lundi 15 janvier 2024

Elijah ou le tableau du peintre juif

J'ai déjà dit comment mes rêves échappaient parfois à la seule dimension visuelle. Alors que les images se dissolvent au réveil, il arrive que des mots, des noms, des phrases demeurent présents à l'esprit, irréductibles, irréfragables. Il en fut ainsi de Augenblick en 2016, de l'alexandrin "Sous le soleil tapi à l'ombre de tes os" en 2018,  de "Il est sept ores, Cogitore" en 2019, de la "roche murmurante" en 2021, du "rat rhumeux de l'Atlantique" en 2023 (on voit tout de même que ce sont des phénomènes rares), et voici qu'au matin du 11 janvier je fus subitement réveillé à 6 h 37 non pas par une vision horrifique, le terminus angoissé d'un cauchemar, non, pas du tout, tout au contraire j'étais saisi d'un grand calme, et au coeur de ce grand calme il y avait un nom : Elijah. En revanche, ce à quoi il se rapportait était extrêmement confus, incertain. Elijah aurait été le nom d'un autiste abattu par un soldat israélien. Je dis bien "aurait été". Cette histoire charriée par le réveil je n'en avais aucune certitude. Mais Elijah, lui, s'imposait. Je lui trouvais bien sûr un air biblique, sans doute l'avais-je déjà rencontré, mais je n'étais sûr de rien au sujet de sa signification. Aussi ai-je fait immédiatement une recherche sur le smartphone.

Elijah est un prénom qui provient de l'hébreu ancien  אֵלִיָּהוĒliyahū (« Mon dieu est Yaveh »). C'est un équivalent de Elie, l'un des prophètes majeurs d'Israël, le plus fréquemment cité dans le Nouveau Testament. Dans les trois évangiles synoptiques, Élie accompagne Moïse et Jésus dans l'épisode dit de la « transfiguration » : « Et voilà que pendant sa prière, la forme visible de son visage s'altère, avec ses vêtements d'un blanc éblouissant comme l'éclair. / Et voyez ! deux hommes entrent en conversation avec lui ! / Ce sont Moïse et Elie. / Eux, apparition visible, parlaient de son exode qu'il allait accomplir à Jérusalem." (Luc, 9, 29-32, trad. Frédéric Boyer)

Carte postale de la « grotte d’Élie » dans le monastère Stella Maris de Haïfa (Elie désigné ici comme Elijah)

Bon, ceci dit, je n'ai aucune interprétation à proposer de ce rêve. Bien sûr, ce soldat israélien qui abat Elijah était troublant, et sans doute était-ce là un écho au terrible drame de Gaza, mais que dire de plus ? Et pourquoi un autiste ? 

La journée passe, avec une balade dans la Vallée verte avec l'ami Bartt et son chien Moon, puis le rendez-vous à la centrale de Saint-Maur afin de poursuivre la lecture de John Fante avec quelques  détenus. C'est là qu'Eric, avec qui j'assure cette intervention, me donne le livre de l'auteur que nous avons bientôt recevoir dans cette même centrale : Le tableau du peintre juif de Benoît Séverac.

Au retour de Saint-Maur, j'en commence la lecture, mais ce n'est qu'un peu plus tard que je m'avise que ce roman policier n'est pas sans rapport avec mon rêve.


Voici le texte de présentation de l'éditeur, La manufacture de livres

"L’oncle et la tante de Stéphane vident leur appartement et lui proposent de venir récupérer quelques souvenirs :

- Tu pourrais prendre le tableau du peintre juif.

- Qu’est-ce que c’est que cette histoire ? Quel peintre juif ?

- Celui que tes grands-parents ont caché dans leur grenier pendant la guerre.

C’est ainsi que Stéphane découvre un pan de l’histoire familiale complètement ignoré. Eli Trudel, célèbre peintre, aurait été hébergé pendant l’Occupation par ses grands-parents, le tableau est la preuve de sa reconnaissance et Stéphane en hérite aujourd’hui. La vente de cette œuvre de maître pourrait être un nouveau départ pour son couple mais Stéphane n’a plus qu’une obsession : offrir à ses grands-parents la reconnaissance qu’ils méritent... Cependant, quand le tableau est présenté aux experts à Jérusalem, Stéphane est placé en garde à vue, traité en criminel : l’œuvre aurait été volée à son auteur. Quel secret recèle cette toile ? Que s’est-il vraiment passé dans les Cévennes, en hiver 1943, pendant la fuite éperdue d’Eli Trudel et de sa femme ?" (C'est moi qui souligne)

Le peintre juif de ce polar se nomme Eli Trudel.

Le nom est complètement fictif, seul le tableau est réel, comme le précise l'auteur dans une note à la fin du volume. Sous l’Occupation, ses grands-parents ont bien caché un peintre juif, Willy Eisenschitz (Vienne 1889 - Paris 1974), dans le grenier de leur maison cévenole, mais il a survécu et a offert plus tard à ses sauveurs une de ses oeuvres.

Willy Eisenschitz, 21 ans, devant l'une de ses oeuvres.

Je n'ai pas retrouvé l'aquarelle reproduite à la fin du livre (elle n'est jamais décrite dans le roman), mais voici un paysage de Dieulefit qui s'en approche :


Mais je me suis obstiné quelque peu et voici la toile inspiratrice :


L'autiste de mon rêve était peut-être plus simplement un artiste ? Je relève que si Willy Eisenschitz survécut à la traque des nazis, ce ne fut pas le cas de son fils David qui, entré dans la Résistance, fut arrêté en 1944. Déporté, il mourra du typhus au camp de Neuengamme, dans les faubourgs de Hambourg. Il avait 28 ans.

David Eisenschitz, peint par Willy (1924)


1 commentaire:

fredologie a dit…

merci pour cette évocation de willy eisenschitz, dont le neveu, bernard, ne vous est peut-être pas inconnu. ses écrits sur le cinéma figurent parmi les plus brillants, et ses apparitions dans certains films majeurs ont contribué à en faire une figure familière.
son fils aussi se nomme david, comme ce défunt cousin dont vous avez retrouvé la peinture.