est chez Fouchet que je cherchais maintenant substance et matière à méditation. J'allai à la médiathèque, faisais exfiltrer des magasins où bien sûr ils se reposaient,  deux livres, le Queval et un recueil de textes écrits par ses amis vingt ans après sa mort à Vézelay en 1980, Max-Pol Fouchet, ou le passeur de rêves, publié au Castor Astral.

Je suis bien loin de ma barque. L'ai-je oubliée ? Non, il a fallu ce long préambule pour situer son apparition, son épiphanie, pourrais-je dire. Dans cet extrait de Portugal des Voiles, récit de 1958, reproduit par Jean Quéval. Max-Pol y parlait de Nazaré, il n'était pas question de surf à l'époque, les seules planches qui prenaient la mer étaient alors celles des barques des pêcheurs :
"Ici, à Nazaré, l'homme et la mer ne font qu'un. A leur alliance ne préside nul romantisme, mais la seule dure nécessité de vivre. Au matin - voire au cours de la nuit, quand le chamador, celui qui épie le passage des bancs, frappe aux portes du village endormi pour l'avertir - les hommes retrouvent les barques. Elles sont lourdes, avec leur poupe carrée, leur avant massif, et bientôt plus lourdes, lorsqu'on y charge les filets. On doit les pousser vers l'eau. On s'arc-boute, on les force dans leur immobilité, avec les bras, les jambes, le dos, les reins. Au bord des vagues, c'est l'obstacle. L'Atlantique gonfle ses muscles, prêt à rejeter la coque qui l'affleure. Un combat commence, corps à corps."

Le poète était aussi photographe. Le passeur de rêves me donnait une de ses photos prises sur cette côte farouche.


*

En avais-je fini avec les barques ? Non, en ce dimanche solitaire, je me saoulai de lectures et revins vers la trilogie savoyarde de John Berger, que je déguste à petites lampées comme un génépi de haute lignée. C'était le dernier texte du second volume, Une fois en Europa. Ça ne se passait pas en montagne, mais à Venise, une escouade de musiciens du village y venait en car. L'un deux, Bruno, prend le vaporetto pour aller à une fête du parti communiste sur l'île de la Giudecca. Il y rencontre Marietta, une jeune fille de Mestre, aux sandales blanches et au chignon noir. Une idylle se noue, qui les conduit sur un quai pavé dominant la lagune vers Murano. Elle s'assit à l'arrière d'une gondole abandonnée. Il la rejoint. Les voilà allongés sur le tapis de jonc au fond de la gondole.

"Si on chavire, tu sais nager ? s'enquit-elle.
Non.
Oui, Bruno, oui, oui, oui...
Puis ils restèrent allongés sur le dos, pantelants.
Regarde les étoiles. Elles ne te donnent pas l'impression d'être tout petit ? dit-elle.
Les étoiles baissent les yeux vers nous, poursuivit-elle, et je pense parfois que tout, absolument tout sauf le meurtre, met si longtemps parce qu'elles sont très loin.
L'autre main de Bruno traînait dans l'eau. Elle lui mordit l'oreille.
Le monde change si lentement. La main mouillée de Bruno saisit un sein.
Un jour il n'y aura plus de classes. J'y crois, pas toi ? murmura-t-elle en attirant la tête de l'homme vers son autre sein.
Le bien et le mal ont toujours existé, dit-il.
Nous progressons, tu ne trouves pas ? 
Tous nos ancêtres ont posé la même question, dit-il, toi et moi ne saurons jamais  en cette vie pourquoi le monde est ainsi fait.
Il la pénétra encore. La gondole claqua contre l'eau, éclaboussa l'air." (p. 391-392)

 



samedi 3 février 2024

Klee

"Il faut insister sur ce point essentiel : soi est la porte d'entrée du mystère."

Stéphane Lambert, Paul Klee jusqu'au fond de l'avenir, aléa, 2021, p. 38

La tétralogie Ubac/Cash/Allu/Barq ayant été dûment consignée, il me faut opérer maintenant une petite remontée dans le temps. Jusqu'au 18 décembre. Une date qui n'a rien d'anodine pour moi, car c'est l'anniversaire de mon ami Eddy, alias Didou alias le Président. Il est de vingt jours plus jeune que moi, et nous nous connaissons depuis l'hiver 1969, où j'arrivai à l'école des garçons d'Aigurande après la mort brutale de mes grands-parents maternels dans un accident de voiture. L'amitié est une longue aventure. Nous ne manquons jamais de nous appeler aux jours anniversaires, lui qui est maintenant établi sur les rives du bassin d'Arcachon, moi toujours enraciné en Berry.

18 décembre donc, et puis ce jour-là de 2023, une vidéo sur Facebook me rappela que c'était aussi la date anniversaire de Paul Klee, né en 1879 à Münchenbuchsee (près de Berne en Suisse). Or, j'avais noté très peu de temps auparavant une double apparition du peintre, à la note 35 d'un essai de Paul Virilio, L'inertie polaire, * et à la page 350 de Mon année dans la baie de Personne, de Peter Handke, à l'intérieur du chapitre L'histoire du peintre : "Et avec les années, il put ensuite dire en variant la phrase de Paul Klee : "Le lointain et moi ne faisons qu'un, je suis peintre."**

Il n'en fallait pas plus pour que je me plonge enfin dans le bel ouvrage que Boris Friedewald a consacré à Klee, et qui se contentait depuis belle lurette d'occuper l'angle droit ou gauche de la table basse.


Mais c'est d'un autre livre que Paul Klee revint taper à ma porte. De John Berger, j'ai déjà raconté la découverte à Paris de sa trilogie Dans leur travail et la lecture dans la foulée de son grand roman G. Enthousiasmé par cette écriture, je passai le 4 janvier à la médiathèque pour emprunter deux autres volumes de John Berger, Le carnet de Bento et Photocopies (tous les deux étaient au magasin). Je commence ce dernier, un recueil de textes courts, séance tenante. Le douzième, Feuilles de papier dans l'herbe, évoque Marisa Camino, une artiste photographe et dessinatrice que Berger va rencontrer dans sa petite maison de Galice, non loin de l'Océan. Elle lui montre ses dessins en les posant dans l'herbe.

"Certains dessins sont des études préparatoires et d'autres des croquis pour des projets de chefs d'oeuvre. Il y a toutes sortes de dessins. Ceux qui sont maintenant dans l'herbe ont été tracés comme des lettres.
   La collection la plus remarquable de ces derniers - ceux écrits comme des lettres -, il faut la chercher au Kunstmuseum de Vienne, il sont été réalisés par Paul Klee entre 1927 et 1940. (Les années de mon enfance ; ce fut en 1940, l'année de sa mort, que j'ai vu pour la première fois la reproduction d'une peinture de Klee.) Ces dessins au crayon de Klee parlent, entre autres, de la montée du fascisme, de ses amours, de sa santé et de sa mort annoncée. Ils ressemblent à des lettres parce qu'ils donnent l'impression d'avoir été tracés sans que l'artiste ne lève une seule fois les yeux et que l'ami à qui ils s'adressent se trouve dans le papier même." (p. 84)

Klee revient un peu plus tard, quand John Berger explore à l'étage la chambre qui sert d'atelier de restauration (car Marisa Camino est également restauratrice et répare alors la volute cassée d'un autel doré et une statue de Vierge peinte du XVIIe siècle).

"Il y a un dessin, pas d'elle, mais de Klee, intitulé Chien poltron... Il montre un chien craintif devant un oiseau qui ressemble à une cigogne. La couardise de l'animal s'exprime à travers les griffonnages qui rendent confus les contours de son corps. Pour Klee chaque sensation passait par la main qui dessine. Dans la réalisation de ses dessins à elle, il n'y a pas de main, en apparence."

Je n'ai rien trouvé sur le net qui porte le titre de Chien poltron. Le dessin en question est certainement celui-ci, daté de 1926, mais intitulé Tierfabel (Vogel, Hund und Widder) - Fable animalière (oiseau, chien et bélier).


Photocopies a été publié pour la première fois en 1996, chez Bloomsbury, mais l'amitié entre John Berger et Marisa Camino a perduré et s'est même traduite par des oeuvres créées en commun, exposées en Espagne en 2006, au Círculo de Bellas Artes de Madrid (cf. catalogue de l'expo en pdf - la définition des oeuvres représentées est hélas très mauvaise).


Le 2 janvier, jour anniversaire de la mort de John Berger, sept ans plus tôt en 2017, je terminai l'essai de Boris Friedewald ainsi que le roman de Peter Handke. Mon ami Nunki Bartt publiait en même temps ce jour-là Trois billets sur l'au-delà, qui s'ouvrait sur le tableau de Klee, Grenzen des Verstandes  (Limite de la raison), 1927. Et ce n'était pas un clin d'oeil, je ne lui avais encore pas dit que j'étais immergé à ce moment-là dans l'oeuvre de Paul Klee.


_________________________

* Note 35 dans le récent recueil des essais de Paul Virilio, La fin du monde est un concept sans avenir. Et note 5 du chapitre IV dans le pdf que je mets ici en lien. Je ne comprends d'ailleurs pas pourquoi Virilio fait appel à Klee sur ce passage. Il n'y a pas de citation explicite, et je ne vois pas le rapport entre le peintre et le contenu même de la phrase. D'autre part, et ceci n'a rien à voir, c'est en visionnant ce document que je vis que le paragraphe suivant, séparé du précédent par des astérisques, évoquait un accident de la circulation, et je fus saisi à cette seconde même car cela venait en écho avec ce que je venais de rapporter dans mon article un instant auparavant.


** Handke écrit "en variant" car la phrase originale de Klee,  datant de son voyage en Tunisie au printemps de 1914, évoque non le lointain mais la couleur. "La couleur me possède, écrit-il alors dans son Journal. Je n'ai plus besoin de la rechercher. Voici ce que signifie ce moment heureux : moi et la couleur nous ne formons plus qu'un. Je suis peintre."

jeudi 1 février 2024

Barq

La dernière triade, la dernière règle de trois, renvoie une nouvelle fois à l'article de Philippe Lançon sur La Nuit morave de Peter Handke, publié le 16 juin 2011. Il me faut cette fois étendre un peu ma citation :

«Barque». Ce sont les alluvions qui portent le récit. Il dérive comme la péniche se déplace, jour après jour, entre les berges d'un pays abandonné. Ainsi échappe-t-elle aux «contrôleurs du fisc paneuropéens», comme le récit échappe à ceux du story-telling : «De même que l'un des jours de la semaine passée avait été proclamé Jour de la collecte des ordures forestières, nous aurions cette semaine-là la Nuit du contrôle fiscal, en référence au film la Nuit du chasseur, où Robert Mitchum, sur la rive d'un fleuve, sous le ciel étoilé, guette la barque où se sont réfugiés les enfants qu'il veut capturer ; de même la rive de la Morava était truffée cette nuit-là de milliers et de milliers de contrôleurs du fisc paneuropéens.»


Cette scène de l'unique film de Charles Laughton, où l'innocence est poursuivie par le mal, est l'une des plus grandioses de l'histoire du cinéma. La poésie y côtoie l'horreur, comme dans la plupart des contes anciens. Lançon parle d'alluvions qui portent le récit, ce qui constituait pour moi une résonance particulière, mais c'est le mot qui précédait, Barque, sous-titre de paragraphe de l'article, qui aussitôt fit signe. Car dans une triade précédente, la barque était hautement présente, figurant sur la couverture de ce fabuleux roman de l'écossais John Burnside, L'été des noyés.


La raison d'être de cette image est donnée dès l'incipit du livre (dont la première édition en anglais est de 2011) :

"Fin mai 2001, une dizaine de jours après que je l'avais vu pour la dernière fois, on remonta Mats Sigfridsson du fond du détroit de Malangen, plus bas sur la côte, à quelques kilomètres d'ici. On dit qu'il avait dû tomber à l'eau à Skognes, puis redescendre avec le courant jusqu'à la jetée proche de Straumsbukta, non loin de l'endroit où il vivait... et je ne me plais à penser que la mer prit en pitié le pauvre enfant qu'elle avait tué, et s'apprêtait à le déposer chez lui quand un pêcheur en aperçut la tignasse caractéristique, presque blanche, dans le crépuscule de l'été, sur quoi, avec le soin, la tristesse qui s'imposent, et la compétence de l'habitude, il le ramena sur la grève. Plus tard, on retrouva un canot dérivant dans le détroit, à mi-chemin entre Kvaløya et le chenal de navigation où les grand navires de croisière et de fret en provenance de Tromsø glissent vers le large." (p. 13)

Le 20 janvier, je notais cette résonance mais c'est le lendemain que le troisième élément s'imposa : je lus en effet ce grand classique de la littérature de jeunesse, qu'il me semblait avoir toujours connu mais que j'avais toujours ignoré jusque-là : L'enfant et la rivière d'Henri Bosco. Non pas que je me fusse soudain décidé à combler une lacune regrettable, mais pour la bonne raison que ce livre avait été choisi par l'un des détenus que j'accompagne pour Lire pour en sortir. Et qu'il fallait donc que je le lise attentivement pour pouvoir en discuter par la suite.


Avec cette lecture où je me plonge alors sans a priori, c'est aussitôt un délice. Et très vite je me dis que je suis bien au-delà d'un simple livre de littérature scolaire, que cette réduction est un piège, auquel les plus grands esprits ne se sont pas laissés prendre, ainsi Gaston Bachelard, l'auteur de L'eau et les rêves, appelait Bosco "le plus grand rêveur de notre temps", affirmant qu'il "voudrait vivre sans fin dans le monde d'Henri Bosco". Le dernier livre publié du vivant du philosophe, La flamme d'une chandelle (1961), est dédié à l'écrivain, et leur correspondance, commencée tard, en 1956, ne s'arrêta qu'avec la mort de Bachelard. 

Comme dans La Nuit du chasseur, comme dans L'été des noyés, la rivière, l'eau associent les enfants au danger. Ceci est très clair dès le début du récit :

"  Mon père m'avait averti :
- Amuse-toi, va où tu veux. Ce n'est pas la place qui te manque. Mais je te défends de courir du côté de la rivière.
   Et ma mère avait ajouté :
- A la rivière, mon enfant, il y a des trous morts où l'on se noie, des serpents parmi les roseaux et des Bohémiens sur les rives.
  Il n'en fallait pas plus pour me faire rêver de la rivière. Quand j'y pensais, la peur me soufflait dans le dos, mais j'avais un désir violent de la connaître."

Cette rivière, qui revêt les traits de la Durance de l'enfance de Bosco, le narrateur, le jeune Pascalet parvenu à l'âge mûr, profitera d'une absence de ses parents pour la découvrir. A sa deuxième incursion sur ses rives, il trouve une cabane, qu'il devine être celle du taciturne braconnier Bargabot, qui vient parfois porter sa pêche à la maison. Sur une petite plage, sous la baraque montée sur pilotis, est amarrée une barque. Il y monte avec précaution, s'y installe, s'abandonne à la contemplation des eaux glissantes, et soudain s'aperçoit qu'il part à la dérive, emporté par le flot puissant. C'est le début d'une aventure de dix jours, de la délivrance de Gatzo, prisonnier des Bohémiens, de leur séjour sur les eaux dormantes, où toujours la barque est le véhicule de leurs errances.

"Dès lors, j'attendais mon destin. Je savais bien que c'était là ma dernière nuit de sommeil dans le monde des eaux dormantes. Aussi, je voulais la dormir comme j'avais dormi les autres, allongé sur le dos, dans le fond de ma barque, respirant à travers les planches l'odeur nocturne de l'eau douce, d'où je tirais, malgré la menace des songes, tant de paix, tant de repos.
Le soleil était déjà haut quand je m'éveillai. Avant même d'ouvrir les yeux, je compris que quelqu'un était avec moi dans la barque."

Il s'agit de Bargabot, qui ramène Pascalet à la métairie familiale, après une belle descente de rivière ("Tout respirait la joie : Bargabot, les flots aérés, la brise qui soufflait à la bonne fortune, le ciel rayé d'oiseaux et le grand poudroiement des terres riveraines qui fumaient, attiédis déjà par le soleil, en pleine matinée, entre les eaux et les collines d'un bleu vif.") et une dernière nuit à la belle étoile.


Xavier Coste, L'enfant et la rivière, adaptation en BD, Sarbacane, 2018.

Plus que la barque, c'est donc le couple enfant/barque qui signe cette dernière triade issue du 20 janvier.

NB : Le motif de la barque resurgit plusieurs fois dans les jours qui suivirent. Le 25 janvier, ce fut une barque de Marc Chagall qui traversa un fil d'informations, et que je n'eus pas le réflexe d'enregistrer. Puis, le 30 janvier, regardant la première partie de Shoah de Claude Lanzmann, je fus interloqué par le passage de cette autre barque :


Mais la rencontre la plus étonnante fut celle qui eut lieu un peu plus tôt le même jour, dans la maison-atelier de Nunki Bartt. Nous y étions passés car il voulait y récupérer son exemplaire des Emigrants, de W.G. Sebald, qui se joue en ce moment à l'Odéon, adapté et mis en scène par Krystian Lupa. De son  riche rayon de littérature germanique, il me sortit alors l'essai sur Peter Handke écrit par l'un de ses traducteurs, G.-A. Arthur Goldschmidt, paru dans la collection Les Contemporains, au Seuil (1988). Dans l'iconographie du livre, page 139, il y avait cette photographie, prise en 1974, de Peter Handke avec sa fille, dans une barque du Jardin d'acclimatation.