mercredi 24 avril 2024

La bonite et le trader

De ma petite excursion sur les marais de Bourges, je ne tardai pas à en informer ma vieille amie du Marais poitevin, Nadine, qui vit à Coulon, au coeur même de ce pays magnifique dont elle connaît maintenant tous les recoins. Elle était revenue récemment en Berry où, après avoir passé quelque temps avec son frère Jean, établi non loin du signal de Fragne, le plus haut point du département de l'Indre (à l'altitude invraisemblable de 459 m), nous nous étions rejoints à Cluis pour une longue promenade autour du village avant, le lendemain, d'aller sur le causse de Pouligny où le Suin en furie était sorti de ses gouffres. Cette semaine-là, son compagnon, passionné de pêche, était avec des copains sur l'île d'Aix. Pêche peu fructueuse, d'après les nouvelles qu'elle en avait, enfin, tout de même, elle apprit qu'il avait pris une bonite. Je ne savais pas ce qu'était une bonite. Wikipedia me dit que la "Bonite est le nom vernaculaire donné à plusieurs espèces de poissons de la famille des Scombridés (Scombridae). Cette famille comprend principalement, outre les bonites, les maquereaux, les thazards, et les différentes espèces de thons au sens strict."

Or, quelques jours plus tard je retrouvai la bonite lors de la lecture de La mer déchaînée d'Achab : une histoire naturelle de Moby Dick, de Richard J. King (La Baconnière, 2023), un essai qui étudie les sources scientifiques de Melville, et compare ses connaissances avec celles que nous possédons aujourd'hui de l'univers marin. 


Cet essai, qui s'appuie sur de multiples rencontres avec des spécialistes de la navigation et de la biologie marine, je le lis aussi lentement que j'ai lu Moby Dick, chapitre après chapitre. Et c'est au chapitre 10, "Espadons et parages animés", que King cite cet extrait des écrits du chirurgien Beale où il décrit les  eaux chiliennes dans lesquelles naviguait le baleinier à bord duquel il s'était embarqué :
"Le rivage accidenté et désert était enclavé dans le vaste océan, qui grouillait à présent de créatures vivantes. La baleine à bosse folâtrait dans les eaux lisses, sa peau polie scintillant sous les rayons du soleil caniculaire ; les phoques aussi, à une courte distance du rivage, reposaient comme endormis sur sa surface, se prélassant dans la chaleur. Des centaines de grands germons et de bonites [deux espèces de thons] entouraient à présent notre navire et donnaient du blé à moudre à ceux qui, exemptés des tâches sur le bateau, les attrapaient avec un crochet. [...] Le féroce espadon faisait fréquemment son apparition, au grand effroi de la bonite et du germon, qui plongeaient dans l'élément liquide avec une incroyable vélocité pour échapper à leurs voraces poursuivants." (p. 166)

C'est ce même jour, mardi 9 avril, que j'avais emprunté à la médiathèque le De la vida mía, de Miquel Barceló. Or, je retrouvai une nouvelle fois la bonite (bonitol), associée à l'espadon (peix espada) dans une double page dessinée, associant figurations et noms des poissons en catalan :


"J'ai appris très tôt le nom des poissons, raconte Barceló. Je les ai souvent peints. Pêchés et peints. Mangés et peints. Pêchés et mangés."(p. 63)

Ces souvenirs-là sont liés intimement à son île de Majorque. "Majorque, dit-il, est mon île de naissance, je suis né d'elle. J'ai tout appris de mon enfance. La mer, c'est ma respiration. Mon corps fait partie de la nature. "(cité par Colette Fellous, en avant-propos du livre)

Majorque. Je ne peux m'empêcher pour finir de repenser à ce vieux loup de mer que nous avons rencontré en allant justement nous promener du côté du Fragne le dimanche 7 avril. J'étais avec le Doc et Nunki Bartt. Après avoir déjeuné (notamment d'un excellent pâté de Pâques) au Moulin Barbaud, nous avions coupé par Briantes et Vaudouan pour nous rendre à Pouligny Notre-Dame. La voiture garée dans le hameau du Fragne, nous montions à pied vers le Terrier Randoin (l'autre nom du signal de Fragne) et sommes passés devant la maison d'un certain Jef, que le Doc connaissait. Il était là en train de bricoler, et nous convia à venir boire un petit coup de rosé, au milieu des ses quatre coqs et d'une pauvre poule esseulée. Il nous accompagna ensuite sur les sentiers du Fragne (nous n'allâmes pas jusqu'au sommet, encombré qu'il est de conifères qui bouchent tous les horizons). Ce pays il l'aimait beaucoup, lui qui était originaire de Perpignan et ne devait de résider ici qu'à la rencontre de gens du coin croisés par un hasard malicieux. Il avait beaucoup bourlingué et, si j'ai bien compris, il avait habité quelque temps à Majorque (je n'avais pas encore lu le livre de Barceló). Et c'est quand nous arrivâmes près de ce vieux car qui servait, disait-il, d'abri aux chasseurs, qu'il parla de ce trader majorquin de ses amis, qui était venu ici lui rendre visite. "Un trader réputé, un escroc quoi."


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