mardi 24 novembre 2020

Sent vibrer en lui la divinité du vertige

"Ce fut comme un long orage où tous prirent peur. Quand les premiers livres typographiques sortirent des premières presses de l'Histoire de l'Europe du Nord, sur les bords de l'Ill, toutes les sociétés d'Europe voulurent les interdire. La lecture individuelle souffla comme une tempête. La psychè à l'état libre fit peur à l'ensemble des régimes, des hiérarchies religieuses, des groupes communautaires si inconsciemment associés à leur langue. Le roi Louis XI envoya un homme à Strasbourg, là où avait été écrite pour la première fois la langue française sous la main du comte Nithard, en sorte de s'attacher les imprimeurs."

Pascal Quignard, L'Homme aux trois lettres, Grasset, 2020, p. 163.

Nithard, au coeur du roman Les Larmes (2016) de Pascal Quignard, resurgit donc dans le dernier tome publié de la série Le Dernier royaume (XI), dont j'ai achevé récemment la lecture. Il y évoque donc Louis XI, qu'il nomme "seul grand roi de la lettrure" : "La coiffe de drap gris, la modestie errante, le hibou nocturne, Louis XI est le seul roi de France qui aimât lire." Et qui prit la défense des imprimeurs, assurant vouloir les protéger de l'imputation de sorcellerie dont on commençait à les soupçonner. Il autorise le Savoyard Guillaume Fichet (1433-1480), socius de la Sorbonne, docteur en théologie en 1469, et le Rhénan Jean Heynlin, également docteur en théologie et alors prieur de Sorbonne, à établir un atelier d’imprimerie dans le prestigieux Collège.*

C'est dans ce livre encore que je retrouvai le vertige, dont j'ai cessé d'inventorier les apparitions, mais qui demeure si prégnant que parfois j'en conçois quelques regrets. Là, c'est dans un paragraphe isolé de la page 126 :

"Ce qui me retenait dans le classicisme français, c'est qu'il présentait une esthétique qui ne reconnaissait aucun autre but à la création littéraire que la lecture.
Dans le classicisme ce n'est pas à Dieu que s'adresse le livre, c'est au lecteur.
Le lecteur comme vertige.
Le lecteur est le vertige propre à la littérature classique. (Dans la littérature romantique, le livre, c'est l'auteur.)"

Vertige que l'on débusque encore dans l'entretien que Quignard a accordé à Libération (édition du 21/22 novembre) :

"Être au onzième tome d'un grand œuvre, n'est-ce pas être sur une voie ?

Non, c'est un état d'immersion. La pensée construite volontaire n'est pas pour moi. Ni le rêve absolu, rêver pour les autres, car je ne suis pas chamane. Mais les états d'absorption, de contemplation, des états où l'on perd le sens du temps... Se retrouver dans une bulle étrange, c'est ce qu'on appelle en psychiatrie la quatrième état, c'est ça qui m'intéresse. Ce n'est pas l'hypnose non plus qui est lié au langage Mais c'est un état d'engloutissement, le bonheur. C'est ça que je cherche, depuis tout petit enfant.

Etait-ce un refuge ?

Ce n'est pas un refuge, mais un vertige, une extase. Autant s'occuper de la mort, je trouve cela douteux, autant se laisser absorber complètement par la sensation, par le sensoriel, je trouve cela parfaitement magnifique."

Le vertige c'est encore ce qui clôt la septième partie du premier texte de Jean Epstein dans ses Écrits complets, ce Mage d'Ecbatane où l'Eau invoque la Lune :

"O Lune, je suis l'Eau ; je suis grande et je teins ma robe aux couleurs de tes songes.
Et seule tu sais pourquoi l'homme à me regarder longtemps couler sent vibrer en lui la divinité du vertige." (p. 41)
Coeur fidèle, Jean Epstein

Et enfin, le vertige est une nouvelle fois au coeur du propos de Camille de Toledo dans l'émission de France Culture, La Suite dans les idées, de Sylvain Bourmeau, du 21 novembre dernier (vous pouvez écouter à partir de la 35ème minute), qui traitait de la question de l'identité :

"Pour finir avec une question qui, moi, m'inspire beaucoup... Moi, vous savez, j'ai travaillé pendant des années sur la notion de vertige (...) Je parle de vertige, certains parlent de trouble. Et dans ces études, ce travail de thèse sur le vertige, vertige des noms avec Pessoa, vertige de la fiction avec le Quichotte, vertige des temps avec Sebald, vertige de l'indice documentaire, de l'usage de l'archive même chez Sebald, tout ce travail je l'ai fait pour qu'on comprenne les opérations que j'accomplis dans Thésée, pour qu'elles servent de soubassement théorique. Et une des questions que je me posais sans cesse dans ce travail sur le vertige, c'était une question en rapport avec le Quichotte. Le Quichotte est un devenir, il requalifie le monde sans cesse par la fiction et il se débat avec un réel que Sancho Panza ne cesse de ramener, et à la fin de sa vie - et c'est avec ça que je pourrais peut-être terminer -, à la fin de sa vie, je me demande : est-ce que c'est le Quichotte qui meurt ou est-ce que c'est l'état-civil du sieur Quixada de la Manche, cet hidalgo qui a rompu avec son lieu, sa bibliothèque, avec sa maison pour se faire chevalier errant ? Et voilà, pour moi, l'essentiel de la vie du Quichotte tient dans cette requalification par la fiction, requalification du monde."

Don Quichotte et Sancho Panza traversant la Sierra Morena

_______________________

* Les imprimeurs exprimèrent à Louis XI leur reconnaissance pour son accueil bienveillant et lui firent l'hommage de leurs personnes et de leur industrie : « On nous traite ici à Paris, ville capitale de votre royaume, non comme des gens du pays, des habitants ou de simples hôtes, mais comme des bourgeois jouissant de toutes leurs libertés. Ce traitement est si doux, que nulle part, nous ne saurions trouver une plus grande liberté que celle dont nous jouissons à présent, grâce à vous, Roi très pieux, nous qui, uniquement soutenus par votre clémence, avons le plus vif plaisir de contribuer à l'illustration de votre très heureux règne en imprimant des livres. » Le roi accorda plus tard leur naturalisation. Voir ici.


jeudi 19 novembre 2020

La barque de l'aube

"La barque acquise à Saint-Nazaire, toilettée, le bagage pensé, l'itinéraire établi, il restait l'inutile. Dadais de nous : une bibliographie prescrite (Au cœur des ténèbres, Les Eaux étroites, L'Arbre sur la rivière, Sept jours sur le fleuve, etc.), doublée d'une indigeste filmographie. Trois hommes en bateau. Nous n'en lûmes aucun, ne revîmes aucun des films."

Michel Jullien, Intervalles de Loire, Verdier, p. 21.

J'ai fini l'autre jour sur la barque de l'aube de Françoise Ascal, et je me propose donc de poursuivre sur ce motif, d'embarquer en quelque sorte dans le sillage de ce bateau minimal, si humble que ses usagers, le plus souvent épisodiques, ne sauraient prétendre au titre de marin, marinier ou même batelier. Non, le quidam qui mène sa barque est l'antithèse parfaite du skipper du Vendée Globe. C'est peu dire qu'il ne recherche pas l'exploit. Et c'est bien ainsi que l'entend Michel Jullien, avec son récit Intervalles de Loire qui conte, dans une langue finement ouvragée, sa descente de Loire avec deux amis. Défi parti d’une boutade, lors d'une soirée arrosée dans la Nièvre où l'écrivain possède une modeste maison de campagne : "(...) alors que nous avions profité le matin du spectacle de la Loire à Nevers, l’un de nous lança l’idée un peu potache de descendre le fleuve à la rame, une façon de fêter nos 50 ans – nous en avions tous trois 49. Pari tenu un an plus tard, depuis la commune d’Andrézieux à hauteur de Saint-Étienne jusqu’à l’océan, soit 850 kilomètres en vingt-six jours sans jamais s’arrêter dans des hôtels ou les campings, vingt-six nuits sous les étoiles."

Michel Jullien avoue avoir tenu un carnet de bord, mais il n'a rien gardé ou presque de cette centaine de pages : "Intervalles de Loire se veut un récit anti-sportif dans lequel l’action est systématiquement remplacée par des impressions. Le livre a bien un début, un départ, les premiers coups de rame sont dans les premières pages et il a une fin – la rencontre de l’océan –, mais entre les deux tout est dans le désordre, les étapes ne sont pas linéaires, les villes n’apparaissent pas dans l’ordre qu’elles ont en effet sur la carte de géographie, les paysages non plus, les jours ne sont pas marqués ni les temps de la journée. Il ne faut pas s’attendre à des « petits drames », à du sensationnel ou à un quelconque suspens. Des trois que nous sommes à bord il n’y a aucun visage, aucune matérialité des êtres, nos noms ne sont pas donnés, comme si nous ne formions qu’un seul individu."  


J'ai lu ce livre en même temps que l'autre Verdier, le Thésée de Camille de Toledo. Pas grand chose à voir entre les deux livres, assurément, mais malgré son ton plus badin, infiniment moins douloureux, il s'échappe parfois de ce périple mineur quelques notations de belle profondeur, qui ne sont pas sans lien avec certaine récente méditation sur les rivières. Cela se trouve page 45, dans la section intitulée Jusqu'à Mitchum, où l'auteur parle de cet appel à l'enfance jeté par la rivière : "Les longues routes sont l'affaire des adultes - ils disposent d'élucubrations, d'engins réservés à leur âge, les voitures, les rails, jusqu'aux avions. La rivière, elle, pourrait être ce grand itinéraire donné à l'initiative d'un enfant, proposé à ses seuls moyens. (...) Henri Bosco et d'autres auront usé de cette vieille métaphore des rivières, le voyage initiatique, l'eau défendue, la transgression devant quoi l'enfant va mesurer les risques d'une autre vie ou le prochain miroir de la sienne, dérouler son destin dans les remous ou le domestiquer avant la lettre." Et d'évoquer La Nuit du chasseur de Charles Laughton, ce chef d’œuvre unique, où les enfants John et Pearl sont traqués par le révérend Harry Powell : " Muette comme une carpe, la rivière est pour eux le sillon inviolable, comme sacré, un blanc-seing, un fil où les gamins tiennent à distance la poursuite par le seul abandon de l'eau, sans même se diriger, se soustraient aux hurlées meurtrières de Robert Mitchum, inatteignables dans leur canot de bois."


Dans L'obstination du perce-neige, Françoise Ascal cite ici et là Pascal Quignard. Ainsi le 24 mai 2017, elle écrit : "Pensé à Pascal Quignard et à son révérend qui notait les sons des oiseaux bien avant Messiaen, mais aussi le son des objets du quotidien, celui de la goutte d'eau du robinet qui fuit et tombe dans le seau." Il doit s'agir de ce texte paru la même année 2017, Dans ce jardin qu'on aimait, et que j'ai lu en mars 2019, dans l'édition Folio. Le reparcourant aujourd'hui à cette occasion, je tombe sur cette page où il est dit : "Le révérend tient entre ses mains une petite merlette blessée qui palpite et se plaint." Et qui fait remonter cette riche thématique du merle, et plus largement de l'oiseau noir, qui a surgi en août dernier.

Mais c'est un autre opus de Quignard que j'ai fini ces jours-ci, un roman, Les Larmes, que j'avais acheté à sa parution en 2016 mais que je n'avais pas terminé, pour une raison qui m'échappe aujourd'hui. Je l'ai repris parce qu'il me souvenait qu'il évoquait longuement Nithard, petit-fils de Charlemagne, historien qui a transmis à la postérité les Serments de Strasbourg (842), considéré comme le plus ancien écrit en langue française, événement ouvrant justement une passionnante histoire de la phrase française, ouvrage collectif sous la direction de Gilles Siouffi, publié en octobre chez Actes Sud en collaboration avec l'Imprimerie nationale.


Sans cette étude de la phrase française, je n'eusse pas repris Les Larmes, et sans Les Larmes, je ne serais pas tombé sur ce passage où le calife Harun al-Rachid arrive nuitamment sur la rive du Tigre :

"Le batelier, qui était très âgé, lissa sa barbe blanche. Il ne réfléchit pas longtemps parce que le calife Harun al-Rachid le gifla avec violence.

Alors Hagus se remit debout, en vacillant, sur le plancher de sa barque. Il alluma sa lanterne et la fixa avec peine au crochet qui était fixé sur le mât, il s'assit sur le banc au fond de sa barque et saisit le gouvernail et c'est ainsi que dans la nuit ils longèrent les rives jusqu'à l'aube.

Au retour, Mazrur le bourreau de Bagdad, décapita le vieux nautonnier qui s'appelait Hagus." (p. 69)

Il y avait la barque, il y avait l'aube. C'était ascalien en diable. Et quignardien extrêmement, car l'aube est un motif central chez l'écrivain, ce dont témoigne à l'envi les dernières pages. Ainsi, page 206, peut-on lire :

"Mais un jour l'aube fut faite de silence.

Tous les animaux s'avancèrent sur la berge et entourèrent une tête  rompue qui tournoyait dans les remous de l'eau.

Alors un petit merle tout noir, qui avait un bec plus blanc que jaune, les pieds comme pris dans un lacet de femmes amoureuses, siffla un chant indiciblement beau devant l'écureuil, le chat, la vipère d'eau, le cygne qui, tous, restèrent immobiles."

Est-ce hasard si nous recroisons le merle noir ? 

Et c'est sur un autre oiseau qui se conclut le roman, la chouette,  qui accompagne Quignard dans un des spectacles de ténèbres qu'il a écrit. Voici le dernier paragraphe, qui s'achève précisément sur le mot aube :

"Elle mangea sa limace sur mes doigts puis nous parlâmes. Nous nous entretînmes une bonne partie de la nuit. Quand je rentrai dans la maison c'était presque l'aube."

Il me reste encore une barque à amarrer à cette chronique : celle de Jean Epstein, dont j'ai reçu le volume 1 des Écrits complets. Le premier texte, de jeunesse (il n'avait guère plus de vingt ans), Le Mage d'Ecbatane, fait entendre la prière de l'Eau : "O Lune, je suis l'Eau et je teins ma robe aux couleurs de tes songes."

Ce qui est étonnant, c'est de voir comment ces lignes, qui peuvent presque prêter à sourire par leur lyrisme un peu exacerbé :

"Mais ô Lune, je suis la plus belle quand tu ne me vois plus. [...] Je m'enivre longuement aux voluptés que je rêve, sournois et exquisement cruelle. Je choisis le marin jeune et fort qui sera ma proie et mon amour d'une nuit, et je le convoite avec une atroce gourmandise. Sais-tu, ô Lune, ce que c'est que d'avoir à la bouche le goût délicieux du crime ?"

annoncent en fait les films bretons de Jean Epstein, et en particulier Mor'Vran, où un jeune marin parti en barque à la pêche à la sardine ne survivra pas à la tempête :

"Au moment où il s'y attend le moins, lorsque, à l'avant de sa barque, il tend son regard bleu vers de lointains récifs, je l'enlace éperdument et je le fais mien. Je le possède, ô Lune, dans mes vertes ténèbres, je glisse mille doigts caressants dans ses cheveux dorés, tièdes et souples ; je meurtris ses yeux de baisers ; et je m'insinue entre la chaleur de ses lèvres, vivantes encore, et qui voudraient me repousser. Et tu sais, ô Lune, après quels sacrifices voluptueux et quelles mystérieuses et entières jouissances, je rejette, au matin, le cadavre couronné d'algues, où j'ai peint l'ineffaçable cerne de mes noces." [ C'est moi qui souligne]

 



vendredi 13 novembre 2020

Camille ou le corps-mémoire

"Pour moi, quand je raconte une histoire, le plus important est qu'elle soit énigmatique – qu'elle ne rende pas la vie moins mystérieuse qu'elle ne l'est. "

 Deborah Levy, entretien, Le Point, 2/11/2020

Ce que je ne veux pas savoir et Le Coût de la vie, les deux volumes de l'autobiographie de Deborah Levy prix Femina étranger ; Un Promeneur solitaire dans la foule, d'Antonio Muñoz Molina, prix Médicis du roman étranger ; bien content que ces œuvres évoquées ici et récemment aient été distinguées (les maisons d'édition seraient bien avisées de m'adresser leurs meilleures trouvailles en service de presse), non pas que je prise plus que cela les prix littéraires, mais cela permet au moins de donner une chance supplémentaire à quelques livres qui le méritent amplement, et incidemment d'accorder une manne bienvenue à de petits éditeurs comme les éditions du Sous-Sol qui ont porté Deborah Levy à notre connaissance.

En ira-t-il de même pour les éditions Verdier, dont le récit de Camille de Toledo, Thésée, sa vie nouvelle - que je lus en cette fin d'octobre funèbre où je perdis mon père, et dont je fis l'exergue d'une chronique ouverte sur Virginia Woolf - est encore dans le dernier carré de la sélection pour le Goncourt ? Je ne sais pas, cela serait surprenant, mais on peut toujours rêver.


En tout cas, voici un livre qui m'a émerveillé, un livre où la vie et la mort se chevauchent, et dont il me faudra bien plus que cet article-ci pour en faire le tour, vaine entreprise quand l'oeuvre elle-même se veut traversée spiralaire, errance en un labyrinthe généalogique et intérieur où il a bien failli finir broyé. Labyrinthe appelé par le titre, par le nom de Thésée, sans cesse présent dans ces pages d'effroi et de douleur, qui donnent à Philippe Lançon le sous-titre - Camille de Toledo en son labyrinthe - de sa chronique du livre dans le Libération du 2 septembre : Ceux qui meurent prendront le train, décalquant ainsi le titre du film de Patrice Chéreau, Ceux qui m'aiment prendront le train - ce qui est formidablement bien vu, aimer et mourir étant alors comme l'avers et le revers d'une même pièce, amour et mort constamment à l’œuvre dans une histoire où l’artiste peintre Jean-Baptiste Emmerich venait de mourir : "Se sachant malade, résume Erick Maurel, il avait préparé ses futures obsèques et avait décidé de se faire enterrer dans sa ville natale de Limoges, sachant très bien que ce choix embêterait la plupart des membres de sa famille, tous parisiens. Il avait cependant déclaré que « ceux qui m’aiment prendront le train. » Et effectivement ce jour-là, famille, amis et proches se retrouvent tous sur les quais de la gare d’Austerlitz pour effectuer ensemble ce voyage. Dans le train et ensuite à Limoges, dans la maison de campagne du frère jumeau du mort (Jean-Louis Trintignant), une quinzaine de personnes en crise vont alors se confronter, se déchirer, faire ressortir des vérités pas très bonnes à entendre, voire même se réconcilier..." Je m'éloigne, non, je ne m'éloigne pas, ou alors si, mais c'est pour mieux se rapprocher, car il en est ainsi du parcours dans n'importe quel labyrinthe médiéval : pour gagner le centre il faudra cheminer sur les périphéries ; alors que l'on croit être arrivé, il faut à nouveau s'écarter, explorer un nouveau viscère, plonger dans des corridors inconnus.

Lisez Lançon, vous y trouverez le meilleur résumé qui soit de ce texte qui échappe à tous les genres connus. Il me dispense d'y sacrifier ici, je ne saurais évidemment faire mieux. Et cela me permet d'aller de suite à ce qui m'interpelle furieusement : ce vertige généalogique qui emporte les corps et les âmes sur pas moins de quatre générations. Le motif du train n'est pas un détail, c'est par lui que s'ouvre le livre. Il n'est que de lire la quatrième de couverture : "En 2012, Thésée quitte « la ville de l’Ouest » et part vers une vie nouvelle pour fuir le souvenir des siens. Il emporte trois cartons d’archives, laisse tout en vrac et s’embarque dans le dernier train de nuit vers l’est avec ses enfants. Il va, croit-il, vers la lumière, vers une réinvention. Mais très vite, le passé le rattrape. Thésée s’obstine. Il refuse, en moderne, l’enquête à laquelle son corps le contraint, jusqu’à finalement rouvrir « les fenêtres du temps »…" Fuir le souvenir des siens, et avant tout le souvenir du suicide du frère aîné, Jérôme, pendu à une conduite de gaz, et celui de la crise cardiaque de la mère « retrouvée  dans un bus au terminus, endormie pour l’éternité ; jour de naissance du fils, jour de mort de la mère trente-trois ans plus tard ; un vingt-six janvier ; et il y en aura d’autres, de ces dates qui se recoupent, de ces “synchronies” puisque c’est ainsi qu’on les nomme : des coïncidences diront celles et ceux qui ne veulent pas comprendre ».

Ces synchronies, ces coïncidences, je ne cesse de les inventorier ici, au fur et à mesure de leur surgie dans ma propre vie, alors comment ne pas se sentir concerné, d'autant plus qu'on les aura encore vécues plus nettement, plus cruellement, lors des deuils que l'on a traversés, dans ce silence entre le 5 décembre 2019 et le 7 janvier 2020, déployé par la mort de Marie, ma jeune soeur, au neuvième étage de l'hôpital de Limoges, oui encore Limoges, je ne l'ai pas fait exprès, je n'y pensais pas quand j'ai parlé du film de Chéreau. Et je sais qu'un jour je ferai un texte, un  livre peut-être, des résonances qui proliférèrent alors dans ces jours de ténèbres.

La fuite à l'Est, dans cette ville de Berlin qui n'est jamais nommée, ne suffit pas à réinventer une nouvelle vie, le corps est accablé de maux inexpliqués : « Le frère qui reste se décide à ouvrir ses cartons, il se dit que, peut-être, le temps est venu de se retourner, il n’a pas le choix, d’ailleurs ; car les médecins qu’il rencontre pour arrêter sa chute ne comprennent rien ; pourquoi cette douleur dans ces tempes, l’inflammation des racines de ses dents, les os du dos ? pourquoi son corps en feu, treize ans après la mort du frère ? (…) Thésée ne sait plus que faire ni à quoi s’accrocher ; il rêve que des pilules – des anti-inflammatoires – le libèrent des douleurs qui le prennent et tout serait réglé ; il pourrait continuer à être un moderne, à aller de l’avant, à recouvrir l’histoire d’un oubli. »

Il faudra, oui, ouvrir les cartons, examiner les traces laissées par ceux qui ont précédé, mettre à jour des secrets de famille, "dé-nouer, écrit Bertrand Leclair dans AOC, la lignée généalogique maternelle qui entrave par ses occultations le corps de Thésée, une lignée que dénonce toute entière la corde « archaïque » avec laquelle le frère s’est donné la mort. L’enjeu du livre est de s’inventer dans le livre un nouveau corps à travers une nouvelle généalogie, gage d’une vita nova dans laquelle il s’agit aussi d’embarquer le frère mort (et c’est cela qui est beau : on ne se sauve jamais seul)." Dans le post-scriptum qui clôt le livre, Camille de Toledo écrit qu'il a maintenant plus ou moins accepté la mort de son frère et qu'il comprend mieux pourquoi son corps s'est mis à se plier comme autour d'une corde. "Je vois mieux, poursuit-il, ce qu'a causé le secret et d'où est venue la violence. Et pour le reste, je n'oublie plus de me mettre à l'écoute de la matière. Je fais le pari qu'il y a, dans cette écoute, une clef : ce qui devrait nous pousser à nous réattacher au monde et aux vies auxquelles nous sommes liés. Et s'il y a un sens à trouver dans nos corps-mémoire, dans ce continuum matériel qui noue nos vies entre les âges, je nourris l'espoir que, face à cette évidence encore à documenter, nous accepterons de nous voir, nous, je veux dire, notre espèce, une fois encore, comme d'humbles ignorants face à une matière qui sait infiniment plus que nous."


C'est grâce à un papier du Lorgnon mélancolique, le blog de Patrick Corneau, que j'ai eu envie de lire les carnets 2012-2017 de Françoise Ascal, L'obstination du perce-neige, aux éditions Al-Manar (belle petite maison encore une fois, qui expédie avec célérité et sans frais de port). Je n'avais jamais rien lu d'elle mais il me souvenait d'avoir croisé son nom et quelques-uns de ses vers dans une note du Poezibao de Florence Trocmé. Car il suffit parfois de quelques phrases pour aimer un écrivain, instiller le désir de le lire. Néanmoins je n'avais pas alors fait le geste d'aller vers l'oeuvre, les livres de poésie ne se trouvent pas facilement en magasin, il faut les commander le plus souvent, c'est ce que j'ai fait là immédiatement. J'aime les carnets, les notes, et très vite cela m'a rappelé les volumes de notes du poète Antoine Emaz, Cambouis, Cuisine, Planches, qui me plaisent infiniment. Et encore une fois, pas de hasard, Emaz est très présent dans ces pages. Des pages douloureuses là encore, car Françoise Ascal est atteinte d'une grave maladie des reins qui la contraint  à des dialyses éreintantes, déprimantes. Et elle ne cesse de poser la question de comment vivre avec la maladie, la vieillesse, comment résister avec un corps qui souffre, en de très belles pages où la recherche de la beauté demeure un viatique contre le désespoir : « Grand calme. J’aime ce mois de novembre que beaucoup trouvent sinistre. J’aime ces bancs de brouillard, l’impression de temps suspendu, l’isolement dans le creux chaud de la maison. »

Quel rapport, direz-vous, avec la quête de Camille de Toledo, à part la souffrance du corps ? Eh bien, cette notation, à la page 130, datée du 3 septembre 2017 :

Vu un documentaire sur la transmission des traumatismes sur plusieurs générations. Il y aurait transmission de gènes modifiés par le stress. Les petits-enfants peuvent être atteints, présenter des troubles sans rien savoir de ce qu'ont vécu leurs ancêtres. Évidemment, me sens très concernée. Mais est-ce crédible ?

On comprend pourquoi Françoise Ascal se dit très concernée quand on se reporte à la note précédente, en date du 1er septembre :

Tandis que nous attendons sur le parvis de l'église pour assister à un concert, mon beau-frère me fait remarquer que le village a payé un lourd tribut à la guerre de 14-18. Je regarde à mon tour la haute colonne de grès avec sa liste de Morts pour la France en lettres dorées. Soudain mes yeux tombent sur Camille Thiault. Grande émotion. Mon fantôme, celui que j'avais traqué dans mon texte sur Corot, prenait corps. Cette ombre abstraite se mettait à vivre et mourir dans le même mouvement. Jusque là, en dehors d'une unique photo floue, j'ignorais si quelques traces de son passage chez les vivants demeuraient. Le lendemain, la mairie m'a délivré la photocopie de l'acte de naissance et de l'acte de décès. Simple fantassin, Camille fut tué à dix-neuf ans lors de la bataille de Sancy-Vaudesson dans l'Aisne. Pourquoi ce souci incessant de Camille, ce jeune frère de ma mère que je n'ai pas connu ?

Cette question terminale, dont Françoise Ascal ne proposera pas de réponse, prend complètement sens à la lumière de la quête labyrinthique de Camille de Toledo, qui lui aussi évoque puissamment la Première guerre mondiale à travers la figure de l'aïeul Nissim, frère de l'arrière-grand père maternel, avec cette archive officielle reproduite au sein de l’ouvrage : le certificat de décès du maréchal des logis Nissim de Toledo, né à Andrinople en 1886, « tué à l’ennemi » le 16 juillet 1918 à Montvoisin (Marne). 

Plusieurs traces dans les Carnets de cette obsession pour ce pauvre Camille, alors que l'écrivaine se plonge dans une étude sur le peintre Corot. Ainsi le 5 mars 2017 :

Étrange sensation d'avoir été fracassée par la Première guerre mondiale. Je n'étais pas née, mais les séquelles m'ont assurément atteinte. Par mon père, lui-même brisé, même s'il "assurait" ? Par la légende familiale ? par les silences mortifères ? Pourquoi n'avoir jamais connu le relâchement que donne le sentiment de sécurité, alors que je n'ai vécu qu'en temps de paix ?

Partant du prénom Camille, celui de Corot mais aussi celui du jeune frère de ma grand-mère, mort à dix-neuf ans sur le front. J'ai commencé un nouveau texte sans savoir où il va me mener. Au passage je vois la place de ce fantôme dans mon imaginaire.

Relevant ces similitudes, ces échos avec Thésée, je ne percute que quelques instants plus tard que les prénoms sont aussi en collision : Camille Corot, Camille Thiault, Camille de Toledo. Ces prénoms auxquels l'écrivain lui-même accorde une attention toute spéciale : celui de son frère suicidé, Jérôme, porte par exemple une symbolique particulière : 

et Jérôme, mon frère, pourquoi as-tu été ainsi nommé ? 

JÉRÔME ce prénom, que sait-il, que porte-t-il ? 

le corps avec lequel j'ai grandi, la voix qui m'a nommé

toi qui as vécu à l'intérieur de ce nom

qui rappelle la vie d'un saint qui eut la charge

de traduire de vieux textes hébraïques sur l'origine du monde

"Jérôme de Stridon"

celui qui fut peint par Caravage et tant d'autres géants (p. 73)

Saint Jérôme écrivant, Le Caravage, v. 1605-1606, Galerie Borghèse, Rome

Dans les Temps qui courent, du 10 novembre dernier, de Marie Richeux, sur France-Culture, Camille de Toledo disait que les prénoms portent des archaïques, sont tissés dans les grands mythes de l'histoire de l'humanité.

Alors j'ai commandé La Barque de l'aube, ce petit texte sur Camille Corot paru en poche chez Arléa en 2018. Peintre qui m'est peu connu, dont je lis la notice sur Wikipedia, et qui m'émeut déjà par ce simple fait qu'en 1872, il acheta une maison à Valmondois, qu’il offrit à Honoré Daumier, devenu aveugle et sans ressource.



vendredi 6 novembre 2020

La physique des catastrophes

Le 28 septembre, au matin, je me figeai soudain : les images non pas d'un seul mais de plusieurs rêves ressurgissaient brutalement, faisaient irruption dans ma conscience. Et si je dis "je me figeai", c'est que très concrètement je ne bougeai plus ni bras ni jambe, je ne cillai pas, j'étais comme suspendu dans l'air, parce que ce qui survenait à cet instant l'était presque par effraction : tout pouvait se dissoudre en une milliseconde, retourner à un oubli définitif dont on n'était sorti que par une sorte de miracle.

Oui, c'était pas moins de trois rêves qui se redéployaient sur l'écran de ma psyché - et je ne peux en parler plus d'un mois après que parce que j'ai consigné tout cela - mais en fait bien peu de chose - dans le cahier bleu qui accompagne ces chroniques. Bien peu de chose, oui encore, parce que je n'ai noté que des bribes, alors que l'impression que j'avais, et que j'ai noté alors le jour même, c'était l'impression de rêves foisonnants, riches de détails. Je me relis : "Rêve de Fred Deux dans un escalier, rêve de P. et de J.M, rêve du café du Centre à Aigurande, rêve de l'immeuble baroque avec des escaliers incroyables." Et puis un nom qui surnage : Garosiowsky ?

Je sais alors que c'est à peu près le nom d'un artiste contemporain. A peu près... Je recherche et je trouve facilement : il ne peut s'agir que de Gérard Gasiorowski. Ce qui est bien curieux, c'est que de cet artiste je ne connaissais guère que le nom, à peu près... Son oeuvre m'était encore largement inconnue la nuit du rêve. Philippe Dagen, dans Le Monde, évoque une exposition rétrospective qui eut lieu en 2012, à la Fondation Maeght, à Saint-Paul de Vence : Gasiorowski, l'histoire de peinture récapitulée. "Pour comprendre, écrit-il, ce qu'il est advenu de la peinture en France dans le dernier tiers du XXe siècle, on ne voit pas quelle oeuvre et quelle vie conviendraient mieux que celles de Gérard Gasiorowski (1930-1986) telles que les présente sa rétrospective à la Fondation Maeght." 


On lira l'article de Dagen pour en savoir plus. J'en résume très sommairement le propos : l'itinéraire de Gasio (diminutif qu'il approuvait lui-même) connaît une phase ascendante où, après avoir renoncé très tôt, en 1953, à la peinture, il connaît le succès avec des travaux proches de la photographie. Sa notoriété sera ensuite mise à mal par des séries telles Les Croûtes, "qui méritent leur titre, précise Dagen, puisque ce sont des pastiches de chromos, soleil couchant derrière l'Arc de triomphe et pittoresques villages de France. C'est peint à grands gestes, avec des couleurs lourdes et vives."

Les croûtes, dans l'atelier de l'artiste rue louis blanc 1972

C'est à cette occasion qu'une galeriste lui lance : « Vous êtes fou, Gasiorowski, il faut vous ressaisir ! », phrase qui sera reprise pour l'exposition Maeght. Mais Gasio ne se ressaisit pas, mieux il enfonce le clou : "vers 1974 s'ouvre le temps de la destruction et, de façon symbolique, il entreprend la série La Guerre, installations de jouets cassés et maculés, toiles barbouillées et insultées à coups d'empâtements et de coulures. Pendant près d'une décennie, son oeuvre se place sous les signes de la dérision, de la parodie, du grotesque. Il dessine avec des jus d'excréments. Il invente une académie grotesque, dont il est à la fois le directeur féroce et le mauvais élève." Résultat : de 1977 à 1980, Gasiorowski disparait pratiquement de la scène artistique. Il a tout de l'artiste maudit.

La catabase, la descente aux enfers n'a qu'un temps :  Gasio, "comme tout martyr digne de ce nom, écrit Dagen, est promis à la résurrection - et sa peinture avec lui. Quand tout est en morceaux, les idoles fracassées, la fin de l'art déclarée, il ne reste qu'à recommencer. A recoller les morceaux dans un ordre différent, à faire avec les débris des idoles de nouvelles divinités."  Et le voilà qui présente "des ensembles, souvent des rouleaux de plusieurs mètres de long, la plupart à fond noir, sur lesquels, par le collage, la peinture et le mot, le peintre récapitule l'histoire de son art depuis Lascaux et les statues néolithiques jusqu'à Giacometti, Picasso et lui-même."

Dans un autre article, rédigé aussi en 2012, on peut lire que "Gérard aimait à citer l'Icare de Brueghel, comme métaphore de la destinée du peintre : les plumes voltigeant à l'endroit du plongeon du fils de Dédale et les courbes régulières des sillons labourés..." se souvient un ami proche. Beauté exemplaire du vertige de la chute."

 

Gérard Gasiorowski est mort brutalement d'un infarctus durant l'été 1986.

Tout ceci est bien beau, mais n'explique absolument pas pourquoi ce peintre est devenu figure de mon rêve. L'énigme ici reste entière.

Cherchant toujours à approfondir l'affaire, je consulte sa notice Wikipedia. Et à la fin d'icelle, je note un lien externe : Philippe Agostini, « Cultures & catastrophe » [archive], un regard sur l'œuvre de Gérard Gasiorowski (1996, texte inédit). Hélas, le lien est cassé, ne renvoie sur rien. Je rentre les données dans Google et je tombe sur la page de la thèse soutenue par Philippe Agostini sur Gasio. Thèse inaccessible, mais certains détails sont curieux :

Tout d'abord cette thèse a été réalisée sous la direction de Philippe Dagen, l'auteur même de l'article qui m'a servi de base pour l'évocation succincte de l'artiste. Mais ce qui m'interpelle le plus c'est la mention de Pierre Wat comme président du jury. Or, Pierre Wat, historien d'art, n'est autre que le président de l'Association des Amis de Fred Deux et Cécile Reims. Il fut aussi commissaire, avec Sylvie Ramond, de la grande rétrospective de l'oeuvre de Fred Deux qui eut lieu au Musée des Beaux-Arts de Lyon, du 20 septembre 2017 au 8 janvier 2018, Le Monde de Fred Deux. On le voit d'ailleurs en personne dans cette courte bande-annonce :


Or, on se souvient que Fred Deux m'était aussi apparu en rêve cette nuit-là.

Un autre mot me retient dans la mention wikipédienne de Philippe Agostini : le mot "catastrophe".

Car deux jours plus tard, le 30 septembre, je fis un autre rêve, celui du livre La physique des catastrophes. Étrangement encore une fois, parce que je n'ai pas lu ce livre, je n'en connaissais que son nom et son existence. Dans mon rêve, l'auteur s'appelle Vanessa Pearls, mais je sais que ce n'est pas le véritable nom.

Au réveil, je vérifie. Il s'agissait de Marisha Pessl. Je n'étais pas si loin.

La catastrophe intervint le même jour : à Aigurande, là même où se situait un de mes rêves (avec le café du Centre) mon père fut foudroyé par un Avc juste après le repas de midi. Il avait 86 ans. Il ne devait pas s'en relever.

Et l'escalier, présent dans deux des rêves, qu'en est-il de sa signification ? Le Dictionnaire des Symboles d'Alain Geerbrant et Jean Chevalier insiste sur son symbolisme ascensionnel ; les pyramides égyptiennes sont déjà des analogues de l'escalier, les âmes des défunts montent les marches pour se rendre devant le trône d'Osiris et subir l'épreuve de la psychostasie, la pesée des âmes.

En 1988, dans le cadre d’une exposition personnelle au Musée Cantini de Marseille, Fred Deux écrivait :

 « Est-ce la même graine qui a fermenté et fécondé les mots ? Tout est venu en même temps. Chaque fois que j’ai tenté d’y mettre de l’ordre, je me suis embrouillé. Je me souviens de ma première phrase, notée dans le petit escalier de la librairie où je travaillais. Elle avait trait à l’eau. L’eau de la Seine, où s’était passée mon enfance, et celle de la mer, toute proche. Je voulais partir. »