mardi 16 août 2011

Simone's voice

Je m'y suis pris trop tard. Depuis longtemps je songeais à enregistrer ses souvenirs, mais je n'avais pas le matériel pour cela. Et quand je l'ai eu, elle n'avait plus l'énergie, l'envie, la disponibilité d'esprit pour fouiller dans sa vaste mémoire. L'idée de composer quelque chose comme une autobiographie ne l'a sans doute jamais effleurée. Encore qu'il convienne d'être prudent. Connait-on jamais complètement les gens qu'on aime ? Ainsi ai-je  été surpris d'apprendre, lors des obsèques, qu'elle récitait son chapelet tous les jours. Nous n'avions jamais abordé la question religieuse. Jamais elle n'avait évoqué devant moi sa croyance en Dieu, et d'ailleurs elle n'allait pas, que je sache, à l'église. Pensait-elle que cela ne m'eut pas intéressé ? Ou, plus probablement, elle devait penser que cela devait rester intime, absolument personnel.

Ces dix minutes, extraites de deux enregistrements réalisés à la Verrerie en 2010, dans la cuisine (d'où certains bruits, parfois), quelques mois avant sa mort, font entendre tout d'abord une vieille dame fatiguée, qui a conscience de s'en aller. Elle évoque à un moment donné cette anecdote entendue moult fois (mais qui la faisait toujours rire) d'Alain en vacances déclarant qu'il se lèverait dès qu'il entendrait se lever la mémé, mais symptomatiquement, dans sa fatigue, elle ne la raconte pas comme d 'habitude.  Très exactement, il disait (nous dormions dans la chambre à côté) : "Dès que j'entends des petits bruits de mémé, je me lèverai". C'était cela, cette expression, les "petits bruits de mémé" qui la faisaient encore rire, quarante ans plus tard.

Elle parle aussi de la mort subite du grand-père Lucien, et c'est très émouvant. Mais j'ai voulu finir sur une note moins grave : les quatre dernières minutes tournent autour d'un petit chat que la maison avait recueilli récemment. Simone a toujours adoré les chats. Et le manège de celui-ci lui redonna brièvement cette pétulance, cette allégresse qu'elle avait souvent autrefois.

Les images qui accompagnent les voix ont été prises pour la plupart en 2008 et 2010, à une époque où elle n'habitait plus Les Molles. C'était comme un pèlerinage de retourner là, sur ce carroir. En 2010, je suis entré dans la grange. Il y avait encore la maie, l'arche, qui, toute mon enfance, avait été à gauche de la porte, dans la pièce principale, cette arche qu'elle n'a jamais voulu vendre.


Simone par ppese

mardi 9 août 2011

Estuaire invisible

J'ai labouré les flancs creux de la nuit
rincé tout un jour au grand lavoir des rêves
essoré la raison des flux la liqueur des seiches
J'ai ouvert des sillons sur la jachère des nuages

J'ai donné rendez-vous à l'estuaire invisible
à la crique celée par l'essaim de la brume
à la falaise affalée à la faille infime
J'ai crevé des tympans au revers des récifs

J'ai repoussé la nuit dans ses retranchements
lessivé l'ombre et sa ménagerie de songe
détaché l'obscur de la nappe intranquille
me croyant enfin prêt aux recommencements




mardi 2 août 2011

Ossuaire de l'océan

Comme chaque été, ou presque, séjour sur la côte atlantique, au-dessus du Cap Ferret. Mais, à notre arrivée, le temps se dégrade. Ce n'est pas une raison pour bouder la plage, bien au contraire. Presque déserte, surtout en matinée, balayée par le vent aquitain, elle s'offre dans une pureté presque originelle. La dune, les vagues, le ciel chahuté de nuages. Mais ce qui m'intéresse aussi, c'est ce qui vient bousculer cette pureté, s'inscrire sur la toile presque monochrome du sable blond, tout ce qui vient de la marée, et que les services de nettoiement n'ont pas eu encore le temps de faire disparaître.

J'aime ces paquets d'algues jetés sur le rivage, dont l'enchevêtrement filamenteux compose de véritables tableaux abstraits.





Parfois s'y mêlent des cordages, des morceaux de filets dont la couleur vient crever l'ocre naturel.


Je regarde, j'écoute, je photographie, mais il peut m'arriver (rarement) d'intervenir : d'un court bastaing rougeâtre couché sur le sable, troué à une extrémité, je fais un menhir solitaire défiant l'océan.




Même ce que l'on pourrait considérer comme le plus détestable des déchets colportés par la marée, peut donner à rêver, comme ces idéogrammes sur ce bidon bleu qui évoquent tout un lointain, un extrême-orient dont la peinture n'est pas sans rapport avec l'épure du littoral aquitain.


Une palette presque ensevelie, aux lattes graffitées, voisine avec une canette. S'impose l'idée d'une archéologie de l'immédiat.


Et puis il y a ce superbe bidon rouillé, avec sa peinture rouge écarlate répandue comme un voile, comme un signal de détresse.




Et, un peu plus loin, les constructions en bois flotté de promeneurs inconnus. Esquisse de cabane, ébauche d'abri, pin écorcé dressé vers les nuées petits crobards un peu partout croisant les lignes du bois, bout de planchette bleue comme un fragment de ciel.