Je m'y suis pris trop tard. Depuis longtemps je songeais à enregistrer ses souvenirs, mais je n'avais pas le matériel pour cela. Et quand je l'ai eu, elle n'avait plus l'énergie, l'envie, la disponibilité d'esprit pour fouiller dans sa vaste mémoire. L'idée de composer quelque chose comme une autobiographie ne l'a sans doute jamais effleurée. Encore qu'il convienne d'être prudent. Connait-on jamais complètement les gens qu'on aime ? Ainsi ai-je été surpris d'apprendre, lors des obsèques, qu'elle récitait son chapelet tous les jours. Nous n'avions jamais abordé la question religieuse. Jamais elle n'avait évoqué devant moi sa croyance en Dieu, et d'ailleurs elle n'allait pas, que je sache, à l'église. Pensait-elle que cela ne m'eut pas intéressé ? Ou, plus probablement, elle devait penser que cela devait rester intime, absolument personnel.
Ces dix minutes, extraites de deux enregistrements réalisés à la Verrerie en 2010, dans la cuisine (d'où certains bruits, parfois), quelques mois avant sa mort, font entendre tout d'abord une vieille dame fatiguée, qui a conscience de s'en aller. Elle évoque à un moment donné cette anecdote entendue moult fois (mais qui la faisait toujours rire) d'Alain en vacances déclarant qu'il se lèverait dès qu'il entendrait se lever la mémé, mais symptomatiquement, dans sa fatigue, elle ne la raconte pas comme d 'habitude. Très exactement, il disait (nous dormions dans la chambre à côté) : "Dès que j'entends des petits bruits de mémé, je me lèverai". C'était cela, cette expression, les "petits bruits de mémé" qui la faisaient encore rire, quarante ans plus tard.
Elle parle aussi de la mort subite du grand-père Lucien, et c'est très émouvant. Mais j'ai voulu finir sur une note moins grave : les quatre dernières minutes tournent autour d'un petit chat que la maison avait recueilli récemment. Simone a toujours adoré les chats. Et le manège de celui-ci lui redonna brièvement cette pétulance, cette allégresse qu'elle avait souvent autrefois.
Les images qui accompagnent les voix ont été prises pour la plupart en 2008 et 2010, à une époque où elle n'habitait plus Les Molles. C'était comme un pèlerinage de retourner là, sur ce carroir. En 2010, je suis entré dans la grange. Il y avait encore la maie, l'arche, qui, toute mon enfance, avait été à gauche de la porte, dans la pièce principale, cette arche qu'elle n'a jamais voulu vendre.
Simone par ppese
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