jeudi 28 février 2019

La vie est un songe

Au matin suivant la rédaction de l'article sur la luciole au valet de carreau, j'ai fait un rêve étonnant, dominé par une phrase : "Il est sept ores, Cogitore." Aussitôt, au réveil, je pense à la célèbre réplique d'Yves Montand à Louis de Funès dans La folie des grandeurs de Gérard Oury : "C'est l'or… il est l'or… l'or de se réveiller… Monseignor… il est huit or…"


J'ai toujours plaisir à revoir cette scène où de Funès/Salluste est irrésistible en Picsou à bonnet de nuit. Mais bon, dans mon rêve, il est question de Cogitore. Il ne peut s'agir que de Clément Cogitore, jeune cinéaste français nominé récemment aux César pour deux courts-métrage (nominé seulement, on lui a préféré Les petites mains de Rémi Allier). Il a cette particularité de travailler dans les deux univers du cinéma et de l'art contemporain, en alternant les films et les expositions personnelles. Dans le rêve, j'imaginais qu'en zoomant sur les nudités féminines de ses œuvres, on débouchait sur des trous de serrure. La référence de cette image n'était là encore pas difficile à trouver : j'avais remarqué que certains visiteurs du site avaient consulté récemment un article déjà ancien du 14 février 2012, intitulé justement Trou de serrure. Je l'avais relu : j'y faisais le lien entre le motif des trous de serrure, mis en exergue par Paul Cox dans son blog Jeu de construction, avec le trou de serrure de l'église Saint-Génitour au Blanc, que j'avais filmé le week-end précédent.


Ce trou de serrure a évidemment une connotation sexuelle et doit être mis en relation avec l'étude de Dimitri Karadimas évoqué lors de l'article sur la luciole. Avant d’aborder l’analyse de l'Annonciation de Francesco del Cossa, l'anthropologue avait montré les caractéristiques d'une image "renaissante" à travers une gravure de Heinrich Aldegrever datée de 1553 et intitulée Die Nacht, sur laquelle apparaît une jeune femme nue endormie.

Gravure Die Nacht, Heinrich Aldegrever, 1553, British Museum
"Ce même point central constitué par la pliure du genou sur lequel repose le majeur de la main gauche est à la croisée d’une dernière ligne qui passe par la vulve apparente, rejoint l’étoile dans le ciel avant de rallier la lune. Ensuite, le majeur de la main droite est à l’horizontale du gros orteil dressé et du sexe féminin pour lequel il semble jouer le rôle de l’organe de plaisir que le geste la main droite fait mine de stimuler. Enfin, la partie visible de l’aisselle a été dessinée de façon à prendre l’aspect d’une vulve.
Sous le couvert d’une jeune femme endormie, l’ensemble de la composition est ainsi une description de l’accès nocturne à des plaisirs solitaires, et de ses excès, ce que la citation latine d’Ovide gravée sur le fronton du lit rappelle Nox et amor vinumque nihil moderabile suadent « Ni la nuit, ni l’amour, ni le vin n’engagent à la modération »."
Sans entrer ici dans le détail (il faut lire l'étude, elle est passionnante), il importe juste de savoir que Karadimas entend montrer que la construction de l’œuvre de Cossa intègre différentes métaphores visuelles de l’organe de plaisir féminin en les plaçant le long de lignes, ou en les répartissant de telle façon qu’elles donnent sens au thème religieux traité. 

Annonciation et Nativité,
Francesco del Cossa, 1470, Gemäldegalerie Alte Meister, Dresde.

Clément Cogitore a déjà une entrée dans Alluvions, à la date du 19 octobre 2015 : Ni le ciel ni la terre, article traitant de son film présenté alors à l'Apollo en sa présence. Or, il contient aussi deux figurations de l'Annonciation, celle de Fra Angelico (qui constituait le fond de scène d'un spectacle de Yannick Jaulin vu à la même époque), et celle de Cogitore sous la forme d'une photographie de 2012.

Annonciation, 2012, Photographie, C-Print, 120×100 cm

L'affaire ne s'achève pas là. Ce matin, nouveau rêve où je réalise au réveil que Clément Cogitore n'est pas mort. Tant mieux pour lui, car je sais qu'il y eut un moment où je pensais qu'il s'était suicidé. L'image que j'avais de lui se suicidant (je ne sais par quel moyen) était un songe. Ce qui est troublant c'est que j'ai l'impression que ce songe n'était pas d'aujourd'hui, qu'il remontait peut-être à hier (mais je n'en suis absolument pas sûr). Je vérifie même ce matin sur l'ipad que le jeune cinéaste est bien vivant. Il y eut comme une sorte de confusion entre le rêve et la réalité qui fait directement écho à la pièce que j'ai vue hier soir à Equinoxe : La vie est un songe, de Pedro Calderón de La Barca (pièce jouée avec Théatralacs, il y a bien longtemps - je tenais le rôle du valet Clairon).


Il n'est sans doute pas anodin que l'Espagne soit encore bien présente dans ce billet, que ce soit à travers Calderón ou à travers La Folie des grandeurs (inspiré du Ruy Blas de Hugo).

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