mardi 29 décembre 2020

Les deux soeurs

L'année 2020 n'en a plus pour longtemps, la garce, et c'est sans doute le dernier article qui s'inscrira sous son égide. Il n'aura rien de rétrospectif, et n'apportera pas grand chose de nouveau à tout ce que j'ai pu écrire depuis quelque temps. 2021 s'ouvrira sur des interrogations qui me paraissent plus fondamentales, mais il n'est pas encore l'heure. Place donc aux dernières notations correspondant aux derniers nœuds d'une carte heuristique que j'ai tracée au début du mois de décembre (j'ai recours de temps en temps à cette représentation) pour essayer d'y voir un peu plus clair dans ce que j'ai nommé alors la constellation 60, un réseau de coïncidences qui s'est donc épanoui autour de mon soixantième anniversaire.

Le 1er décembre, je notai ainsi dans mon cahier bleu la disparition d'Anne Sylvestre. Bien que je ne l'aie jamais beaucoup écoutée, j'avais de l'estime pour elle (il m'a été donné de la voir une seule fois, dans le jardin du château de Nohant, où elle avait été conviée par George Buisson, alors le maître des lieux, pour la remise du prix du Carnet de voyages, manifestation aujourd'hui disparue). Le même jour, sur France-Culture, un chapeau d'émission retint mon attention : "Mort de la compositrice Anne Sylvestre, après 60 ans de chansons féministes, drôles ou enfantines". Il était précisé qu'elle était morte à 86 ans. Or, c'était l'âge aussi de mon père au moment de son décès. Autre chose : elle était morte comme lui des suites d'un AVC. Ce qui m'a conduit à regarder d'un peu plus près sa biographie : Anne-Marie Beugras (c'est là son véritable nom de famille) est née le 20 juin 1934 à Lyon 6ème. C'est-à-dire très précisément treize jours après mon père, né le 7 juin 1934.

La Revue Dessinée - Hiver 2020/2021 (bande dessinée autour du film Magnolia de Paul Thomas Anderson)

Anne Sylvestre vécut une enfance difficile car son père, Albert Beugras, ne fut rien moins que le bras droit de Jacques Doriot, fondateur du Parti populaire français (PPF), parti d'extrême-droite nationaliste, qui collabora activement avec le régime hitlérien. Condamné aux travaux forcés à perpétuité en 1948, il bénéficia d'une amnistie en 1955, avant de mourir d'un cancer foudroyant le 30 janvier 1963. La notice de Wikipedia précise que la chanteuse se mura "60 ans dans un silence qu’elle ne rompra, une première fois en 2002 dans une série d'émissions réalisées par Hélène Hazéra pour "A "voix nue" sur France Culture, puis dans une interview en 2007." Sa soeur, Marie Chaix , née en 1942, rendra compte plus tôt de cette douloureuse mémoire familiale avec son premier roman Les Lauriers du lac de Constance (1974), récit de l'histoire de son père pendant l'Occupation allemande. Dans un passionnant entretien croisé dans Télérama (en 2008), les deux soeurs reviennent sur ce passé qui ne peut être liquidé :

"[...] Reste qu'un an après Les Lauriers..., vous avez écrit une chanson magistrale, Une sorcière comme les autres, où pour la première fois vous faites allusion à votre père et à votre frère disparu en Allemagne... Est-ce un hasard ?
AS : Je ne sais pas. Cette chanson-là, j'ai eu l'impression de l'écrire sous la dictée. D'ailleurs, j'ai eu très peur de la faire écouter à Marie. J'étais très très émue quand elle l'a entendue, pour la première fois, lors d'un concert.

MC : Et moi j'en ai pleuré ! Tout comme avec Roméo et Judith, une chanson sur l'injustice sur fond d'antisémitisme... Moi aussi, j'avais essayé d'écrire sur ce thème mais on m'avait dit : « Vous n'avez pas le droit de parler au nom d'un Juif : non seulement vous ne l'êtes pas, mais en plus, vous êtes la fille d'un collabo ! » Ça m'avait renvoyée dans mes cordes. Avec sa chanson, Anne est arrivée à exprimer ce que je n'avais pas pu dire, ou qu'on ne m'avait pas permis de dire.

Une femme vous avait aidée à dire les choses, c'est Barbara. Et elle était juive...
MC : Elle ne le revendiquait pas, ni dans son écriture ni dans sa façon d'être, mais il y avait cet arrière-fond... A 24 ans je suis devenue son assistante, par hasard - un hasard complet mais bizarre, qui m'a posé des problèmes de culpabilité terrible vis-à-vis de ma soeur chanteuse. Le fait de l'avoir approchée a beaucoup compté pour moi, notamment dans le déclenchement de l'écriture. Un jour, elle a voulu que je lui parle de ma famille. Je me souviens m'être sentie très mal de lui « avouer » tout cela. Mais elle m'a dit : « Echangeons nos morts, ils sont tous pareils. » Elle a été la première à me suggérer d'écrire.

L'écriture vous a-t-elle permis de tout évacuer ?
AS : Bien sûr que non. On creuse toujours autour du même trou, et ça reste très difficile, même soixante ans après. On doit aller à la pêche, il y a des algues et de la vase. C'est une ambivalence permanente. Je n'arrive pas à me défaire, comment dire ?, d'une culpabilité. Ce n'est pas juste d'en vouloir aux enfants que nous étions, mais je n'arrive pas non plus à trouver cela injuste. Je le comprends. Pour un peu, je trouverais même ça légitime. Tant que les victimes de la guerre continueront à souffrir, on continuera à être coupables. [...]"
Anne et Marie, boulevard Saint-Michel, 1967.

Le 30 novembre, le jour même de la mort d'Anne Sylvestre, je reçois deux messages sur mon téléphone, de deux soeurs qui depuis quelques années sont en froid (je dis cela avec prudence car il est possible qu'elles aient renoué depuis, ce que je ne peux que leur souhaiter). J'ai été d'autant plus surpris par cette concomitance que je n'avais pas reçu de leurs nouvelles (par ce biais du téléphone, car je les avais revues l'une et l'autre dans l'année) depuis l'année précédente et la disparition de ma propre soeur Marie. Le premier message, reçu à 15 h 28, était un message de condoléances et le second, à 17 h 03, me proposait de suivre un projet d'écriture biographique (apparemment cette seconde soeur n'était pas au courant de la mort de mon père). 

Je répondais aux deux dans la foulée, et ne manquais pas de saluer le compagnon de la seconde, un vieil ami dont l'anniversaire allait se fêter dans quelques jours (le 3 décembre, je ne pouvais l'oublier car c'est l'anniversaire aussi de ma soeur Marie-Noëlle). Elle me répondit à son tour, avouant que je lui avais sauvé la vie, car elle avait oublié cet anniversaire... Et elle ajoutait : "63 ans, né en 1957 et moi 57 ans, née en 1963, c'est rigolo."

Manu Larcenet, Le combat ordinaire


mardi 22 décembre 2020

Des voyages de Gulliver au Voyage d'hiver

Le confinement m'a conduit, comme beaucoup d'autres, à travailler à distance  : je suis donc devenu un utilisateur régulier du logiciel Teams, choisi par l'université pour les cours dits en distanciel. Cours qu'il a fallu refondre en grande partie car on ne travaille pas en ligne de la même façon qu'en présentiel. Distanciel, présentiel, ces mots nouvellement arrivés en fanfare sur la scène linguistique contemporaine attisent l'ironie des puristes - mais l'excellent rédacteur du blog Parler français signale que, donné parfois à tort comme un anglicisme, "présentiel, probablement issu du latin tardif præsentialis (« qui implique une présence réelle, qui existe »), est attesté comme adjectif depuis... la fin du XVIe siècle !", et que  "Distanciel, de son côté, apparaît dans notre lexique à la fin du XIXe siècle, semble-t-il, et avec le sens premier de « relatif à la distance » : « [Un graphique] avec divisions distancielles » (Bulletin de la Société d'histoire naturelle de Toulouse, 1879), « Ci et tendent à confisquer toute la force d'indication distancielle qui avait appartenu d'abord à cist et à cil » (Georges Le Bidois, 1933)".*

Bref, quoi qu'il en soit de la pertinence de ces nouveaux vocables, après avoir passé des heures vissé à l'écran, je n'avais souvent pas grande envie d'y revenir pour écrire une nouvelle chronique alluvionnaire. Une période de vacances bienvenue me redonne donc un peu de mordant, et je m'en vais terminer mon propos sur les résonances à la porte de bronze. Car je peux bien l'affirmer, ladite porte de bronze n'a pas résonné qu'une seule fois. Et de l'essayiste Muriel Pic au dessinateur Cardon, il y eut un autre écho remarquable.

Tout part d'une réflexion de Muriel Pic sur le tourisme de masse : 

"Depuis que le voyage est un bonheur librement choisi, les portes des maisons se sont fermées. Pour le voyageur d'antan, en exil et en errance, il existait un réconfort avec lequel nous ne pouvons plus guère compter : l'hospitalité. Désormais, pour les touristes, il n'y a plus d'autres logements que les tours inaccessibles des hôtels climatisés aux fenêtres qui n'ouvrent pas. Quant aux malheureux pris dans les affres des migrations, c'est le camp de boue et de barbelés. Il faut dire que c'est un risque de laisser entrer chez soi un inconnu. On se hasarde à perdre ses propriétés, déjà si petites, si délimitées, si étriquées. L'humanité a rapetissé, elle n'a plus rien à envier aux Lilliputiens." (p. 91)
On peut objecter que Muriel Pic noircit un peu le tableau : on peut encore se rendre à l'étranger en évitant les tours et les hôtels (il me revient par exemple en mémoire ce séjour à Varsovie, 12 rue Miodowa), mais là n'est pas la question. Juste avant, ou juste après ce passage, j'avoue ne plus savoir au juste, je tombai sur cet extrait du texte de Cardon (auparavant, sa tante Antoinette les a rejoints début août en Normandie et il écrit "La porte de bronze réintégrait, inchangée, notre quotidien") :

" En cette fin d'août, la TSF diffusait chaque jour, en fin d'après-midi, Les Voyages de Gulliver. Il y était question des Lilliputiens, ces gens minuscules pouvant tenir dans une poche Je ne manquai pas un seul épisode, et ne cessai d'en parler à toute la famille.

En existait-il vraiment, pour en avoir un comme ami ? Et où ? Ma tante et ma mère m'affirmèrent que oui, en Bretagne, justement, ils habitaient les talus...

Sans doute y crus-je un peu, car je mis de côté de petites assiettes, cuillères et fourchettes d'une "ménagère" de ma soeur.

Nous partîmes, comme Gulliver quittait Lilliput. La TSF annonçait qu'à l'épisode suivant, il allait rencontrer l'île volante de Laputa. J'allais louper ça ! Pas sûr qu'en Bretagne, on allait avoir la TSF..."

Jean-Georges Vibert, Gulliver et les Lilliputiens, vers 1870

Je n'aurais peut-être relevé la coïncidence lilliputienne si Lilliput n'était pas revenue dans le texte de Pic, tout d'abord sous la forme de ce dictionnaire de poche français-anglais, environ cinq centimètres sur trois, offert par l'oncle Jim lors de l'une de ses visites annuelles en France, dictionnaire nommé Lilliput, dont la photo est reproduite dans l'ouvrage, et dont elle précise qu'il lui fut fort utile durant ses voyages. Ensuite, une dizaine de pages plus loin, lors de l'évocation de la théorie des humeurs linguistiques, de ce même oncle : 

"L'anglais était une langue de terre, au tempérament humide et froid, une langue d'automne, saturnienne, la langue de la mélancolie, la maladie anglaise par excellence. C'est avec cet anglais que Swift a imaginé le parler des Lilliputiens et ses pays. Brodingnag, Laputa, Balbibarbi, Pukapuka, Aitutaki. A n'en point douter, il s'agit là des mots d'une idéologie que seule la linguistique peut expliquer. Je me garderai bien d'en tenter l'entreprise, la supposer me semble déjà bien hardi. Car quelles peuvent bien être les idées d'un homme qui, en 1721, imagine pour ses lecteurs des gouvernements microscopiques, tyranniques et sans pitié ? Il est évident que Jim nourrissait de l'aversion pour l'impérialisme anglais tout comme il se désespérait de me voir perdre contact avec la langue anglaise, en raison d'un refoulement familial consécutif à la ruine, mais aussi de l'école française qui semble fermée à l'apprentissage des langues." (p. 210-211)
Au demeurant, nous voyons là resurgir le thème de la mélancolie, qui est au cœur du recueil d'essais reçu en cadeau d'anniversaire, recueil que Muriel Pic a dirigé, à propos de l'oeuvre de W.G. Sebald, dont l'un des ouvrages majeurs ne se nomme pas par hasard Les Anneaux de Saturne. La mélancolie est en effet au coeur de son projet littéraire :

"Mais la mélancolie, autrement dit la réflexion que l'on porte sur le malheur qui s'accomplit, n'a rien en commun avec l'aspiration à la mort. Elle est une forme de résistance. Et, au niveau de l'art, éminemment, sa fonction n'a rien d'une simple réaction épidermique, ni rien de réactionnaire. Quand, le regard fixe, elle passe encore une fois en revue les raisons pour lesquelles on a pu en arriver là, il s'avère que les forces qui animent le désespoir et celles qui animent la cognition sont des énergies identiques. La description du malheur inclut la possibilité de son dépassement." (Sebald, La Description du malheur, trad, Patrick Charbonneau, Actes Sud, 2014, p. 17, cité par Muriel Pic, Politique de la mélancolie, p.12)


Un autre livre offert par Gaëlle accompagnait Politique de la mélancolie, c'était Le rêveur de la forêt, un catalogue du musée Zadkine. Le texte introductif, rédigé par Noëlle Chabert, fut également le vecteur d'une résonance, précisément avec le livre Résonance, du sociologue et philosophe Hartmut Rosa, dont j'ai déjà dit la dernière fois que j'en avais repris la lecture, après une longue interruption :

"J'étais encore tout petit quand je me trouvai un jour [...] à cette heure-là, en train de jouer dans la forêt [...] Je sentis que j'étais seul, tant le silence brusquement s'était creusé. Et quand je levai les yeux autour de moi, j'eus l'impression que les arbres m'encerclaient et m'observaient sans mot dire [...] je me sentais [...] livré aux créatures inanimées. Qu'est-ce donc que ce sentiment ? Souvent je l'éprouve encore. Ce silence soudain qui est comme un langage que nous ne pouvons percevoir.**

Passant de l'angoisse que la forêt peut susciter chez l'enfant qui s'y sent abandonné, thème familier des contes, à la terreur de celui qui a perdu toute connaissance sauvage, et de là pénétrer dans la forêt tourmentée de la psyché humaine, cinq lignes suffisent à l'écrivain autrichien, futur auteur de L'Homme sans qualités, Robert Musil pour, dès 1906, dans son premier livre, un roman d'éducation, tendre à la société occidentale de la Belle Époque, aveuglée par les lumières de la raison et du progrès, l'image du désenchantement qui l'attend." (p. 11)
Or, voici ce qu'écrit Rosa, pages 262-263 de Résonance :

"Du point de vue de la théorie de la résonance, il est essentiel de comprendre les relations résonantes aux objets, non pas seulement comme des formes poétiques singulières d'expérience vécue en marge du monde réel - cela reviendrait à en faire de simples enclaves au sein d'un monde essentiellement muet ou hostile -, mais comme des relations quotidiennes, c'est-à-dire des formes de relation au monde médiées par les choses dans la vie de tous les jours. C'est précisément ce que semblent pointer certaines œuvres majeures de la littérature moderne. Comme le montre Kimmich, ce n'est pas un hasard si l'"autre condition" envisagée par Robert Musil dans L'Homme sans qualités se caractérise par un rapport nouveau et participatif aux choses dont les linéaments étaient déjà posés dans Les Désarrois de l'élève Törless."
Ce qui me semble remarquable ici, c'est non seulement la coïncidence entre les deux mentions de Robert Musil, mais, bien plus profondément encore, celle entre les contenus, qui traitent identiquement des relations avec les choses, ces créatures inanimées qui semblent nous observer - en l'occurrence, les arbres dans le passage cité. Ce qui est clairement exprimé dans une citation de Kimmich mise en note par Rosa à la page 263 : 
"Törless se sent regardé par les choses, en même temps que les hommes deviennent pour lui des objets sans vie."(Kimmich, op. cit. p .83) ; voir Robert Musil, Les Désarrois de l'élève Törless, Seuil Paris, 1960.
Encore plus étonnant : il y a une chose que je n'avais pas remarquée en notant cette rencontre résonante entre Rosa et le catalogue Zadkine, c'était, en haut de la page 262, une citation de William Carlos Williams, dont j'ai déjà signalé la présence dans l'incipit d'Affranchissements de Muriel Pic. Et là aussi, il est question de ces "choses qui nous parlent" :
"So much depends upon a red wheel barrow glazed with rain water besides the white chickens " [Tant de choses dépendent d'une brouette rouge vernie d'eau de pluie à côté des poulets blancs] : cette citation de William Carlos Williams, par laquelle Dorothée Kimmich commence son analyse des relations littéraires aux choses, illustre à ses yeux l'expérience selon laquelle les "choses qui nous parlent" jouent dans notre rapport aux lieux - et dans notre ancrage dans le monde - un rôle essentiel qui échappe à notre approche rationnelle et cognitive du monde. 
Ryan Inzana
 
Notons aussi que ce poème - The Red Wheelbarrow (La Brouette rouge) -  est publié dans le recueil Le Printemps et le reste (Spring and all) en 1923, d'abord sans titre puis désigné par le chiffre XXII, puisqu'il s'agissait du vingt-deuxième texte du recueil alternant vers et proses. Il est temps de citer en entier cet incipit picquien dont je parlais :
"En ouvrant Spring and All de William Carlos Williams, j'ai tout de suite aimé son désordre, sa manière inhabituelle de mettre les choses ensemble Il me suffit de parcourir une strophe, quelques phrases, la table des matières, pour me sentir profondément liée à ce livre datant pourtant de 1923."
Et il m'a suffi de retourner deux pages en arrière dans Résonance pour retrouver dans une autre note de bas de page une citation semblable à celle de Musil rapportée par Noëlle Chabert, sur le thème de la forêt qui regarde le promeneur : 
"Merleau-Ponty cite en particulier l'exemple du rapport au monde qui s'instaure dans l'acte de peindre : "Entre lui et [le peintre, HR] et le visible, les rôles inévitablement s'inversent. C'est pourquoi tant de peintres ont dit que les choses les regardent, et André Marchand après Klee : "Dans une forêt, j'ai senti à plusieurs reprises que ce n'était pas moi qui regardais la forêt. J'ai senti, certains jours, que c'étaient les arbres qui me regardaient, qui me parlaient... Moi, j'étais là, écoutant... Je crois que le peintre doit être transpercé par l'univers et non vouloir le transpercer... J'attends d'être intérieurement submergé, enseveli. Je peins peut-être pour surgir."
La constellation née de ce soixantième anniversaire s'enrichit donc notablement, avec cette connexion directe entre Pic et Rosa*** à travers William Carlos Williams. Je dois ajouter à l'ensemble une autre résonance pointée celle-ci le 2 décembre, à la lecture d'un chapitre - Les axes verticaux de résonance - où Rosa en vient à examiner la musique  comme sphère particulièrement intense de résonance :
"Quand Christian Gerhaher, baryton de renommée internationale, chante par exemple Le Voyage d'hiver, il produit de puissants effets de résonance, non par la synchronisation de ses propres émotions avec celles du public, mais par sa capacité à exprimer  de la façon la plus parfaite possible les formes de relation au monde - et les expériences dont elles s'accompagnent - réalisées dans la musique." (p . 333)
Au moment où je lis ces lignes, je ne connais pas Christian Gerhaher, ou, plus exactement, je viens juste de découvrir son existence :  quelques heures auparavant, j'ai vu sur Arte ou le site Arte.tv, je ne sais plus, une annonce pour l'opéra de Verdi, Simon Boccanegra, et j'ai enregistré ce nom, et là non plus je ne sais pas pourquoi parce que je n'avais aucune intention de le regarder, ce nom de Christian Gerhaher.



Hartmut Rosa cite ensuite des extraits d'un entretien que Gerhaher a accordé au journaliste Tobias Haberl où il explique que ce qui compte n'est pas ce que lui ressent, ceci est sans importance, ce qui compte, dit-il, c'est l'idée qui affleure dans une musique, et non le rapport qu'on entretient personnellement avec elle. Or, commente Rosa, ce sont bien des formes de relation au monde que Gerhaher a en tête lorsqu'il parle d'idée, "comme le montre sa réponse à la question "la musique console-t-elle ?" :
"Si j'écoute de la musique [...], ce n'est ni pour être consolé, ni pour être diverti. La musique de Bach, de Beethoven, de Shubert, ce n'est pas divertissement [...]. Il y est question de mort, de perte, de solitude, d'absence d'idéal et de perfection, de difficultés et de faiblesses psychiques, et si tout cela m'intéresse, ce n'est pas forcément parce que cela fait écho à ma propre vie. Souvent, c'est la musique elle-même qui crée l'émotion qui nous conduit à rechercher une consolation - consolation qu'elle dispense en même temps de façon miraculeuse."
Gerhaher, poursuit Rosa, "explique qu'il s'agit pour lui d'identifier, d'observer et de comprendre des rapports au monde tels que la mélancolie et la tristesse : le bonheur esthétique, dit-il, vient de là."

La mélancolie, encore une fois, pointe son nez. Mais, redisons-le à l'instar de Sebald, ce peut être aussi une forme de résistance. Devant ce Noël qui s'annonce, confiné, privé de neige, on fuira le ressentiment, qui n'est peut-être que l'envers toxique de la mélancolie, et on se réchauffera de l'amitié et de l'amour de celles et ceux qui traversent comme nous, avec nous, ces temps de grisaille.

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* Selon le même rédacteur, il conviendrait donc de dire : "Les cours en présence du professeur ou les cours présentiels ou les cours en présence (selon la commission générale de terminologie et de néologie).

Je me sers de ce que je propose dans mes cours à distance."

Je serai donc fautif d'avoir écrit "en présentiel".  Bon, d'accord, mais selon moi, il subsiste une ambiguïté dans cette formulation de "cours en présence du professeur", car il faudrait préciser "cours en présence physique du professeur", car, à distance, le professeur n'en est pas moins présent. Dire "en présentiel" permet d'évacuer cette ambiguïté, et c'est pourquoi je pense que cette façon de dire, déjà prédominante, va s'imposer, au grand dam des puristes.

** Robert Musil, Les Désarrois de l'élève Törless, trad. Philippe Jaccottet, Seuil, 1960. [L'année de cette publication ne peut évidemment m'être indifférente]

*** A peine eus-je écrit ce couple de noms propres "Pic et Rosa" que je sentis que quelque chose devait y être enfoui, une sorte de secrète connivence, qui était peut-être contenue dans cette rime à la mater dolorosa, la Mère de douleur de la tradition chrétienne. Et encore une fois, il me suffit de revenir d'une page en arrière dans Résonance pour cueillir le mot qui faisait charnière : c'était à la suite d'une citation de la Théorie esthétique de Theodor W. Adorno, dont je ne donne ici qu'une partie :

"Le sujet ému par l'art fait des expériences réelles ; mais, en vertu de la pénétration dans l'oeuvre d'art en tant que telle, ces expériences sont de celles dans lesquelles il se libère de sa subjectivité endurcie et prend conscience de l'étroitesse propre à son affirmation de soi. Si le sujet puise un bonheur authentique dans l'émotion que lui procurent les oeuvres d'art, c'est un bonheur dirigé contre lui ; c'est pourquoi les larmes sont l'organe de cette émotion, larmes qui expriment  en même temps la tristesse du sujet qui se sait éphémère. C'est ce que Kant a perçu dans l'esthétique du sublime, qu'il situe en dehors de l'art."

Citation suivie donc des lignes suivantes : "L'offre de résonance narrative, horizontale, vient ici naturellement renforcer l'effet de résonance : l'amateur de The Wall ou du Voyage d'hiver tend à s'identifier par empathie à Pink ou au Je lyrique ; surmontant son propre isolement (existentiel), sa propre aliénation vis-à-vis du monde, il rencontre dans la musique un Autre avec lequel il entre en résonance. Entre l'artiste/interprète et l'auditeur se forme un axe de résonance fragile, toujours précaire et temporaire, qui repose sur la non-résonance du monde." (p. 331)

Pink, rock-star personnage central de The Wall, est donc le lien entre Pic et Rosa, dans un jeu où s'entrelacent signifié et signifiant. Et, lisant la notice de Wikipedia qui est consacrée à l'oeuvre, je ne peux que frissonner devant ces mots : "Il est révélé que son père a été tué en défendant le pont d’Anzio pendant la Seconde Guerre mondiale, alors que Pink n’est encore qu’un enfant (In the Flesh?)86. La mère de Pink l’élève seule (The Thin Ice) et Pink commence à construire un mur métaphorique autour de lui, dont la première brique représente la mort de son père (Another Brick in the Wall, Part 1)" Ceci rappelant à l'évidence la mort du père de Cardon pendant cette même Seconde Guerre mondiale. Cardon dont l'oeuvre cathédrale ne met-elle pas en scène de façon obsessionnelle des murs et des murs ?




jeudi 10 décembre 2020

Résonances à la porte de bronze

Le 28 novembre dernier, j'ai eu 60 ans. Comme me l'écrivait un grand ami - par ailleurs président de l'honorable confrérie des Tasons - "nous voilà rendus à l'âge de notre millésime, ça a de la gueule." A cette formule sur carte postale bleue, sa douce et lui-même avaient joint un cadeau magnifique : Cathédrale Cardon, de ce dessinateur que j'avais connu par Le Canard enchaîné, et dont la poésie dépassait de loin la stricte charge politique.


Les grands dessins pleine page, qu'il n'est pas usurpé de qualifier de vertigineux, sont précédés d'un texte de l'artiste, signé de son nom complet, Jacques-Armand Cardon, évoquant son enfance pendant la seconde guerre mondiale : père prisonnier en Allemagne qui succombe à un bombardement, exode en Bretagne, toute la famille dans une seule chambre, résistants pendus aux poteaux et aux balcons, instituteur aux yeux crevés, et puis in fine, au retour à Paris, cet éblouissement : Notre-Dame, un choc visuel qui ne le quittera plus : "La guerre nous avait tellement éparpillés, explique-t-il sur France Culture, qu'il fallait regrouper quelque chose dans un récipient. Et la Cathédrale de Notre-Dame de Paris s'est imposée à moi directement. C'est dans ce monument-là où j'ai pensé que la cuisine, ce que j’avais l'intention de dire, ce que la vie me forçait encore à dire pour m'en débarrasser, allait trouver son espace dans ce que représentait cet énorme bâtiment."    

Il dit encore, dans cette même émission, ce qui constitua la première résonance à ce nombre symbolique de 60 que j'avais donc atteint ces jours-ci : "Ce livre s'écrit depuis 60 ans, on est comme un scaphandrier qui descend soi-même pour faire remonter à la surface des épaves ou des visions profondes. Il y a du ressenti physique, des malaises, de l'intranquillité permanente, sans le père qui est là pour vous rassurer, il faut avoir une résilience, essayer de compenser l’absence par un surcroît d'imaginaire. Il a fallu que je me débarrasse noir sur blanc, c'était lourd à porter."   

Quand j'eus enlevé le papier cadeau bleu de chez Mollat, je posai le volume sur la table basse du salon, sur un autre livre, cadeau personnel celui-ci, le Chardin d'Alexis Merle du Bourg, de chez Citadelles et Mazenod, que je venais de recevoir peu de temps avant.

Je m'avisai alors seulement de la cohérence de l'association : il en va un peu comme de ce jeu où il faut passer d'un mot à un autre en changeant une seule lettre à chaque fois : Cardon - Chardon - Chardin. On notera aussi que le RD central chez Cardon et Chardin se retrouve en miroir dans cathéDRale, ce qui, outre la syllabe initiale commune, montre que le titre de ce livre n'est nullement anodin.

A ce premier présent amical cardonien, s'ajoutèrent les livres offerts par ma compagne : le premier était Politique de la mélancolie, un recueil d'essais autour de W.G. Sebald, édité par Muriel Pic, elle-même contributrice. C'était fort bien vu, d'autant plus remarquable qu'elle ignorait que j'avais commandé peu avant le dernier texte de Muriel Pic, Affranchissements, publié au Seuil dans la collection Fiction § Cie. Lequel arriva trois jours plus tard, et je le lus pour ainsi dire sur-le-champ, comme s'il devait me donner une réponse aux questions que je me posais sourdement. C'est bien sûr toujours une illusion, mais j'eus au moins le plaisir d'y observer toute une chaîne de résonances (je venais de reprendre la lecture du grand livre d'Hartmut Rosa - Résonance, une sociologie de la relation au monde - et j'étais donc plus que jamais attentif à tout ce qui pouvait s'inscrire dans cette perspective). Ou, dit autrement, un bouquet de ces lucioles, petites bulles synchroniques, minuscules coïncidences crevant à la surface des jours.


Ce fut tout d'abord, dès l'incipit du récit, cette mention de William Carlos Williams, le grand poète américain lié à sa ville de Paterson, que j'ai souventes fois évoqué en ces pages. Un peu plus loin, c'est le tour du grand-oncle de la narratrice, Jim, né en 1923, mort en 2001. Comment ne pas penser à Jim Jarmusch, le réalisateur du film Paterson ? Curieusement, il n'en sera jamais fait mention (mais il est vrai que le cinéma n'apparaît guère dans le récit de Muriel Pic).

Traçant le portrait de cet oncle Jim, célibataire et bossu à cause du mal de Pott, une sorte de tuberculose osseuse, elle en vient à parler de cette lame du Tarot parfois dénommée l'Hermite, avec un h (représentée dans le livre - qui use de la photo et du dessin à l'instar de son modèle sebaldien). Encore une fois, c'est une figure connue à laquelle j'ai consacré peu ou prou quelques articles en 2016. Dans l'un de ceux-ci - L'hôte le plus étrange que Riva ait connu - je cite ce passage d'un livre de Sebald,  Vertiges, où le Dr K. assiste au départ de la jeune Génoise, ondine, sirène, nymphe, ainsi  qu'il la désigne, génie des eaux en tout cas, qui lui évoque, au moment précis où elle franchit, "d'un pas incertain, écrit-il, l'étroite passerelle pour monter à bord du vapeur", une scène datant de quelques jours, où, autour d'une table avec une poignée de personnes, une jeune Russe, très riche et très élégante, "par ennui et par désespoir", précise-t-il encore, leur avait tiré les cartes à tous.

"Comme il en va la plupart du temps en ces circonstances, il n'en était rien ressorti de bien sérieux et l'épisode avait plutôt tourné au futile et au ridicule. Seulement, quand la dame russe en était arrivée à la jeune fille de Gênes, les cartes avaient présenté une combinaison sans équivoque, et elle lui avait annoncé que jamais elle ne contracterait ce qu'on a coutume d'appeler les liens du mariage. Le Dr K. avait alors ressenti une étrange inquiétude à l'idée que cette jeune femme vers qui le portait toute son inclination et que pour lui-même, depuis qu'il l'avait aperçue, il appelait, à cause de ses yeux vert d'eau, la sirène, que cette jeune femme et personne d'autre s'entendait prédire par les cartes une existence de célibataire, en dépit du fait que rien en elle ne laissait présager la vieille fille ; si ce n'est peut-être la coiffure, dut-il s'avouer en la voyant pour la dernière fois, en train d'esquisser de la main gauche, la droite reposant sur le garde-corps, un peu maladroitement, le signe voulant dire : tout est fini."

Je me demandais alors quelle pouvait être cette combinaison sans équivoque décrite dans le texte. Une combinaison impliquant plusieurs cartes, j'écrivais que "celle qui s'impose à l'évidence pour un célibat, c'est précisément l'Ermite que j'ai évoqué récemment".


Muriel Pic écrit de son côté que "le tarot est un art d'imaginer juste à partir d'un nombre d'images données". Elle poursuit ainsi : "Je dispose devant moi celles que j'ai collectées à propos de Jim, photographies, timbres, cartes postales, dessins, cartes à jouer, livres, et bouts de textes. Les fragments se combinent pour raconter un épisode possible de sa vie, mais je dois continuellement rejouer la partie, car une seule configuration n'est pas suffisante pour saisir son personnage vernal et ses histoires d'affranchissements. Je les compte, cela fait soixante documents, nombre que la symbolique associe à la neuvième lame du tarot, qui représente le karma général de l'univers et désigne le globe terrestre." (p. 40-41)   

Je suis mitigé sur cette dernière phrase car je me demande où Muriel Pic a pris cette information sur le lien de 60 avec la lame de l'Ermite. Rien dans le Dictionnaire des Symboles de Chevalier et Gheerbrant ou dans L'univers inconnu du Tarot, la somme de Robert Grand, ne signale ce fait. Le karma, concept oriental, hindou ou bouddhiste, n'a pas grand chose à voir avec le tarot. Quant à la désignation du globe terrestre par 60, c'est là aussi un mystère. Ceci, par ailleurs, importe peu, Muriel Pic n'écrit pas un traité de symbolique et seul compte pour moi en définitive cette irruption du soixante dans sa narration.

Continuons donc de la suivre dans son cheminement sinueux. Page 63, dans un chapitre intitulé pas par hasard 0 (ils portent tous un millésime), elle confesse qu'au printemps 2017, elle s'est trouvée dans un profond désordre intérieur : "J'approchais du milieu de ma vie, je voulais tout envoyer promener, et je menais avec moi-même de longs entretiens sur le vertige." Tiens donc, le vertige... Elle ajoute aussitôt : "A présent, je me dis qu'il fallait sans doute en passer par là pour retrouver Jim." Elle retrouve alors dans ce grenier des enveloppes envoyées par Jim jusqu'à la fin de sa vie et qu'elle n'avait pas ouvertes depuis septembre 1998 : "Avec ces pensées troubles, j'ai commencé à ouvrir les enveloppes les unes après les autres, en suivant scrupuleusement leur ordre chronologique, sans doute pour vaincre le vertige qui m'envahissait de m'aventurer dans un imprévisible passé." (p. 65) Imprévisible passé, l'oxymore est beau (le futur ne serait donc pas seul à être imprévisible ?) : il y a bien de quoi craindre le vertige.

J'en étais là de ma lecture, en cette page 65, lorsqu'un autre ami m'appela au téléphone. Le Baroudeur, qui ne baroude guère en ces temps de pandémie, et qui me pose une question sur le sens de l'expression "au tournant du troisième millénaire avant J-C." Le IIIe millénaire av. J.-C s'étendant de 3000 à 2001 av. J.-C, le tournant se place donc à l'an 3000. (Bon, on a parlé d'autres choses aussi, il ne faut pas croire...).

Or, la phrase suivante du récit de Muriel Pic, après celle de l'imprévisible passé, était celle-ci :  "Et, de fait, j'ai revécu, enveloppe après enveloppe, puis timbre après timbre, , les dernières années de la vie de Jim et, avec elles, ce à quoi je ne m'attendais pas, notre passage au troisième millénaire." Une belle synchronicité.

Le lendemain, j'atteins le chapitre 1949 bis, où Pic raconte que lors d'un séjour à la montagne, un jour de mauvais temps, elle furète dans la bibliothèque de ses hôtes et débusque une anthologie bilingue de poèmes de William Carlos Williams, traduits par Hans Magnus Enzensberger. Et elle lit pour la première fois le poème qui donne son titre au recueil, The Words, the Words, the Words. J'en donne ici le début et la fin :

Le parfum de l'iris, citron doux,
l'argent le transfigure, transfigure aussi
l'odeur de la femme, l'odeur du sarrasin. [...]

Dame derrière la haie, derrière le
mur :
membres de soie, front clair,
l'argent tombe à travers la diagonale
des feuilles sur toi
Debout, secoue tes robes
pour les renoncules, jaune frotté comme
l'or 

Elle pense que Williams a certainement écrit son poème avec des manuels de botanique sous les yeux. "Il aura pu lire, écrit-elle, le nom latin de l'iris jaune, Iris pseudacorus, et son nom vernaculaire, lingot d'or ou gold bar en anglais.* Dans le premier vers en tout cas, il est bien question de cet iris qui a la couleur du citron doux, l'iris jaune lingot d'or l'entrée du poème, tout comme la renoncule (ou bouton d'or) au dernier vers, les deux fleurs du premier printemps."

Bouton d'or (Ranunculus Repens)

 "Il est cependant évident, poursuit-elle, qu'outre un manuel de botanique, Williams écrit aussi avec un livre de beaux-arts sous les yeux ou avec le souvenir d'un tableau en tête. Il pense à l'iconographie de l'épisode mythologique de la pluie d'or, événement qui féconde Danaé, jeune fille au nom de fleur. [...] Danaé est une vierge aux longues tresses à la mode grecque qui habillent son cou d'oiseau, séparent en deux l'arrière de sa tête et dégagent sa nuque couverte de duvet. Elle a été enfermée dans une tour aux portes de bronze par son père."

Danaé et la pluie d'or, par Orazio Gentileschi (1563–1639) Cleveland Museum of Art

Portes de bronze... A ce stade, je frémis. Je frémis parce que ce sont les premiers mots du texte de Cardon : "Porte de bronze !... Porte de bronze !... opposait ma tante Antoinette, soeur aînée de ma mère, aux questions inopportunes. Outre le doigt sur les lèvres, sa sévérité affichée d'initiée imposait silence sans appel. Que pouvait donc bien celer cette porte imposante dont les lourds vantaux devaient résonner longtemps à chaque ouverture ?"

On retrouvera ce thème au terme du texte, quand s'impose la vision de la cathédrale au jeune Cardon :"Tout cela n'était que plaisir et regard gourmand. Ce que j'avais devant moi dépassait tout ce que j'avais pu imaginer pour la porte de bronze.

J'en finis là pour aujourd'hui, de cette pluie de lucioles. Mais ce n'est pas terminé, il sera encore question de Cardon et de Pic, de Pic et de Cardon, et de bien d'autres choses.

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* Une fois encore, je suis obligé de mettre en doute les assertions de Muriel Pic. En cherchant une illustration de cet Iris, je ne trouve aucune mention de ce nom vernaculaire de lingot d'or. Ce n'est pas faute d'avoir cherché : sur Tela Botanica, l'encyclopédie botanique collaborative, à la section ethnobotanique, je découvre 32 noms communs de la fleur. Aucun ne correspond à lingot d'or. (ou gold bar).

[Ajout du 11/12 : Déniché ce matin, grâce à ma compagne, un Iris Lingot d'or qui pourrait bien être la matrice du récit picquien : l'Iris "Lingot d'or" de Gamm Vert, "n°1 de la jardinerie (13, 90 euros, produit actuellement indisponible). Le texte de présentation a peut-être même directement inspiré la traduction du poème. Qu'on en juge : "Un iris en harmonie de jaune. 'Lingot d'or' a des pétales blanc veinés de jaune citron doux, sépales jaune d'œuf ultra vif à barbes jaune orangé bordées de petites stries brunes." On retrouve en effet le "citron doux" du poème, qui traduit le sweet citron de Williams. Il reste que cette appellation "Lingot d'or" désigne ici un produit de la marque Gamm Vert, ce n'est pas à proprement parler un nom vernaculaire.]