vendredi 18 octobre 2024

Un nouveau fou à l'Elysée

Terminé hier le livre de Thomas Clerc sur le 18ème arrondissement. La dernière rue mentionnée est la rue Lucien Gaulard, qui se termine en impasse sur le cimetière Saint-Vincent. Clerc ne dit rien de Lucien Gaulard, on comprend bien qu'il ne peut pas s'attarder sur la biographie de tous ceux (et toutes celles, bien moins nombreuses) qui ont donné leur nom à une rue, une place, un square, etc. Les six cents pages n'y auraient point suffi. Par curiosité, je suis allé voir sur Wiki, où j'apprends que Lucien se prénommait en fait Léon Adrien, onzième enfant d’une famille de douze, fils d’Edmé Gaulard et d’Onézime Justice, mariés le . Onézime Justice, n'est-ce pas incroyable ? Lucien invente le transformateur électrique et le , il inaugure l’usine centrale de Tours où 250 chevaux de machine à vapeur entraînent 2 alternateurs. Hélas, son premier brevet déposé en 1882 a été refusé au motif que l'inventeur prétendait pouvoir faire « quelque chose de rien ».  Gaulard contre-attaque mais perd ses procès et la ruine s'ensuit. Et la folie :  le 1er février 1888, il se présente à l’Élysée en gueulant au concierge « Je suis Dieu et je veux la paix Universelle » comme le rapporte le Matin dans son édition du (que j'ai retrouvée sur Gallica) : Un nouveau fou à l'Elysée (on se demande quel est l'ancien...)*.

Le pauvre Lucien meurt le 26 novembre 1888 à l’hôpital Sainte-Anne, où il avait été interné après son accès de démence élyséen.

Bon, j'ai ajouté ma petite pierre à l'édifice clérical, si je puis m'exprimer ainsi (ce que n'approuverait certainement pas l'auteur, qui ne se caractérise pas par sa religiosité extrême). 

Je n'avais pas attendu, ceci dit, d'en finir avec lui pour aborder un autre livre sélectionné pour le Goncourt des détenus. J'avais en effet attaqué en parallèle Jour de ressac de Maylis de Kerangal. Car j'aime beaucoup Maylis de Kerangal, depuis Naissance d'un pont, que j'avais épinglé ici pour la futile raison que j'y avais trouvé un "alluvions" dans le texte (non, bien sûr, mais c'était un moyen commode et paresseux de vanter ce roman). Et puis, plus récemment, c'est elle qui m'avait orienté vers le formidable Underland de Robert Macfarlane.

La narratrice reçoit un jour l’appel d’un policier. Le corps d’un homme a été retrouvé sur la voie publique, près de la digue nord du Havre. Dans sa poche, un ticket de cinéma avec son numéro de téléphone. Le Havre, c'est la ville où elle a vécu, "j'y ai poussé comme une herbe folle jusqu'à atteindre ma taille adulte, ainsi que les dents, les pieds, le cœur et les poumons qui vont avec", et où elle n'est retournée depuis vingt ans. C'est aussi la ville où Maylis de Kerangal a passé une partie de son enfance et son adolescence. Il s'agit pourtant bien d'une fiction, non d'une autobiographie. On peut croire d'ailleurs au début que l'écrivaine s'est risquée pour la première fois au polar : les ingrédients du polar sont en effet bel et bien présents, avec la présence sourde et menaçante du narcotrafic dans le port du Havre, mais l'enquête ici ne sera pas policière. Le projet littéraire est autre.

Je n'irai pas plus loin dans la description. Voulant juste aujourd'hui m'attarder sur deux points. Tout d'abord, signaler ma surprise de retrouver mon fil moyen-oriental (ce qui n'avait rien d'évident dans un roman centré sur la Manche). Il surgit tout à la fin du livre, où la narratrice retrouve à Paris son mari imprimeur, Blaise, qui vient juste d'acquérir une OFMI Heidelberg, magnifique presse typographique de 1962. Blaise lui raconte que son histoire du Havre lui avait rappelé une autre affaire, encore irrésolue à ce jour, un homme retrouvé mort sur une plage, à Somerton Park, en Australie. Sur cet homme on avait trouvé, au fond d'une poche de pantalon, un petit papier imprimé : "sur ce petit papier, deux mots, taman shud, deux mots qui, eux, avaient été identifiés : ils figuraient sur la dernière page des Rubaïyat, les poèmes d'Omar Khayyam, ça voulait dire "fini", c'était du persan, et cette histoire ayant eu lieu au début de la guerre froide, en 1948, l'hypothèse d'un espion semblait tenir la corde." (p. 238)

Il ne s'agit pas d'une invention de Maylis de Kerangal, cette énigme de Somerton Park est bien réelle et continue d'alimenter les spéculations sur internet.

Autre chose. Le 3 octobre, ma fille Pauline m'avait appelé de Grenoble où elle a emménagé récemment avec Romain, son compagnon. Elle n'avait pas encore trouvé de travail mais elle était contente, car elle avait des droits à une formation et celle qui se profilait était bien alléchante : une formation aux techniques du doublage, à l’enregistrement de textes pour des livres audio. Elle devait avoir lieu bientôt à Lyon, en petit comité. Quatre jours plus tard, à la centrale de Saint-Maur, F., le détenu que je visite et qui travaille à l'atelier son dirigé par le musicien Nicolas Frize**, me raconte qu'une doubleuse est venue au studio pour faire découvrir son travail. Et chacun a pu faire un petit essai de doublage. Un bon moment. J'avais été amusé par la coïncidence avec le stage de Pauline, mais bon, rien de renversant encore. Sauf que ce même jour, je commence donc la lecture de Jour de ressac et découvre que la narratrice est une doubleuse...

J'ai longé le Channel tous les matins durant quatre ans, quand j'allais au collège, les yeux systématiquement tournés vers l'affiche du film de la semaine : graphisme, titre, noms des acteurs - que je n'ai jamais lus autrement que comme des noms de légende -, ces substances percolaient en moi durant tout le trajet, et je me glissais dans la peau de l'actrice principale, lui empruntant son visage, identifiée à elle comme à une autre version de moi, une version toujours plus libre, plus hardie, plus transgressive - maintenant que j'y pense, c'est ce même jeu de dédoublement qui se produit quand je suis en postsynchro, dans une salle de projection, debout face à l'écran, équipée d'un micro ultrasensible, et que ma voix sort de la bouche d'une actrice étrangère, Susan Sarandon ou Liv Lisa Fries. Je remontais alors les artères du quartier Perret tels des couloirs de vent, tête baissée, mon sac US pendu à l'épaule, je filais sur le plan en damier, de case en case, de bloc en bloc, ignorant à l'époque que cette géométrie modulaire, ces canyons perpendiculaires et ces carrefours récurrents, ces tours ces intersections, multipliant les angles morts et les lignes de fuite, créaient un espace propice au hasard, au fortuit, aux coïncidences, un espace devenu la matrice de ma rêverie. (p. 51-52, c'est moi qui souligne)

Pour finir, il y a douze ans exactement, à un jour près, le 17 octobre 2012, je publiais ici cet article sur Le Havre : Porte Océane.


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** Allant sur le net pour faire une recherche sur Nicolas Frize, je tombe sur son site et je vois que le 4 octobre paraît en librairie Le Studio du Temps, un livre sur son expérience à la Centrale de Saint-Maur, longue de plus de trente ans.  C'est fou... (je risque de finir comme Lucien Gaulard).



mercredi 16 octobre 2024

Felisberto et Louise Vertigo

Le 10 octobre, poursuivant la lecture de Thomas Clerc, Paris Musée du XXIe siècle, Le dix-huitième arrondissement, j'ai la surprise de tomber sur ce passage (il vient d'évoquer Louise Attaque) : "Vie antérieure : j'ai connu un groupe moins connu, Louise Vertigo, dont la chanteuse aimait un peintre nommé Turbelin, qui vécut rue Ordener. Ce que la vie peut comporter de fils !" (p. 397)

Surprise, car moi aussi j'ai connu Louise Vertigo. Oui, oui, et je peux même vous dire que ce n'est pas un groupe, la chanteuse est Louise Vertigo (vous pouvez vérifier en allant sur son site Louise Vertigo /La Voix et le Souffle). Évidemment, il s'agit là d'un pseudonyme. Mais j'ai eu beau chercher, aucune biographie ne mentionne ses origines berrichonnes. Je connais ses véritables nom et prénom, mais je ne les révèlerai pas ici, respectant le choix qu'elle a fait de jeter le voile, pour je ne sais quelle raison, sur la première partie de son existence.

J'ai ressorti pour l'occasion le disque qu'elle a réalisé en 2001, et qui porte comme titre tout bonnement Louise Vertigo. Il y avait longtemps que je ne l'avais écouté. En voici un extrait, Les chacals.

 
 

Le plus surprenant encore, c'est que la veille même, avec le Doc et Nunki Bartt, j'étais passé devant le café que tenaient ses parents à l'entrée d'un petit village du côté d'Aigurande, et j'avais pensé à elle. A elle que je n'ai pas revue depuis plus de vingt ans. Car, à une époque, où elle vivait déjà à Paris, elle revenait de temps en temps en province, et nous fréquentions la même bande de copains. Jeune femme mince et séduisante, vive et souriante, elle m'avait fait découvrir un écrivain uruguayen magnifique, Felisberto Hernández (1902-1964), en me prêtant un volume de ses nouvelles. J'avais été conquis par l'étrangeté de cette écriture, l'alliance de douceur et de fantastique, et j'avais acheté, quelques années plus tard, en 1997, le volume de ses Œuvres complètes, publié au Seuil, dans la traduction de Gabriel Saad et Laure Guille-Bataillon. Et adapté l'une de ses nouvelles les plus fortes, Les Hortenses, pour le théâtre. Dans sa préface, intitulée Felisberto ne ressemble à personne, Italo Calvino écrit que "l'association d'idées n'est pas seulement le jeu préféré des personnages de Felisberto, c'est aussi la passion dominante de l'auteur, et c'est par ce procédé qu'il construit ses récits, reliant les thèmes entre eux comme dans une composition musicale. Tout se passe comme si les expériences les plus banales de la vie quotidienne mettaient en branle les sarabandes mentales les plus imprévisibles, tandis que les caprices et les manies qui exigent une préméditation compliquée et une chorégraphie élaborée ne tendent à rien d'autre qu'à évoquer des sensations élémentaires oubliées." Juste un exemple, parmi tant d'autres, de ces images étonnantes : "Il finit par se lever, alla vers sa femme et se pencha lentement sur elle jusqu'à ce que ses lèvres touchent sa joue. On eût dit que le baiser descendait en parachute sur une plaine où existait encore le bonheur." (Les Hortenses, p. 323)

 

Une dernière anecdote liée à Louise. Le même jour, je crois (c'est si loin que je ne suis pas absolument sûr de la chronologie des faits), où elle m'avait prêté le livre, je la reconduisis le soir au café de ses parents. Et tombai en panne d'essence peu avant le village. Nous finîmes à pied, et elle m'offrit l'hospitalité pour la nuit. La cour qu'il fallait traverser était pleine de chiens qui, dans mon souvenir, étaient un peu inquiétants. Elle eut ce geste qui me transperça : elle posa sa main sur mon bras et la meute se calma comme par enchantement. Ce rapprochement n'alla pas plus loin, mais l'impression fut si forte que j'écrivis un peu plus tard une courte nouvelle, Le colporteur,  qui s'en inspirait.

Felisberto Hernández (qui était aussi pianiste)

Et pour finir, cette belle reprise de Est-ce ainsi que les hommes vivent ? par Louise Vertigo :

On comprendra que je peux reprendre à mon compte l'exclamation de Thomas Clerc : "Ce que la vie peut comporter de fils !".


mercredi 9 octobre 2024

Tu t'en vas sans moi, ma vie

Chaque fois que je pense avoir épuisé le fil irano-syrien, un prolongement se dessine, une nouvelle perspective s'ouvre, et c'est encore ce qui s'est produit dimanche dernier, de surprenante façon.

En tant que bénévole pour Lire pour en sortir, j'ai été invité à participer au Goncourt des détenus. Autrement dit, à lire une partie des seize livres sélectionnés pour ce prix. Attention, nous ne votons pas, seuls les détenus volontaires de la centrale de Saint-Maur sélectionneront  en temps voulu trois livres pour les délibérations au niveau régional puis national. Nous participons seulement aux débats, aux échanges autour des livres, lors de réunions communes dont la première a eu lieu vendredi dernier. J'ai donc choisi de lire Archipels d'Hélène Gaudy (qui apparaît en quelques endroits de ce blog), et Paris Musée du XXIe siècle, Le dix-huitième arrondissement, de Thomas Clerc. Je n'avais jamais lu Thomas Clerc, mais un article, peut-être celui de Pierre Benetti, La jubilation de la ville, dans la revue en ligne En attendant Nadeau, *m'avait fortement donné envie de le découvrir. 

Six cents pages d'une déambulation continue à travers les 415 rues, squares, places, avenues, cités, jardins, villas, boulevards, impasses et passages que compte le 18ème arrondissement : ça n'a rien d'un roman (et sans étonnement, je l'ai vu disparaître de la seconde liste du Goncourt), mais c'est bien plus passionnant et bien plus amusant que beaucoup de romans. Parce que l'auteur, piéton inlassable et flâneur méthodique qui n'a pas pour autant l'ambition de produire le guide du routard littéraire du 18ème, ponctue son périple par ce qu'il appelle lui-même des performances, j'aide mon prochain, attente, chien, j'améliore la rue..., souvent minuscules, souvent hilarantes. "(...) les performances, raconte-t-il dans un entretien avec Hugo Pradelle,  rythment le texte, y introduisent des repères. On y progresse donc à la façon d’une composition rythmique en suivant le tracé de l’événement que constituent ces performances. En effet, je ne voulais pas juste regarder la ville. Certes, j’ai un côté voyeur, visuel, et le regard est un sens de la prédation, mais je voulais convoquer tous les sens, investir le corps entier dans le récit, dans l’écriture même. C’est pour ça que ce n’est pas un livre sur le 18e, mais un livre dans le 18e. C’est très différent. Le livre relate cette expérience « immersive » et essaie d’inscrire une trace dans le monde, dans le réel."

Or, ne voilà-t-il pas que dans ce livre (que je n'ai pas encore terminé à l'heure où je rédige cet article) surgit la figure de Sadegh Hedayat : "Au 37 [de la rue Championnet], s'est suicidé au gaz l'écrivain Sadegh Hedayat, auteur de La Chouette aveugle ; je n'ai pas lu ce livre culte, mais dès qu'un écrivain se suicide, je me sens proche de lui ; pour m'en sentir plus proche, je me jure de lire ce livre avant la fin de l'écriture de ce livre."(p. 304)

Voilà, c'est tout, le lecteur n'en saura pas plus. Mais Sadegh Hedâyat n'était pas un inconnu pour moi, je n'ai pas lu non plus son livre-culte, mais je venais juste de le croiser dans L'usure d'un monde de François-Henri Désérable. Alors qu'il visite la ville de Chiraz, l'auteur évoque les poètes iraniens :

"Et puis il y a Sadegh Hedâyat, au regard d'une implacable lucidité qu'il posait sur le monde et sur lui-même ; Hedâyat qui ressemblait à Pessoa, donc à un petit-bourgeois, mais dont la prose n'avait rien de petit ni de bourgeois ; Hedâyat qui honnissait la poésie lyrique et les barbus enturbannés ; qui dans une langue sans tradition romanesque inventa le roman ; qui fit La Chouette aveugle ; qui fit Trois gouttes de sang ; qui se disait "ni d'ici ni d'ailleurs ; chassé de là, non arrivé là", et qui fin 1950 arriva quand même à Paris, erra de mansarde en soupente avant d'ouvrir le gaz rue Championnet, à trois cents mètres de chez moi - et chaque fois que j'y passe, j'y pense,je pense à l'accent circonflexe qui coiffe le premier a d'Hedayat, et je le vois s'envoler." (p. 80)
Saisissant hasard objectif : Désérable habite dans ce même 18ème arrondissement qu'arpente Thomas Clerc et où Sadegh Hedâyat a choisi de mourir. Mieux, Désérable lui-même apparaît un peu plus loin, rue Francoeur : "Au 18, poétique de l'interphone : Bonnard, Désérable, alliance de la peinture et des lettres qui se poursuit par l'atelier de reliure qui encadre la Femis." (p. 322)

 

Sadeg Hedâyat apparaît aussi, on s'en serait douté, dans L'usage du monde. En un très beau passage. Nicolas Bouvier raconte qu'un matin, avenue Lalezar, à Téhéran, en passant devant la porte ouverte d'une parfumerie, il entend une voix sourde, "voilée comme celle d'un dormeur qui rêve tout haut :

... Tu t'en vas sans moi, ma vie
Tu roules, 
Et moi, j'attends encore de faire un pas
Tu portes ailleurs la bataille
..."

Bouvier entre dans la boutique sur la pointe des pieds et voit un gros homme lire ces vers de La nuit remue, d'Henri Michaux, "affaissé contre un bureau-cylindre dans la lumière dorée des flacons de Chanel. [...] Une impression extraordinaire d'acquiescement et de bonheur était répandue sur son large  visage mongol perlé de sueur." "Je me gardai bien de l'interrompre, ajoute Bouvier ; jamais la poésie n'est mieux dite que de cette façon-là." Il fait ainsi la connaissance de Sorab, vingt-cinq ans, qui en paraissait tantôt seize, tantôt quarante : "Plutôt quarante, et le ton de qui en a déjà fini avec les surprises de l'existence. C'est qu'il n'avait pas toujours récité Michaux dans une parfumerie. Il avait fait beaucoup de choses, Sorab, et s'y était pris de bonne heure. A seize ans déjà : lecture, noctambulisme, haschisch dans l'entourage du poète Hedâyat où on l'acceptait malgré sa jeunesse. Aujourd'hui Hedâyat est mort, il a ouvert le gaz dans sa mansarde parisienne, mais son ombre habite encore la jeune littérature iranienne. Il se droguait ; beaucoup se droguent. Il s'est tué ; certains se tueront. Il aimait les fleurs funèbres, la gratuité, l'abandon, et vivait dans le sentiment de la mort et de la nuit ; ses épigones font tout cela." (p. 205)

Javad Alizadeh, « Sadegh Hedayat, black novelist » © CC BY-SA 3.0/Javad Alizadeh/Wikipedia

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* Non, en réalité, c'était celui de Christian Rosset, dans Diacritik.


jeudi 3 octobre 2024

Les graines du figuier sauvage

François-Henri Désérable traverse donc l'Iran fin 2022 alors que fait rage la répression du régime contre les manifestations qui ont suivi la mort de Mahsa Amini. Quarante jours de Téhéran jusqu'au Baloutchistan et au Kurdistan, d'où il est sommé de quitter le pays dans les trois jours. Récit que j'ai lu d'une traite, et dont rend bien compte Norbert Czarny dans un article pour En attendant Nadeau. Il y souligne cette notion de courage qui s'impose à la découverte des anecdotes qui émaillent l'ouvrage. Courage de l'auteur entreprenant ce voyage, formellement déconseillé par le ministère des Affaires étrangères (mais Désérable est déjà dans l'avion quand il reçoit cet avertissement), courage qu'il relativise ("mes réserves en la matière sont assez limitées") et il n'hésite pas à raconter comment il en a manqué quand Niloofar, une jeune Iranienne qu'il accompagnait dans les rues à Téhéran a soudain crié Marg bar dictator ! - "Mort au dictateur !". Stupéfait par son audace, il s'est tu et a fait un pas de côté : "La rue était presque vide, il n'y avait que deux hommes un peu plus loin devant la porte d'un immeuble, pourtant j'ai pris peur. J'ai eu peur que ces deux hommes ne soient des agents du régime, ou que des agents du régime n'arrivent en trombe sur leur moto, peur de me faire tabasser, et de me faire arrêter, et de finir en prison, et d'y rester pour longtemps. Cela n'a duré qu'un instant, je en suis même pas sûr que Niloofar s'en soit aperçue, mais moi, cette petite lâcheté, cette démission du courage m'a fait honte, oui, j'ai éprouvé de la honte à m'être écarté de cette fille à côté de qui un instant plus tôt je marchais, avec qui je parlais, et qui, de la manière la plus éclatante, venait de me démontrer ce que c'était vraiment, en avoir. " (p. 45-46) Dont acte, mais c'est aussi du courage de sa part de raconter cette histoire où il n'a pas le beau rôle.

Et c'est avec une autre jeune femme courageuse qu'il conclut son livre, Firouzeh, qu'il rencontre à Ispahan où elle fait des études d'ingénieur, en bossant aussi quarante heures par semaine dans une auberge de jeunesse. Elle lui avait confié non sa peur de la mort mais celle de la prison, et elle s'y préparait en apprenant des poèmes, des dizaines, des centaines de poèmes qu'elle apprenait par cœur au cas où. "Allez savoir pourquoi, écrit Norbert Czarny, on songe aux prisonniers et déportés sous le stalinisme ; on pense à Akhmatova écrivant Requiem ou à ceux qui apprenaient par cœur les poèmes de Mandelstam pour au moins sauver cette beauté." Et François-Henri Désérable termine ainsi de façon bouleversante : "Si un jour elle se faisait arrêter, on aurait beau l'enfermer, l'entasser dans une cellule avec des dizaines d'autres ou la mettre à l'isolement, on aurait beau la priver de nourriture et de sommeil, l'injurier, la tabasser, la violer, il y a une chose, une petite chose qui constituait la part irréductible de son être et que rien ni personne, ni la peur ni les mollahs, ni les gardiens ne pourraient jamais lui ôter : les poèmes qu'elle connaissait par cœur et qu'elle se réciterait, en attendant la mort ou peut-être, enfin, la liberté." (p. 172-173)

Autres femmes de courage, celles du film Les graines du figuier sauvage, de Mohammad Rasoulof, que j'ai vu la semaine dernière. Un quasi huis clos qui se déroule au moment des manifestations contre le régime, et qui fut tourné dans la clandestinité la plus grande. 

Mohammad Rasoulof : Je ne peux pas expliquer comment, mais nous avons réussi à contourner le système de censure. Le gouvernement ne peut pas tout contrôler. En intimidant et en effrayant les gens, ils essaient de donner l’impression qu’ils maîtrisent tout, mais cette méthode est une grenade assourdissante dont seul le bruit peut vous effrayer. Et finalement, le courage de mon équipe a été la force motrice qui nous a permis de terminer ce film. Le choix des acteurs a été compliqué. Nous ne pouvions pas procéder à un casting large, car cela implique d’informer de nombreuses personnes, et la nouvelle d’un film en train de se préparer se répandrait peu à peu... Nous avons donc contacté les personnes une à une. Nous devions deviner qui, en plus de ses capacités artistiques, aurait la volonté et le courage de jouer dans un tel film. Il est délicat de savoir qui approcher, et cela demande beaucoup de confiance de toutes parts. (Dossier de presse)

"Pendant longtemps, raconte Mohammad Rasoulof, j’ai vécu sur une île au sud de l’Iran. Sur cette île, il y a quelques vieux figuiers sauvages dont le nom scientifique est « ficus religiosa ». Le cycle de vie de cet arbre m’a inspiré. Ses graines, contenues dans des déjections d’oiseau, chutent sur d’autres arbres. Elles germent dans les interstices des branches et les racines naissantes poussent vers le sol. De nouvelles branches surgissent et enlacent le tronc de l’arbre hôte jusqu’à l’étrangler. Le figuier sauvage se dresse enfin, libéré de son socle."


mardi 1 octobre 2024

Même si l'abri de ta nuit est peu sûr

Vendredi dernier, le Doc est sorti de sa campagne. Une réunion à la Préfecture pour l'organisation, si j'ai bien compris, des prochaines élections professionnelles du monde agricole : il y représentait la Confédération paysanne, dont il fut un temps porte-parole dans l'Indre. La chose se traitait en matinée, l'occasion de se retrouver pour déjeuner dans un resto du centre. Nunki Bartt, le Kid, était de la partie aussi bien sûr. Je tiendrai secret les propos que nous échangeâmes, je ne mentionne tout cela que pour donner le contexte d'apparition du livre dont je veux parler aujourd'hui. Vous me direz qu'on pourrait se passer du contexte, et vous auriez raison. Sans doute. Mais c'est comme cette expression même, sans doute,  en fait le plus souvent elle signale paradoxalement qu'il y en a un, un doute, ténu si l'on veut, négligeable peut-être, mais un doute quand même. Alors, au bénéfice du doute, oui, je le précise, comme j'avais un peu d'avance pour notre rendez-vous, je suis allé traîner à la Fnac, et je suis tombé sur un Folio que je ne pouvais laisser passer. L'usure d'un monde de François-Henri Désérable, sous-titré Une traversée de l'Iran. 

C'était mon fil irano-syrien qui se prolongeait. Certes, on peut objecter qu'il y avait toutes les chances, en entrant dans une librairie, de trouver au moins un bouquin qui cause de l'Iran. Oui encore, bien sûr, seulement regardez bien le titre : l'usure d'un monde. Ça ne vous rappelle rien ? Non ? Ouvrons le livre alors, et allons à la citation en exergue : "Ici, où tout va de travers, nous avons trouvé plus d'hospitalité, de bienveillance, de délicatesse et de concours que deux Persans en voyage n'en pourraient attendre de ma ville où pourtant tout marche bien." En dessous, on peut lire Nicolas Bouvier, L'usage du monde

Et c'est bien pour cela que je n'ai plus hésité une seconde à acheter ce livre. Nicolas Bouvier, L'usage du monde, je venais juste d'y faire allusion dans mon dernier billet, en le comparant au Livre de l'amour infini de Maxime Rovere. Désérable écrit que la découverte de Bouvier, vers vingt-cinq ans, fut pour lui "une déflagration comme j'en ai peu connues dans ma vie de lecteur. C'était prendre la vraie mesure du monde, en même temps que son pouls. On s'avise qu'il est vaste, et grandiose, et terrible - et qu'on n'en a rien vu. Dès lors, on ne connaît pas de mot plus beau, plus enivrant que celui de voyage, et l'on est mû par une seule obsession : prendre la route." (p. 17) 

J'étais plus âgé quand j'ai découvert Nicolas Bouvier : sur mon exemplaire du livre, l'ex-libris au feutre noir mentionne L'Ancre de miséricorde, La Trinité-sur-Mer, 30 juillet 97. Ce fut un enchantement, et je n'ai jamais oublié l'admiration de l'écrivain pour ce pays, l'Iran, où il passa près d'un an, avec son ami Thierry Vernet, dont les dessins ornent le récit. Partis tous les deux depuis Belgrade en 1953, au volant d'une petite Fiat Topolino, ils traversèrent la Yougoslavie, la Turquie, l'Iran, le Pakistan, avant de finir un an et demi plus tard en Afghanistan. Ce dont j'avais souvenir, ce qui m'avait particulièrement frappé, c'était la forte présence de la poésie dans la vie du peuple persan. Nicolas Bouvier écrit : "En Iran, l'emprise et la popularité d'une poésie assez hermétique et vieille de plus de cinq cents ans sont extraordinaires. Des boutiquiers accroupis devant leurs échoppes chaussent leurs lunettes pour s'en lire d'un trottoir à l'autre. Dans ces gargotes du bazar qui sont pleines de mauvaises têtes, on tombe parfois sur un consommateur en loques qui ferme les yeux de plaisir, tout illuminé par quelques rimes qu'un copain lui murmure dans l'oreille. Jusqu'au fond des campagnes, on sait par cœur quantité de "ghazal" (17 à 40 vers) d'Omar Khayam, Saadi ou Hâfiz. Comme si, chez nous, les manœuvres ou les tueurs de la Villette se nourrissaient de Maurice Scève ou de Nerval."

La première page du manuscrit du Divân 1899
 

Sur la portière gauche de leur Fiat, les deux gaillards avaient fait inscrire en persan un quatrain de Hâfiz, une inscription qui fut selon Bouvier, un sésame et une "sauvegarde dans des coins du pays où l'on n'a guère sujet d'aimer l'étranger":

Même si l'abri de ta nuit est peu sûr
et ton but encore lointain
sache qu'il n'existe pas 
de chemin sans terme 
Ne sois pas triste

 


François-Henri Désérable cite aussi ce poème, rapportant aussi l'anecdote de la portière : "Il n'est pas un seul Iranien qui ne connaisse au moins quelques vers de Hafez. Pas en Iran un seul Iranien qui n'ait un jour ouvert le Divân. Hafez, disent les Iraniens, parle la langue de l'invisible. Et dans les vers de ce poète mort il y a plus de six siècles, ils cherchent des réponses à leurs questions existentielles." (p. 81)

Il écrit Hafez et non Hâfiz. Mais c'est Hâfiz tel que l'écrivait Bouvier que je tenais en mémoire lors de ce stage théâtral autour du silence que j'ai évoqué dernièrement (organisé, je le rappelle, par le Doc, tout se rejoint), car, lors de cet exercice dont j'ai parlé et qui consistait à inventer une expression contenant le mot silence, j'avais finalement choisi Pendant la nuit vendange le silence. Une formule poétique que j'attribuai dans mon explication (et le Doc, encore lui, avec qui j'étais en duo sur cette impro, ne cessait d'insister sur la nuit), explication fort confuse en vérité, au poète Hâfiz, arrivant la nuit sur un caravansérail au coeur d'un désert. Dois-je préciser que c'était donc une semaine avant de découvrir le livre de Désérable et de me remémorer L'usage du monde ?


 


samedi 28 septembre 2024

Silences et coïncidences

Retour à Maxime Rovere. Au Livre de l'amour infini. "Roman vrai de l'Antiquité", nous dit la quatrième de couverture. Je tique sur cette expression de "roman vrai". Il y aurait donc des romans faux ? Des romans qui mentent ? Un roman vrai est-il encore une fiction ? Le roman a-t-il besoin d'être "vrai" pour avoir de la valeur ?  

De fait, j'attendais beaucoup de ce livre et j'ai assez vite déchanté. Il est assurément très bien documenté, et Maxime Rovere ne manque pas de faire valoir la longue liste de spécialistes, historiens ou archéologues, qu'il a consultés pour l'écrire. Il n'en reste pas moins que c'est une oeuvre de fiction, composée de beaucoup de dialogues, et que cela soit une fiction ne me dérange pas, bien au contraire, mais c'est la prétention à la vérité qui me chagrine. Je ne pouvais me déprendre d'une sensation d'artificialité, comme bien souvent dans ce genre du roman historique. Damis, le narrateur, cité par Philostrate dans sa Vie d'Apollonios de Tyane, et qui a peut-être existé (il n'y a pas de consensus à ce sujet), est un personnage qui ne m'a pas convaincu, peut-être parce que je le perçois surtout comme une cheville commode pour raconter l'histoire. Il est au soir de sa vie, et il relate sans faiblir, sans douter une seule seconde de sa mémoire, des conversations longues et complexes auxquelles il a assisté dans sa jeunesse. Le livre (509 pages) est rempli de voyages et de tribulations diverses mais on est au plus loin du sublime L'usage du monde, de Nicolas Bouvier. Le fait est que je me suis ennuyé au point de terminer l'ouvrage en le lisant en diagonale. 

Je n'ai pas retrouvé cette réflexion sur les synchronicités qui avait attiré mon attention pendant l'entretien chez Mollat. Il y avait bien cette idée de lire les signes, qui apparut dans l'un des chapitres, mais rien qui aille aussi loin qu'annoncé. On peut bien évidemment se dire qu'il n'était pas question d'user du terme même de synchronicité, inventé par Jung*, et qui aurait sonné comme un anachronisme. Marc Lebiez, dans son article sur En attendant Nadeau, écrit, à mon sens fort justement : "Le lecteur est devant un livre du XXIe siècle dont l’écriture ne rappelle en rien celle que l’on pouvait pratiquer au IIIe siècle. Ce n’est pas un pastiche et l’on n’est pas choqué par des anachronismes manifestes ; c’est juste le ton qui n’y est pas. On ne peut pas faire dire à un pythagoricien du premier siècle qu’un « dieu est une présence qui a du sens » ni préciser qu’un « signe est un relais du sens » : ces thématiques de la présence et du sens sont étrangères à la pensée antique. "

 

Il reste que si l'on n'emploie pas un terme étranger à l'époque, il n'est pas interdit d'évoquer l'idée, le concept sous-jacent qui, lui, existait bel et bien. Les coïncidences significatives ne pouvaient pas manquer d'être constatées aussi au 1er siècle après J.-C. Or, la vie d'Apollonios et de Damis se déroule sans que jamais une seule coïncidence ne vienne frapper à la vitre de leur conscience. Cela n'est guère surprenant d'une certaine manière, car on sait bien que la fiction répugne à en faire mention. Car la coïncidence dans la fiction a tendance à la faire sonner comme irréaliste. On y voit non l'intervention d'un destin malicieux mais la patte d'un créateur paresseux. Alors que les coïncidences sont, je ne dis pas légion, mais assurément non rares dans la vie, elles sont en quelque sorte bannies d'un roman de bon aloi. Seuls quelques écrivains sont parvenus à en faire presque la matière même de leur inspiration. Ainsi Paul Auster, auteur du Carnet rouge où il a consigné une série de coïncidences extraordinaires qu'il a pu observer ou dont il a eu connaissance autour de lui ; Jean-Luc Joly, dans un article de 2010, "La seconde musique du hasard : Paul Auster et Georges Perec" précise : 

"L'édition à part de ce texte (publiée en 1993, à tirage limité, chez Actes Sud) précise sur la quatrième de couverture : « Le carnet rouge existe bel et bien. Depuis des années, Paul Auster y consigne des événements bizarres, coïncidences, étrangetés et autres invraisemblances dont il fut un jour victime, confident ou témoin. » Naturellement, Le Carnet rouge n'est pas le seul texte de Paul Auster où les singularités du hasard jouent un rôle important (par exemple, Le Livre de la mémoire, deuxième partie de L'Invention de la solitude, consigne lui aussi les coïncidences extraordinaires, et ces dernières jouent un rôle important dans la plupart des grands romans de Paul Auster, à commencer, naturellement, par La Musique du hasard) mais son intérêt tient ici à son appartenance au genre autobiographique. Perec s'intéressait lui aussi à ces partitions de la « musique du hasard » dans sa vie et son œuvre. Sur ce point, je renvoie à : Jean-Luc Joly, « Pièges de sens. Contrainte et révélation dans l'œuvre de Georges Perec », dans : Christelle Reggiani et Bernard Magné éds., Écrire l'énigme, Paris, Presses de l'Université Paris-Sorbonne, 2007, p. 289-304 )"

Pourtant, le livre lui-même de Rovere fut support de coïncidence. On va voir comment.

Notre ami le Doc nous avait proposé un stage de théâtre dans son bourg de Lacs. Entre le silence en était le thème, l'intitulé. Le silence créatif. Voici un extrait de sa présentation : "

"Il est partout et nulle part à la fois. Il peut s’avérer apaisant ou douloureux, bénéfique ou cruel, empreint de compassion ou de trahison. Il fait rire et pleurer. Il est parfois nécessaire, parfois blessant. Au théâtre, il s’immisce, s’impose. Il est grandiose et discret à la fois, intime mais rassembleur. Vertigineux. Complexe. Le silence est inévitable. Silencieux ? Et pas simplement de sa parole, qu'est ce qu'être silencieux dans le calme de son propre corps ? Que serait le théâtre si tous les mots se suivaient, sans pause, sans silence ? Quel enchevêtrement de sens ce serait alors ! (...)"

Le stage était animé par Bastien Crinon, de la compagnie Aurachrome. J'avais déjà suivi, à Lacs déjà, il y a bien longtemps, un stage de clown avec Bastien, et j'en avais gardé un bon souvenir, mais bon, avais-je encore envie de suivre un stage de théâtre ? Moby Dick ne m'avait-il pas suffi ? Non, j'en avais fini avec les stages. Une semaine avant la date fatidique, j'étais donc résolu à décliner l'offre du Doc. Et puis un lundi il m'appela. Ou plutôt je vis qu'il m'avait appelé. Et soudain, pour une raison inconnue de moi-même, j'eus soudain envie de participer. Nunki Bartt fut aussi de la partie. Vendredi soir 20 septembre, nous rejoignîmes la salle des fêtes de Lacs pour explorer cette foutue histoire de silence.

Je ne le regrettai pas. Ces trois jours à Lacs furent riches et précieux ; Bastien, un maître de stage alerte et bienveillant, drôle et généreux. Dimanche après-midi, de retour chez moi, j'en avais plein les pattes mais j'étais heureux d'avoir changé d'avis.

Lacs-Jour 2
 

C'est là que je repris Rovere, mais, je l'ai dit, en diagonale, à vive allure. Et voilà qu'à quelques pages de la fin, je lus ce dialogue entre Apollonios et Damis, juste avant leur séparation définitive :

"Moi, j'irai bientôt de l'autre côté du silence. Toi, tu as encore à faire, je le sais.
Il s'interrompit. Par une étrange association d'idées, je pensai au volume qu'il avait écrit au retour de la grotte.
- Apollonios, répondis-je, laisse-moi emporter à Rome ce que tu as écrit. Je m'occuperai d'éditer Le don des silences, je le ferai publier, il pourra...
Il rit comme s'il venait d'entendre une plaisanterie.
- Si je l'avais gardé, Damis, dans quelle langue l'aurais-tu traduit ? Dans les silences de quelle langue ?" (p. 504)

Et je songeai alors que le silence était inscrit dès l'incipit du roman :

"Toute parole se juge à l'aune du silence. Si l'on retenait le silence comme étalon pour ce que l'on entend, les propos qui frappent nos oreilles s'évanouiraient presque aussitôt. Semblables aux aboiements des chiens que les promeneurs laissent se perdre dans le lointain, ils nous retiendraient à peine. Libres d'aller parmi des créatures humaines que notre propre silence ferait roucouler comme par enchantement, nous traverserions la vie  dans une tranquillité digne des premières heures de l'aube. Notre attention se tournerait alors vers d'autres sons, vers d'autres voix. Nous passerions le temps à nous émerveiller des harmoniques du monde." (p. 13)

 Enfin, lisant ce fragment de phrase, notre propre silence ferait roucouler comme par enchantement, je me souvins que lors d'un exercice proposé par Bastien, qui consistait à inventer une expression contenant le mot silence, pour en faire ensuite l'explication en improvisation, j'avais failli prendre ces deux vers d'Alluvions qui m'étaient remontés en mémoire :

Mais aujourd'hui le silence
roucoule sur l'ardoise

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* "Le concept de synchronicité apparaît pour la première fois le dans le compte rendu du séminaire sur l'analyse des rêves. En 1934, un de ses patients avait vu dans un rêve un aigle qui mangeait ses propres plumes ; or, quelque temps après, Jung, au British Museum, découvrit un manuscrit alchimique attribué à Ripley, qui représentait un aigle mangeant ses propres plumes. Le mot apparaît dans une lettre au physicien Pascual Jordan, le ." (Wikipedia)

mercredi 25 septembre 2024

Tatami et le Bureau des Légendes

Peu après avoir commencé la lecture du roman de Maxime Rovere, Le Livre de l'amour infini, nous allâmes voir au cinéma - c'était l'après-midi et j'étais encore à Bourges - le film de Zar Amir et Guy Nattiv, Tatami. A travers lui, c'est le fil irano-syrien qui continuait de se dérouler : "Leila, judoka iranienne, participe aux championnats du monde avec l’intention de ramener la première médaille d'or de l'Iran. Alors qu’elle mène brillamment ses premiers combats, son entraineuse Maryam reçoit un ultimatum de la République iranienne ordonnant à Leila d’abandonner la compétition. La raison ? Éviter qu’elle ne tombe contre la représentante d’Israël et perde son combat. Le régime iranien menace les proches des deux jeunes femmes. Leila doit dès lors décider : continuer la compétition et faire valoir ses droits ou protéger sa famille."(Résumé emprunté au site des Grignoux)

Filmé dans un noir et blanc somptueux, Tatami nous empoigne dès l'ouverture et ne nous laisse aucun répit. Les combats s'enchaînent, la caméra au plus près des corps, le public n'existant qu'à travers sa rumeur, et on a presque peine à croire qu'il s'agisse du même judo que celui qu'on voyait récemment aux Jeux olympiques. Mais la violence de ce qui se passe en coulisses est encore bien plus grande : l'intimidation, les messages reçus sur les portables, la peur pour la famille restée au pays, génèrent une tension énorme.

Le film, co-réalisé par un Israélien et une Iranienne, est inspiré de plusieurs histoires vraies dont celle de Kimia Alizadeh, taekwondoïste iranienne qui a d'abord fait partie de l'équipe olympique des réfugiés en 2020 après avoir fui son pays. Ayant finalement obtenu la nationalité bulgare, elle a participé aux Jeux olympiques de Paris, où elle a décroché une médaille de bronze. Sur le podium, Nahid Kiani, l'iranienne qui avait obtenu la médaille d'argent, a embrassé son ancienne compatriote, un geste symbolique qui, sans surprise, a souverainement déplu au régime : la séquence a été non seulement censurée par la télévision du régime islamique (Press TV), mais sur la dizaine de tweets de Press TV sur Nahid Kiani, on la voit jamais recevoir sa médaille sur le podium.

 

Je n'étais pas encore au bout du fil. Le soir-même, on me proposa de regarder le Bureau des Légendes, la série de Canal + que je n'avais jamais vue. Et paf ! Je découvre l'agent "Malotru (Mathieu Kassovitz), qui vient de passer six ans à Damas et revient à Paris, abandonnant ainsi sa "légende". Il ne tarde pas à rencontrer Marion Loiseau (Sara Giraudeau), pour un test de recrutement.


Or, Marion sera envoyé à Téhéran, comme ingénieur en sismologie pour infiltrer le nucléaire iranien.

Bon, j'ai visionné les deux premiers épisodes. Il n'est pas certain que j'aille beaucoup plus loin (mais on m'a assuré que l'intérêt allait grandissant, alors...).

Au prochain épisode de ma série personnelle, de ma Légende à moi, promis, je reviens à Rovere.