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lundi 24 août 2020

Le cinéma est le plus puissant moyen de poésie

 "Cher ami, je crois que c'est le merle qui m'a fait penser à vous, et reproché mon silence. (...)"

Philippe Jaccottet à Gustave Roud, 28 février 1952, in Correspondance, Gallimard, p. 196.

Une petite merlette s'est posée dans le jardin, mais je n'ai pas eu l'heur de la voir. On m'a raconté. Et qu'il y avait beau temps que l'on n'avait vu de merle par ici. Et puis d'un livre lu en commun, un autre merle s'est manifesté, que j'avais déjà oublié : c'est à l'ouverture du bel essai de Vinciane Despret, Habiter en oiseau (Actes Sud, 2019). 

"Il s'est d'abord agi d'un merle. La fenêtre de ma chambre était restée ouverte pour la première fois depuis des mois, comme un signe de victoire sur l'hiver. Son chant m'a réveillée à l'aube. Il chantait de tout son coeur, de toutes ses forces, de tout son talent de merle. Un autre lui a répondu un peu plus loin, sans doute d'un cheminée des environs. Je n'ai pu me rendormir. Ce merle chantait, dirait le philosophe Etienne Souriau, avec l'enthousiasme de son corps, comme peuvent le faire les animaux totalement pris par le jeu et les simulations du faire semblant. Mais ce n'est pas cet enthousiasme qui m'a tenue éveillée, ni ce qu'un biologiste grognon aurait pu appeler une bruyante réussite de l'évolution. C'est l'attention soutenue de ce merle à faire varier chaque série de notes. J'ai été capturée dès le second ou le troisième appel, par ce qui devint un roman audiophonique dont j'appelais chaque épisode avec un "et encore ," muet. Chaque séquence différait de la précédente, chacune s'inventait sous la forme d'un contrepoint inédit."
Cette section du livre s'appelle justement contrepoint, et l'ensemble avancera ainsi, alternant chapitres et contrepoints, jusqu'à l'ultime, qui se refermera avec une nouvelle évocation du merle :

"L'hiver n'est pas fini, on annonce de la neige pour demain. Mais je sais que bientôt, c'est avec le merle que le soleil se lèvera et que chaque matin je m'éveillerai et vivrai dans un territoire chanté. Je peux dès à présent sentir qu'une nouvelle histoire est en train de se tramer. Le merle est là. Et je suis heureuse que ce soir par la grâce de sa présence, et en sa présence, que s'écrivent les dernières lignes de cette histoire et qu'en commence une autre. Qu'il en soit remercié."

La couverture même du livre exaltait ces oiseaux noirs qui sont également - je m'en avisai aussi un peu plus tard - dans le titre même des deux articles précédant celui des merles, Mor'Vran, la mer des corbeaux, et La Déesse blanche et le cormoran

A l'origine de ce triptyque, il y a donc ce Jean Epstein, dont je ne cesse de découvrir la richesse du cinéma. Grâce aussi à deux échos bienvenus. Le 11 août, Anne-Marie B. m'écrivait ceci : "Te lis ce soir et vole à la pointe de Van .. Bouffées de fraicheur ..Clin d'oeil joyeux car en Mai "confiné", l"association Cinéfil de Blois dont je fais partie proposait à ses adhérents via internet un volet "Mer" avec le cycle breton d'Epstein." Quelques liens suivaient. Je pus ainsi visionner le très beau documentaire de James June Schneider, Jean Epstein, Young Oceans of Cinema (2011) : "Histoires de lieux, à la recherche de la vérité fabuleuse : pour aborder la large part maritime de l'œuvre d'Epstein, James Schneider retrouve les lieux qui ont inspiré le cinéaste et reconstitue visuellement certains plans. Près de dix ans de travail pour monter à bien cette excursion. Extraits de films, citations de ses écrits, archives (interviews de sa sœur et collaboratrice Marie Epstein, de Jean Rouch, grand admirateur), et témoignages de descendants de marins complètent ce portrait hanté par des images de mer en colère et le grondement du vent.




 

L'autre résonance est portée par le musicien Jean-Jacques Birgé, qui republia le 20 août dernier, quatre jours à peine, deux articles de 2007 et 2014 sur Jean Epstein, dont il mit en musique avec Un Drame Musical Instantané, plusieurs films muets.

De ce billet, j'extrais le passage suivant, qui se termine par l'évocation d'un autre oiseau noir...

 

"1928. La chute de la maison Usher. Le ralenti, les surimpressions, les travellings de ce cinéaste poète donnent déjà à Edgar Poe l’inquiétante musique qu’il mérite. C'est à cette occasion que Francis et Bernard adaptèrent pour la première fois L'invitation au voyage de Baudelaire et Duparc. Notre travail était beaucoup plus contemporain, nul besoin de repères historiques. Si La glace est très "modern style", Usher est intemporel et de nulle part, juste dans le rêve et l'inconscient. Nous voulions transposer Edgar Poe en musique, j'utilisais d'ailleurs une thématique empruntée à la version inachevée de Claude Debussy (rendant visite à Peter Scarlet dans son appartement de Ann Street, la plus petite rue de New York, célébrée par la plus courte chanson de Charles Ives, nous remarquons la plaque rappelant que Poe y écrivit Le corbeau...)"

 

 

mardi 18 août 2020

En cet après-midi où surgissaient les merles

 

"Au plus fort de l’orage, il y a toujours un oiseau pour nous rassurer. C’est l’oiseau inconnu, il chante avant de s’envoler".

  René Char, Rougeur des matinaux (Les Matinaux, 1950)

On ne se débarrasse pas si facilement de ses naïvetés. Une des miennes est de croire le dialogue toujours possible, la discussion contradictoire avec le souci d'entendre le point de vue de l'autre. C'est oublier que pour certains il ne s'agit que d'asséner son opinion et de l'instituer en vérité universelle. Détenteurs auto-proclamés d'un soi-disant bon sens, qui exonère de toute nécessité argumentative, ils trouvent dans les réseaux sociaux un terrain de chasse idéal. Ces prédateurs, dont la morgue et l'arrogance le disputent à la mauvaise foi la plus crasse, vous donnent envie de fuir ce monde (qu'ils ne se lassent pas eux-mêmes de conspuer, persuadés d'être la seule étincelle d'intelligence dans un monde d'abrutis).

Au sortir de l'une de ces joutes stériles, et devant partir quelque temps de chez moi, je me demandais quel livre emporter. Moins ce livre parlerait des hommes, mieux cela vaudrait. Et c'est ainsi que j'embarquais le Tendre bestiaire de Maurice Genevoix, acheté deux euros l'hiver dernier dans une bouquinerie de La Bourboule. La tendresse, c'est ce qu'il me fallait, quant au bestiaire, je savais depuis la lecture de ce chef d'oeuvre, Ceux de 14, que le vieux chantre du Val de Loire n'avait jamais manqué d'attention à nos frères animaux, fut-ce au coeur même, on va le voir, de la désolation et du désastre. Comme compagnon de viatique, je joignais La Descente de l'Escaut, de Franck Venaille, un recueil poétique sombre et douloureux, et pourtant, paradoxalement, allez comprendre, consolateur et revigorant.

Hier après-midi, je plonge encore une fois dans les pages jaunies du Genevoix et lis le chapitre consacré au Merle. Et, encore une fois, je suis séduit par la finesse d'écriture, la précision du lexique et le lyrisme toujours maîtrisé de l'auteur :

"Quarante printemps, dans ma mémoire, s'accompagne du chant des merles. Pas une allée de notre petit bois où mes yeux ne puissent revoir, filant du soleil à l'ombre, le vol rasant d'un merle en quête. Chaque fois alors mon cœur s'émeut au souvenir de la merlette meusienne qui filait ainsi devant moi, un lointain matin de septembre."

L'histoire, la terrible histoire des hommes, vient résonner dans ce souvenir :

"Nous nous étions battus toute la nuit, aux éclairs d'un orage dont les éclats brisants roulaient au loin sur le plateau. La pluie dardait des flèches phosphorescentes. Les cris des hommes, le crépitement énorme d'une fusillade frénétique, les déchirantes lueurs mauves qui vibraient à travers le ciel, des ombres d'hommes à peine entrevues, l'épaisseur des ténèbres qui refluaient sur de confuses mêlées, tout nous précipitait au coeur d'un cauchemar fantastique, nous y maintenait, nous rejetait à sa monstrueuse sauvagerie.

C'était la nuit du 9 au 10 septembre 1914. Guère plus d'un mois auparavant, nous vivions dans la paix enchantée des vacances. Et voici que, le matin venu, aux lisières mêmes de l'âpre bataille, nous suivions une allée forestière dans la douceur de l'herbe mouillée. Nous venions de gagner la bataille de la Marne, mais nous ne le savions pas. Il y avait seulement ce layon glauque où nos pas s'étouffaient, cette fine pluie d'après l'orage, ce calme, ce divin silence ; et soudain, presque sous nos pas, soulevant les feuilles du vent de ses ailes, ce petit oiseau brun du bon Dieu, ce messager du monde vivant qui me disait : "Tout continue. La paix existe."

Je suis saisi. Je ne vais guère plus loin cet après-midi là. Un moment plus tard, j'oblique sur Venaille, j'achève La Descente sur l'Escaut et commence à feuilleter le recueil qui suit : Tragique (2001). Et là, je réalise que l'oiseau est aussi chez Venaille un thème fréquent, et, singulièrement, le merle (p. 229):

En ces après-midi où surgissaient les merles

- petits orateurs agités et pugnaces -

je ne demandais rien d'autre à la vie que cela

partager le silence capiteux

me laisser abuser par leur si incompréhensible joie

et

pourquoi pas ?

à mon tour étendre sur ma douleur mes ailes noires

afin de la cacher au regard d'autrui

en ces après-midi où surgissaient les merles. (...)

Mais aussi, plus tôt dans le recueil, en ce poème justifié (p. 160) :

des vasques,  pleines encore des souvenirs

du chant des merles,  sourd  maintenant la

brume du couchant -  là, en un dernier feu

le dernier homme brûle votre robe impudi-

que : par  mélancolie  de ce jour  finissant

Arrêt encore une fois. Interruption. Il faut prendre le temps de savourer ces résonances, les laisser s'épandre en soi. Je referme le volume. Mais un autre courant bientôt me traverse, une impulsion soudaine me conduit vers une bande dessinée : Le Rapport de Brodeck, de Manu Larcenet, d'après le roman de Philippe Claudel. C'est une conversation de samedi dernier, sur les rives de l'Indre, avec Santana Alcala, qui m'est revenu avec la force d'un piège tout à coup détendu. Il avait offert de me prêter les deux volumes de l'oeuvre, mais ce n'était pas la peine, ils étaient déjà dans la maison où j'étais accueilli.  J'ouvre séance tenante le premier tome de cette puissante histoire, elle aussi âpre et douloureuse, et déjà l'oiseau s'annonce, case 2 de la première planche :

 

Il ne faut pas longtemps pour comprendre que l'oiseau sera omniprésent dans l'album, jamais directement au coeur de l'intrigue, mais vigie inlassable, témoin muet, sentinelle du drame, solitaire ou en bandes organisées :

Page 29

Page 31

La coïncidence ne s'arrête pas là, elle se fait pétrifiante quand surgit soudain le merle même, en toutes lettres :

Page38

Page 133

Et n'est-ce pas le merle lui-même qui pose sur la branche enneigée à la première planche du tome 2 ?

Et, ce matin, comme pour parachever cette triple surgie du merle dans ma vie, alors que je recherche une illustration pour Venaille, je tombe sur cet article d'En attendant Nadeau, Hommages à Franck Venaille, daté du 23 octobre 2018, peu après le décès du poète en août précédent. Or, l'hommage de Norbert Czarny commence ainsi :

Et on peut y lire ceci : 

"Mais qui contemple cette ville ? Le poète qui a vieilli ? L’enfant qu’il était et dont il raconte les émotions, les croyances naïves, les désillusions ? L’adulte et l’enfant, ensemble, mais aussi un de ces oiseaux qui traversent les pages, dont ces mouettes si nombreuses qui poussent des « kra… kra » qui grincent, rappelant que le tragique a ses limites. Et surtout le « merle baroque » qui se moque, le merle primesautier et sautillant qui imprime son rythme à la prose, la fait passer du tragique au drôle, du sinistre au léger dans ce flux ininterrompu du paragraphe : « Nous avons tous besoin d’un merle qui nous ramène à l’enfance profonde. Ou bien nous y conduise »." [C'est moi qui souligne]

A ma tante Madeleine, décédée le 14 août à Mascoutah, dans l'Illinois, où vivait la fille de Philippe, son mari.

mercredi 9 septembre 2020

Je ne sais pas ce qui se passe

"Pendant que je sortais mon ordinateur personnel, nous nous sommes avoué qu'en apercevant les oiseaux qui se dirigeaient vers nous notre esprit avait paniqué. Nous avions cru qu'il s'agissait de drones ou même de missiles. J'ai ouvert mon ordinateur et googlé les perroquets. Mon ami s'est assis à côté de moi, coudes sur la table, m'a versé du vin, nos quatre yeux rivés à l'écran.

"Tu sais, ai-je dit, cette année a été remplie d'oiseaux. Je ne sais pas ce qui se passe. Tout a commencé avec mon horloge."

Deborah Levy, Le coût de la vie, Editions du Sous-sol, 2020, p. 144.

En même temps que j'achetais les deux volumes de l'autobiographie de Deborah Levy, je récupérai L'enfant rouge de Franck Venaille que j'avais commandé la semaine précédente. Ce dernier livre du poète, publié en 2018, l'année même de son décès, m'offrait une belle surprise : en amont du texte, la photo d'un merle dans ce que j'imagine être la rue de son enfance, la rue Paul-Bert.

 

Venaille le dit dès la première phrase: il part à la recherche de son enfance, en plein coeur du faubourg Saint-Antoine populaire et ouvrier de l'immédiat après-guerre. Lui, c'est l'enfant rouge, le Moi-de-onze-ans qui "possède un ami sûr : un merle noir au bec jaune qui chante et siffle l'Internationale." Il l'a nommé Avril, un mois de printemps. "Le garçon et l'oiseau aiment se rendre régulièrement au square de l'église Sainte-Marguerite, où la jeunesse pauvre, mais vraiment pauvre, joue avec ce qui lui reste des rêves du quartier." Avec cet imaginaire compagnon, il y refait le monde. C'est là aussi qu'accessoirement, il apprend "à rayer au couteau et à la fourchette les portes et le toit des voitures luxueusement garées au centre de notre territoire." Ce monologue poétique sautille comme le merle d'une notation à l'autre, d'un souvenir à une pensée du moment, avec des rafales de phrases courtes, ne sacrifiant jamais à l'ordonnancement bien huilé de mémoires ordinaires. "Ces multiples perceptions et réflexions, écrit Marc Blanchet dans Poezibaodéploient les harmoniques d’une vie à laquelle manque une fréquence plus heureuse, plus subtile – une voix autre qui se ferait entendre, et permettrait de passer d’une réalité commune à une réalité supérieure. C’est le merle noir Avril. Il est par son détachement terrestre la condition parfaite pour dédoubler la conscience et entamer un dialogue avec soi. Il permet à moi-de-onze-ans de poser une interrogation et sa perspective en lame de fond de ce livre comme d’un vaste travail d’écriture poétique d’ensemble : « Quelle est la fonction du langage ? — Dire la totalité d’une expérience, répond Avril. »

Rien ici encore de la complainte sur un bon vieux temps, mais la douleur est toujours présente, la douleur "à mille visages" :

"A la station Faidherbe-Chaligny je pense aux temps anciens. Mais la douleur à mille visages, qu'en dire ? La douleur, ah laissez-moi le temps de m'y faire ! Et dans notre nid quelle fut ma place préférée ? Mes yeux regardaient-ils cette inconnue, cette parisienne rue Paul-Bert ? Je peine à trouver le sens profond du mot bonheur. Ce qui me rend libre de me vautrer où bon me semble. Alors je mène le combat et je dis : ne laissez pas les merles noirs être, par le chagrin, traversés. Protégez-les." (p. 60)
On voit bien que ce motif de l'oiseau noir, de ce merle baroque et moqueur, n'est pas un simple thème passager, une éphémère apparition symbolique, mais bien une figure centrale dans la poétique de Franck Venaille. Une autre surprise fut alors de retrouver une constellation sous beaucoup d'aspects semblable à la fin du second tome de l'autobiographie de Deborah Levy, Le coût de la vie, quand son meilleur ami vient lui rendre visite un soir, et que sur le balcon de l'immeuble qui tombe en ruine au sommet de la colline viennent se poser sur la rambarde trois oiseaux qu'ils identifièrent plus tard comme des cacatoès. Nadia, la femme de ce meilleur ami, arrive à quatre heures du matin et découvre son mari endormi par terre dans le salon.

"Je l'ai invitée à regarder les oiseaux.

Le cacatoès le plus bruyant  faisait tournoyer un bout de pomme tavelée qu'il avait trouvé sur la table. Nadia voulait savoir d'où ils venaient.

J'ai répondu que je ne savais pas. Cette volée de trois était arrivée juste après minuit.

Nadia a levé les yeux vers le ciel et frémi comme si ce dernier cachait dans son infinité grise un certain nombre de volatiles exotiques prêts à se poser." (p. 149)

L'oiseau continue d'être au centre des méditations de l'auteure (mais sans doute méditations n'est pas le mot approprié et il vaudrait mieux parler de préoccupations ou même d'obsessions) dans le chapitre suivant qui commence par cette phrase où elle affirme parler à sa mère pour la première fois depuis sa mort : "Comment vas-tu, maman, où que tu sois ? J'espère qu'il y a des chouettes pas loin. Tu as toujours adoré les chouettes. Tu sais que quelques jours après ta mort je regardais les articles d'un grand magasin sur Oxford Street et j'ai vu une paire de boucles d'oreilles en forme de chouette avec des yeux en verre de couleur verte. J'ai été saisie d'une joie inexplicable. Je vais acheter ces boucles pour maman."Un peu plus loin, elle écrit encore : "Des oiseaux m'ont rendu visite toute l'année, d'une façon ou d'une autre. Certains sont réels, d'autres moins. / Mais tes chouettes sont vraies. J'ai arrêté de me demander pourquoi je suis obsédé par les oiseaux, cela a peut-être un rapport avec la mort et le renouveau."

Cette récurrence de l'oiseau n'a pas manqué d'être repéré par les lecteurs les plus attentifs, ainsi Tiphaine Samoyault dans En attendant Nadeau : "Une chaîne de thèmes et de motifs relie les deux livres et forme la trame trouée d’un récit fragmentaire où la narration le dispute à la réflexion, la description au manifeste. D’un titre à l’autre, on retrouve la couleur jaune – hommage à Charlotte Perkins Gilman –, les perroquets et toutes sortes d’oiseaux, les filles et les mères, le chocolat…"

 


En 2016, Pascal Quignard monte sur scène pour ce qu'il appelle une "performance de ténèbres".  A ses côtés, l'actrice Marie Vialle pour qui il a déjà écrit trois spectacles, mais aussi des oiseaux, un bébé chouette ou une corneille. C'est La rive dans le noir, une symphonie chamanique, selon Anne Diatkine :

"Rien d’automatique ni d’obligatoire dans les mouvements de la petite chouette qui semble être une émanation de la paroi du décor et de la grotte Chauvet ou de la déesse Athéna. Et rien de plus beau que la concentration de Marie Vialle, de Pascal Quignard, et du public face à l’imprévisible et à la liberté de son vol. Pascal Quignard a conçu cette performance après la mort de sa mère et celle de Carlotta Ikeda, danseuse butô avec qui il avait créé Médéa en 2012. Les derniers mots du spectacle sont une supplique adressée à sa mère : qu’elle dise, en delà de la mort, rien qu’une fois, sans hurler, sans mordre, dans le pavillon de son oreille, son prénom. L’écrivain, qui était déjà apparu sur scène à la table avec Carlotta Ikeda, n’avait jamais été sur un plateau, sans la protection d’un texte, avec pour seul viatique «l’angoisse motivée» de la scène. Pour lui, comme sans doute le bébé chouette, c’est une première."



jeudi 19 novembre 2020

La barque de l'aube

"La barque acquise à Saint-Nazaire, toilettée, le bagage pensé, l'itinéraire établi, il restait l'inutile. Dadais de nous : une bibliographie prescrite (Au cœur des ténèbres, Les Eaux étroites, L'Arbre sur la rivière, Sept jours sur le fleuve, etc.), doublée d'une indigeste filmographie. Trois hommes en bateau. Nous n'en lûmes aucun, ne revîmes aucun des films."

Michel Jullien, Intervalles de Loire, Verdier, p. 21.

J'ai fini l'autre jour sur la barque de l'aube de Françoise Ascal, et je me propose donc de poursuivre sur ce motif, d'embarquer en quelque sorte dans le sillage de ce bateau minimal, si humble que ses usagers, le plus souvent épisodiques, ne sauraient prétendre au titre de marin, marinier ou même batelier. Non, le quidam qui mène sa barque est l'antithèse parfaite du skipper du Vendée Globe. C'est peu dire qu'il ne recherche pas l'exploit. Et c'est bien ainsi que l'entend Michel Jullien, avec son récit Intervalles de Loire qui conte, dans une langue finement ouvragée, sa descente de Loire avec deux amis. Défi parti d’une boutade, lors d'une soirée arrosée dans la Nièvre où l'écrivain possède une modeste maison de campagne : "(...) alors que nous avions profité le matin du spectacle de la Loire à Nevers, l’un de nous lança l’idée un peu potache de descendre le fleuve à la rame, une façon de fêter nos 50 ans – nous en avions tous trois 49. Pari tenu un an plus tard, depuis la commune d’Andrézieux à hauteur de Saint-Étienne jusqu’à l’océan, soit 850 kilomètres en vingt-six jours sans jamais s’arrêter dans des hôtels ou les campings, vingt-six nuits sous les étoiles."

Michel Jullien avoue avoir tenu un carnet de bord, mais il n'a rien gardé ou presque de cette centaine de pages : "Intervalles de Loire se veut un récit anti-sportif dans lequel l’action est systématiquement remplacée par des impressions. Le livre a bien un début, un départ, les premiers coups de rame sont dans les premières pages et il a une fin – la rencontre de l’océan –, mais entre les deux tout est dans le désordre, les étapes ne sont pas linéaires, les villes n’apparaissent pas dans l’ordre qu’elles ont en effet sur la carte de géographie, les paysages non plus, les jours ne sont pas marqués ni les temps de la journée. Il ne faut pas s’attendre à des « petits drames », à du sensationnel ou à un quelconque suspens. Des trois que nous sommes à bord il n’y a aucun visage, aucune matérialité des êtres, nos noms ne sont pas donnés, comme si nous ne formions qu’un seul individu."  


J'ai lu ce livre en même temps que l'autre Verdier, le Thésée de Camille de Toledo. Pas grand chose à voir entre les deux livres, assurément, mais malgré son ton plus badin, infiniment moins douloureux, il s'échappe parfois de ce périple mineur quelques notations de belle profondeur, qui ne sont pas sans lien avec certaine récente méditation sur les rivières. Cela se trouve page 45, dans la section intitulée Jusqu'à Mitchum, où l'auteur parle de cet appel à l'enfance jeté par la rivière : "Les longues routes sont l'affaire des adultes - ils disposent d'élucubrations, d'engins réservés à leur âge, les voitures, les rails, jusqu'aux avions. La rivière, elle, pourrait être ce grand itinéraire donné à l'initiative d'un enfant, proposé à ses seuls moyens. (...) Henri Bosco et d'autres auront usé de cette vieille métaphore des rivières, le voyage initiatique, l'eau défendue, la transgression devant quoi l'enfant va mesurer les risques d'une autre vie ou le prochain miroir de la sienne, dérouler son destin dans les remous ou le domestiquer avant la lettre." Et d'évoquer La Nuit du chasseur de Charles Laughton, ce chef d’œuvre unique, où les enfants John et Pearl sont traqués par le révérend Harry Powell : " Muette comme une carpe, la rivière est pour eux le sillon inviolable, comme sacré, un blanc-seing, un fil où les gamins tiennent à distance la poursuite par le seul abandon de l'eau, sans même se diriger, se soustraient aux hurlées meurtrières de Robert Mitchum, inatteignables dans leur canot de bois."


Dans L'obstination du perce-neige, Françoise Ascal cite ici et là Pascal Quignard. Ainsi le 24 mai 2017, elle écrit : "Pensé à Pascal Quignard et à son révérend qui notait les sons des oiseaux bien avant Messiaen, mais aussi le son des objets du quotidien, celui de la goutte d'eau du robinet qui fuit et tombe dans le seau." Il doit s'agir de ce texte paru la même année 2017, Dans ce jardin qu'on aimait, et que j'ai lu en mars 2019, dans l'édition Folio. Le reparcourant aujourd'hui à cette occasion, je tombe sur cette page où il est dit : "Le révérend tient entre ses mains une petite merlette blessée qui palpite et se plaint." Et qui fait remonter cette riche thématique du merle, et plus largement de l'oiseau noir, qui a surgi en août dernier.

Mais c'est un autre opus de Quignard que j'ai fini ces jours-ci, un roman, Les Larmes, que j'avais acheté à sa parution en 2016 mais que je n'avais pas terminé, pour une raison qui m'échappe aujourd'hui. Je l'ai repris parce qu'il me souvenait qu'il évoquait longuement Nithard, petit-fils de Charlemagne, historien qui a transmis à la postérité les Serments de Strasbourg (842), considéré comme le plus ancien écrit en langue française, événement ouvrant justement une passionnante histoire de la phrase française, ouvrage collectif sous la direction de Gilles Siouffi, publié en octobre chez Actes Sud en collaboration avec l'Imprimerie nationale.


Sans cette étude de la phrase française, je n'eusse pas repris Les Larmes, et sans Les Larmes, je ne serais pas tombé sur ce passage où le calife Harun al-Rachid arrive nuitamment sur la rive du Tigre :

"Le batelier, qui était très âgé, lissa sa barbe blanche. Il ne réfléchit pas longtemps parce que le calife Harun al-Rachid le gifla avec violence.

Alors Hagus se remit debout, en vacillant, sur le plancher de sa barque. Il alluma sa lanterne et la fixa avec peine au crochet qui était fixé sur le mât, il s'assit sur le banc au fond de sa barque et saisit le gouvernail et c'est ainsi que dans la nuit ils longèrent les rives jusqu'à l'aube.

Au retour, Mazrur le bourreau de Bagdad, décapita le vieux nautonnier qui s'appelait Hagus." (p. 69)

Il y avait la barque, il y avait l'aube. C'était ascalien en diable. Et quignardien extrêmement, car l'aube est un motif central chez l'écrivain, ce dont témoigne à l'envi les dernières pages. Ainsi, page 206, peut-on lire :

"Mais un jour l'aube fut faite de silence.

Tous les animaux s'avancèrent sur la berge et entourèrent une tête  rompue qui tournoyait dans les remous de l'eau.

Alors un petit merle tout noir, qui avait un bec plus blanc que jaune, les pieds comme pris dans un lacet de femmes amoureuses, siffla un chant indiciblement beau devant l'écureuil, le chat, la vipère d'eau, le cygne qui, tous, restèrent immobiles."

Est-ce hasard si nous recroisons le merle noir ? 

Et c'est sur un autre oiseau qui se conclut le roman, la chouette,  qui accompagne Quignard dans un des spectacles de ténèbres qu'il a écrit. Voici le dernier paragraphe, qui s'achève précisément sur le mot aube :

"Elle mangea sa limace sur mes doigts puis nous parlâmes. Nous nous entretînmes une bonne partie de la nuit. Quand je rentrai dans la maison c'était presque l'aube."

Il me reste encore une barque à amarrer à cette chronique : celle de Jean Epstein, dont j'ai reçu le volume 1 des Écrits complets. Le premier texte, de jeunesse (il n'avait guère plus de vingt ans), Le Mage d'Ecbatane, fait entendre la prière de l'Eau : "O Lune, je suis l'Eau et je teins ma robe aux couleurs de tes songes."

Ce qui est étonnant, c'est de voir comment ces lignes, qui peuvent presque prêter à sourire par leur lyrisme un peu exacerbé :

"Mais ô Lune, je suis la plus belle quand tu ne me vois plus. [...] Je m'enivre longuement aux voluptés que je rêve, sournois et exquisement cruelle. Je choisis le marin jeune et fort qui sera ma proie et mon amour d'une nuit, et je le convoite avec une atroce gourmandise. Sais-tu, ô Lune, ce que c'est que d'avoir à la bouche le goût délicieux du crime ?"

annoncent en fait les films bretons de Jean Epstein, et en particulier Mor'Vran, où un jeune marin parti en barque à la pêche à la sardine ne survivra pas à la tempête :

"Au moment où il s'y attend le moins, lorsque, à l'avant de sa barque, il tend son regard bleu vers de lointains récifs, je l'enlace éperdument et je le fais mien. Je le possède, ô Lune, dans mes vertes ténèbres, je glisse mille doigts caressants dans ses cheveux dorés, tièdes et souples ; je meurtris ses yeux de baisers ; et je m'insinue entre la chaleur de ses lèvres, vivantes encore, et qui voudraient me repousser. Et tu sais, ô Lune, après quels sacrifices voluptueux et quelles mystérieuses et entières jouissances, je rejette, au matin, le cadavre couronné d'algues, où j'ai peint l'ineffaçable cerne de mes noces." [ C'est moi qui souligne]

 



vendredi 20 mars 2020

Le Paradis est dispersé sur toute la terre

"Qu'est-ce que ce monde veut dire ? Et s'il n'a pas de réponse à nous donner, pourquoi feint-il sans trêve un discours ? Maintenant, comme jadis, cette fuite et cette présence simultanées à mes pieds de l'eau perpétuelle murmurent indéfinissablement quelque chose et je sursaute quand le merle me scande (c'est bientôt la nuit) une question indubitable."

Gustave Roud,  Air de la solitude, cité par Jacques Lacarrière, Errances, p. 41


La poésie, que je ne fréquentais plus guère ces dernières années, revient en force avec la pandémie. Dans les moments difficiles de l'existence, c'est toujours vers elle que je suis allé. Quand le roman, l'essai ne vous ouvrent plus aucune porte, vous semblent muets, atones, le poème soudain est l'alcool fort qui vous fouaille l'esprit, trace un chemin dans la désespérance. Ce dernier mot ne s'applique pourtant pas à la période présente, dont la gravité n'a pas entamé (pas encore, peut-être) une volonté d'y voir un peu clair. Alors j'étudie, j'essaie de comprendre, seul ou avec d'autres. Mais c'est comme si la marche avait pris un aspect plus périlleux, qu'aux sentiers ombreux avaient succédé de dangereux glaciers. Chaque pas devient plus risqué, et les crevasses qu'on redoute vous confrontent tout à coup à l'essentiel. C'est sur cette pente escarpée du réel que la poésie surgit.

Ces métaphores montagneuses qui me viennent spontanément à l'esprit (alors que ma crainte du vertige m'a toujours éloigné d'une vocation d'alpiniste), s'accordent à point nommé avec l'autre poète (le premier étant André Frénaud) retrouvé ces jours-ci : le suisse Gustave Roud. Qui vécut presque toute sa vie dans la ferme familiale de Carrouge, dans le Haut Jorat, qu'il ne quittait guère, raconte Philippe Jaccottet, que pour aller s'approvisionner de lectures à la Bibliothèque cantonale de Lausanne, "comme le paysan son voisin, les jours de marché, dans les grands magasins". Confiné alors, Gustave Roud ? Non, poursuit Jaccottet, cet homme "a été, profondément, un errant", qui se taira quand l'âge et la maladie lui interdiront toute marche.



C'est en lisant cette belle préface de Jaccottet à Air de la solitude (Poésie/Gallimard), que je suis retombé sur ce thème du paradis, évoqué dernièrement avec André Frénaud :
"Au solitaire, à l'errant malheureux, vagabond jour après jour des mêmes chemins, des signes apparaissent parfois, que les hommes mieux incarnés, que, notamment, ces paysans dont Roud a contemplé si avidement "les travaux et les jours", ne voient généralement pas. Des signes qui sont d'ailleurs la source de presque toute poésie et comme la preuve, la trace, ou, qui sait ? la promesse d'une harmonie cachée dont toute oeuvre d'art, quelle qu'elle soit, nous propose un fragment. Roud a cité souvent, et on ne peut éviter de le faire après lui, ce fragment de Novalis qu'il a traduit ainsi : "Le Paradis est dispersé sur toute la terre, c'est pourquoi on ne le reconnaît plus. Il faut réunir ses traits épars." Ce fragment est une des clefs de son oeuvre ; un passage d'une "Lettre" à son éditeur (...) le complète : "La poésie (la vraie) m'a toujours paru être... une quête de signes menée au coeur d'un monde qui ne demande qu'à répondre, interrogé, il est vrai selon telle ou telle inflexion de voix."
"Essai pour un paradis" : tel est d'ailleurs le titre d'un des livres de Roud ; tel est, très au-delà d'une simple évocation nostalgique d'un paysage aimé, l'enjeu, l'utopie de son oeuvre. "
Un monde qui ne demande qu'à répondre...  Et si cette perspective n'était pas qu'une simple rêverie de poète isolé en ses collines ? Était autre chose qu'une gentille divagation lyrique ? Je vous invite à prendre très au sérieux cette hypothèse car enfin cette intuition forte du poète Gustave Roud rencontre une des plus originales et des plus puissantes théories sociologiques de ces dernières années, celle de la résonance, telle qu'elle est développée par l'allemand Hartmut Rosa, lequel avait déjà marqué les esprits avec son maître-livre Accélération, une critique sociale du temps (2010).

Dans Résonance, une sociologie de la relation au monde (La Découverte, 2018), Rosa écrit, dès l'avant-propos : "Aux personnes malheureuses ou dépressives, le monde semble morne, hostile et terne et leur propre moi leur apparaît froid, mort, figé et sourd. Les axes de résonance entre le moi et le monde restent muets. Ne faut-il pas en conclure a contrario  qu'une vie réussie se caractérise par des axes de résonance ouverts, vibrants, palpitants, qui parent le monde de sons et de couleurs et donnent mouvement, sensibilité et richesse à notre propre moi ?" (p. 16) Et, un peu plus loin, il cite Merleau-Ponty qui écrit dans son essai "Le métaphysique dans l'homme" :
"A partir du moment où j'ai reconnu que mon expérience justement en tant qu'elle est mienne, m'ouvre à ce qui n'est pas moi, que je suis sensible au monde et à autrui, tous les êtres que la pensée objective posait à leur distance se rapprochent singulièrement de moi. Ou, inversement, je reconnais mon affinité avec eux, je ne suis rien qu'un pouvoir de leur faire écho, de les comprendre, de leur répondre."

De fait, il y a longtemps que je voulais évoquer les travaux de Hartmut Rosa, qui me semblent si en phase avec tout ce dont j'essaie de rendre compte ici au fil des jours, mais je ne trouvais pas l'ouverture. Et je ne pensais même pas en commençant à rédiger ce billet que tout naturellement je viendrai à en parler. Il a fallu Gustave Roud, francophone mais grand traducteur de l'allemand.

Et je m'émerveille que même leurs deux noms résonnent si fort. Rosa/Roud, quatre lettres, mêmes lettres initiales. Hartmut/Gustave, sept lettres, trois lettres communes u, a et t central. Ce n'est pas là écho, - qui est réplication du même -, mais résonance, qui est échange, dialogue. On en verra bientôt d'autres exemples.

jeudi 9 novembre 2017

# 268/313 - De Ré à l'araignée

" - Où vas-tu ? Rechercher la vue dans les brumes d'Islande ?
- Mon frère Raphaël habite à présent l'île de Ré, je ne l'ai pas vu depuis longtemps. Dépose-moi à Rochefort, de là, je prendrai un car jusqu'à La Rochelle. Je rentrerai demain."

Fred Vargas, Quand sort la recluse, p. 276.

A Sophie et Jean-Claude,

L'Attracteur étrange est un merveilleux organisateur de voyage. Sans que j'ai rien demandé, on me proposa d'un côté de passer trois jours à Surgères, en Charente-Maritime, et d'un autre côté de venir en visite sur l'île de Ré. Comment refuser ce qui apparaissait comme un véritable pèlerinage vargasien ?
Ré reste attaché pour moi au souvenir de nos premières vacances en dehors du cercle familial des grands-parents, les cours de ferme, les chemins dans le bocage, les fosses et les pêcheries qui constituaient l'unique horizon de nos pérégrinations extra-scolaires. Un copain de régiment de notre père, compagnon d'Algérie, Michel Merle, habitant du village charentais au nom charmant de Condéon, nous faisait profiter de la villa d'un ami, dans la commune de Loye, me semble-t-il. C'est sans doute à cette occasion que je vis l'océan pour la première fois, lequel me fit une impression terrifiante, à tel point que je retenais mon frère pour ne pas qu'il s'avance trop près de cet infini liquide qui me semblait prêt à nous engloutir.
Sur la plage de Sainte-Marie de Ré que j'ai arpenté avec mes amis et Moon, leur gros chien affable qui ne rêvait que de rejoindre l'ogre bleu, ces peurs enfantines étaient bien loin, d'autant plus que le temps était d'une douceur inespérée pour une fin d'octobre, aux parages d'Halloween. Le charme de l'île opérait puissamment, j'aurais bien pris pension chez Raphaël Adamsberg.



Vingt-quatre heures plus tard, j'étais de retour sur le continent, et posait le pied à Surgères, entre Aunis et Saintonge, retrouvant enfants, famille, et petit chien noir et blanc surnommé évidemment Idéfix. De là, le lendemain, nous gagnâmes Rochefort, mon idée fixe à moi étant bien sûr Pierre Loti.
Après visite de la magnifique frégate Hermione, et pique-nique dans un des parcs de la ville, peut-être celui-là même où Alain-Fournier retrouva brièvement Yvonne de Quièvrecourt, hélas pour lui mariée et mère de deux enfants, nous cherchâmes la maison de l'écrivain (Loti pas Alain-Fournier, qui retourna vite à Paris). Déception, celle-ci n'est plus visitable, elle est en cours de restauration (et les travaux n'ont semble-t-il pas encore vraiment commencé). Il faut se rendre au Musée Hèbre de Saint-Clément, à deux pas, où l'on propose une visite virtuelle en 3 D. C'est à seize heures, trop tard, nous ne la ferons pas. Mais qu'importe au fond, le musée abrite des souvenirs de Loti, et des collections d'art océanien, africain, asiatique, suffisamment riches pour ensemencer les rêves des mois à venir.

Maison de Pierre Loti

J'achète un livre de Bruno Vercier : Pierre Loti, d'enfance § d'ailleurs, paru chez ce petit éditeur de Saint-Pourçain sur Sioule que j'ai plaisir à retrouver tous les ans à Blois, Bleu autour. C'est dans cet essai sur le rôle fondamental de l'enfance dans la genèse et les formes de l'oeuvre de Loti que je découvre au retour à Surgères, dans la chambre d'hôte, une nouvelle confirmation de l'intrication entre l'écrivain et Vargas autour du motif de l'araignée.

Bruno Vercier écrit qu'il n'y a pas eu vraiment de rupture entre les rites de l'enfance et ceux de l'âge adulte. "Ainsi le 14 juillet 1889 répète celui de 1885 à Nagasaki qui déjà répétait ceux de l'enfance":
"Hélas ! je songe beaucoup, toute la journée, à ce 14 juillet de l’an dernier, passé dans un si grand calme, au fond de ma vieille maison familiale, la porte fermée aux importuns, tandis que la foule en gaité hurlait dehors ; j’étais resté jusqu’au soir assis à l’ombre d’une treille et d’un chèvrefeuille, sur un banc où jadis, pendant les étés de mon enfance, je m’installais avec mes cahiers, en prenant un air de faire mes devoirs. — Oh ! ce temps où je faisais mes devoirs… avais-je assez la tête ailleurs, — aux voyages, aux pays lointains, aux forêts tropicales devinées en rêve… À cette époque, aux environs de ce banc de jardin, dans certains creux des pierres du mur, de vilaines bêtes d’araignées noires habitaient, toujours au guet, le nez à leur fenêtre, prêtes à sauter sur les moucherons étourdis ou le mille-pattes en promenade. Et un de mes amusements était de prendre un brin d’herbe, ou la queue d’une cerise, pour chatouiller tout doucement, tout doucement, ces araignées dans leur trou ; elles sortaient alors brusquement, très mystifiées, croyant avoir affaire à quelque proie, — tandis que je retirais ma main avec horreur… Eh bien, le 14 juillet de l’année dernière, m’étant rappelé ce temps à jamais envolé des thèmes et des versions, et ce jeu d’autrefois, j’avais parfaitement retrouvé les mêmes araignées (ou du moins les filles des anciennes) postées dans les mêmes trous. Et, en les regardant, en regardant des brins d’herbe, des lichens, il m’était revenu mille souvenirs des premiers étés de ma vie, souvenirs qui avaient dormi pendant des années contre ce vieux mur, à l’abri des branches de lierre…"(Madame Chrysanthème, Calmann Lévy
Avec ces araignées postées dans leurs trous, comment ne pas penser aux recluses de Vargas ?

Une des choses les plus étonnantes de l'espace Loti du musée Hèbre : les reliques confectionnées par l'écrivain,
 paquets recouverts de papier, où se mêlent ossements, momies et fleurs séchées. Sur chaque paquet, Loti note le contenu. Par exemple :
  • « Premières aubépines de mai 1887. Cueillies dans l’obscurité en attendant la naissance et la mort du petit Samuel » [sa femme Blanche, accouche prématurément d’un garçon qui ne vivra que quelques jours, ndlr] ;
  • « Petite boîte contenant une fougère de Nagasaki de 1901 » ;
  • « Momie de mon chat Avizé » ;
  • « Momies d’oiseaux » ;
  • « Bâton qui servait tous les soirs à relever le drapeau de notre porte à Eyoub, en 1876 » [lors de son premier séjour en Turquie, ndlr].


jeudi 10 décembre 2020

Résonances à la porte de bronze

Le 28 novembre dernier, j'ai eu 60 ans. Comme me l'écrivait un grand ami - par ailleurs président de l'honorable confrérie des Tasons - "nous voilà rendus à l'âge de notre millésime, ça a de la gueule." A cette formule sur carte postale bleue, sa douce et lui-même avaient joint un cadeau magnifique : Cathédrale Cardon, de ce dessinateur que j'avais connu par Le Canard enchaîné, et dont la poésie dépassait de loin la stricte charge politique.


Les grands dessins pleine page, qu'il n'est pas usurpé de qualifier de vertigineux, sont précédés d'un texte de l'artiste, signé de son nom complet, Jacques-Armand Cardon, évoquant son enfance pendant la seconde guerre mondiale : père prisonnier en Allemagne qui succombe à un bombardement, exode en Bretagne, toute la famille dans une seule chambre, résistants pendus aux poteaux et aux balcons, instituteur aux yeux crevés, et puis in fine, au retour à Paris, cet éblouissement : Notre-Dame, un choc visuel qui ne le quittera plus : "La guerre nous avait tellement éparpillés, explique-t-il sur France Culture, qu'il fallait regrouper quelque chose dans un récipient. Et la Cathédrale de Notre-Dame de Paris s'est imposée à moi directement. C'est dans ce monument-là où j'ai pensé que la cuisine, ce que j’avais l'intention de dire, ce que la vie me forçait encore à dire pour m'en débarrasser, allait trouver son espace dans ce que représentait cet énorme bâtiment."    

Il dit encore, dans cette même émission, ce qui constitua la première résonance à ce nombre symbolique de 60 que j'avais donc atteint ces jours-ci : "Ce livre s'écrit depuis 60 ans, on est comme un scaphandrier qui descend soi-même pour faire remonter à la surface des épaves ou des visions profondes. Il y a du ressenti physique, des malaises, de l'intranquillité permanente, sans le père qui est là pour vous rassurer, il faut avoir une résilience, essayer de compenser l’absence par un surcroît d'imaginaire. Il a fallu que je me débarrasse noir sur blanc, c'était lourd à porter."   

Quand j'eus enlevé le papier cadeau bleu de chez Mollat, je posai le volume sur la table basse du salon, sur un autre livre, cadeau personnel celui-ci, le Chardin d'Alexis Merle du Bourg, de chez Citadelles et Mazenod, que je venais de recevoir peu de temps avant.

Je m'avisai alors seulement de la cohérence de l'association : il en va un peu comme de ce jeu où il faut passer d'un mot à un autre en changeant une seule lettre à chaque fois : Cardon - Chardon - Chardin. On notera aussi que le RD central chez Cardon et Chardin se retrouve en miroir dans cathéDRale, ce qui, outre la syllabe initiale commune, montre que le titre de ce livre n'est nullement anodin.

A ce premier présent amical cardonien, s'ajoutèrent les livres offerts par ma compagne : le premier était Politique de la mélancolie, un recueil d'essais autour de W.G. Sebald, édité par Muriel Pic, elle-même contributrice. C'était fort bien vu, d'autant plus remarquable qu'elle ignorait que j'avais commandé peu avant le dernier texte de Muriel Pic, Affranchissements, publié au Seuil dans la collection Fiction § Cie. Lequel arriva trois jours plus tard, et je le lus pour ainsi dire sur-le-champ, comme s'il devait me donner une réponse aux questions que je me posais sourdement. C'est bien sûr toujours une illusion, mais j'eus au moins le plaisir d'y observer toute une chaîne de résonances (je venais de reprendre la lecture du grand livre d'Hartmut Rosa - Résonance, une sociologie de la relation au monde - et j'étais donc plus que jamais attentif à tout ce qui pouvait s'inscrire dans cette perspective). Ou, dit autrement, un bouquet de ces lucioles, petites bulles synchroniques, minuscules coïncidences crevant à la surface des jours.


Ce fut tout d'abord, dès l'incipit du récit, cette mention de William Carlos Williams, le grand poète américain lié à sa ville de Paterson, que j'ai souventes fois évoqué en ces pages. Un peu plus loin, c'est le tour du grand-oncle de la narratrice, Jim, né en 1923, mort en 2001. Comment ne pas penser à Jim Jarmusch, le réalisateur du film Paterson ? Curieusement, il n'en sera jamais fait mention (mais il est vrai que le cinéma n'apparaît guère dans le récit de Muriel Pic).

Traçant le portrait de cet oncle Jim, célibataire et bossu à cause du mal de Pott, une sorte de tuberculose osseuse, elle en vient à parler de cette lame du Tarot parfois dénommée l'Hermite, avec un h (représentée dans le livre - qui use de la photo et du dessin à l'instar de son modèle sebaldien). Encore une fois, c'est une figure connue à laquelle j'ai consacré peu ou prou quelques articles en 2016. Dans l'un de ceux-ci - L'hôte le plus étrange que Riva ait connu - je cite ce passage d'un livre de Sebald,  Vertiges, où le Dr K. assiste au départ de la jeune Génoise, ondine, sirène, nymphe, ainsi  qu'il la désigne, génie des eaux en tout cas, qui lui évoque, au moment précis où elle franchit, "d'un pas incertain, écrit-il, l'étroite passerelle pour monter à bord du vapeur", une scène datant de quelques jours, où, autour d'une table avec une poignée de personnes, une jeune Russe, très riche et très élégante, "par ennui et par désespoir", précise-t-il encore, leur avait tiré les cartes à tous.

"Comme il en va la plupart du temps en ces circonstances, il n'en était rien ressorti de bien sérieux et l'épisode avait plutôt tourné au futile et au ridicule. Seulement, quand la dame russe en était arrivée à la jeune fille de Gênes, les cartes avaient présenté une combinaison sans équivoque, et elle lui avait annoncé que jamais elle ne contracterait ce qu'on a coutume d'appeler les liens du mariage. Le Dr K. avait alors ressenti une étrange inquiétude à l'idée que cette jeune femme vers qui le portait toute son inclination et que pour lui-même, depuis qu'il l'avait aperçue, il appelait, à cause de ses yeux vert d'eau, la sirène, que cette jeune femme et personne d'autre s'entendait prédire par les cartes une existence de célibataire, en dépit du fait que rien en elle ne laissait présager la vieille fille ; si ce n'est peut-être la coiffure, dut-il s'avouer en la voyant pour la dernière fois, en train d'esquisser de la main gauche, la droite reposant sur le garde-corps, un peu maladroitement, le signe voulant dire : tout est fini."

Je me demandais alors quelle pouvait être cette combinaison sans équivoque décrite dans le texte. Une combinaison impliquant plusieurs cartes, j'écrivais que "celle qui s'impose à l'évidence pour un célibat, c'est précisément l'Ermite que j'ai évoqué récemment".


Muriel Pic écrit de son côté que "le tarot est un art d'imaginer juste à partir d'un nombre d'images données". Elle poursuit ainsi : "Je dispose devant moi celles que j'ai collectées à propos de Jim, photographies, timbres, cartes postales, dessins, cartes à jouer, livres, et bouts de textes. Les fragments se combinent pour raconter un épisode possible de sa vie, mais je dois continuellement rejouer la partie, car une seule configuration n'est pas suffisante pour saisir son personnage vernal et ses histoires d'affranchissements. Je les compte, cela fait soixante documents, nombre que la symbolique associe à la neuvième lame du tarot, qui représente le karma général de l'univers et désigne le globe terrestre." (p. 40-41)   

Je suis mitigé sur cette dernière phrase car je me demande où Muriel Pic a pris cette information sur le lien de 60 avec la lame de l'Ermite. Rien dans le Dictionnaire des Symboles de Chevalier et Gheerbrant ou dans L'univers inconnu du Tarot, la somme de Robert Grand, ne signale ce fait. Le karma, concept oriental, hindou ou bouddhiste, n'a pas grand chose à voir avec le tarot. Quant à la désignation du globe terrestre par 60, c'est là aussi un mystère. Ceci, par ailleurs, importe peu, Muriel Pic n'écrit pas un traité de symbolique et seul compte pour moi en définitive cette irruption du soixante dans sa narration.

Continuons donc de la suivre dans son cheminement sinueux. Page 63, dans un chapitre intitulé pas par hasard 0 (ils portent tous un millésime), elle confesse qu'au printemps 2017, elle s'est trouvée dans un profond désordre intérieur : "J'approchais du milieu de ma vie, je voulais tout envoyer promener, et je menais avec moi-même de longs entretiens sur le vertige." Tiens donc, le vertige... Elle ajoute aussitôt : "A présent, je me dis qu'il fallait sans doute en passer par là pour retrouver Jim." Elle retrouve alors dans ce grenier des enveloppes envoyées par Jim jusqu'à la fin de sa vie et qu'elle n'avait pas ouvertes depuis septembre 1998 : "Avec ces pensées troubles, j'ai commencé à ouvrir les enveloppes les unes après les autres, en suivant scrupuleusement leur ordre chronologique, sans doute pour vaincre le vertige qui m'envahissait de m'aventurer dans un imprévisible passé." (p. 65) Imprévisible passé, l'oxymore est beau (le futur ne serait donc pas seul à être imprévisible ?) : il y a bien de quoi craindre le vertige.

J'en étais là de ma lecture, en cette page 65, lorsqu'un autre ami m'appela au téléphone. Le Baroudeur, qui ne baroude guère en ces temps de pandémie, et qui me pose une question sur le sens de l'expression "au tournant du troisième millénaire avant J-C." Le IIIe millénaire av. J.-C s'étendant de 3000 à 2001 av. J.-C, le tournant se place donc à l'an 3000. (Bon, on a parlé d'autres choses aussi, il ne faut pas croire...).

Or, la phrase suivante du récit de Muriel Pic, après celle de l'imprévisible passé, était celle-ci :  "Et, de fait, j'ai revécu, enveloppe après enveloppe, puis timbre après timbre, , les dernières années de la vie de Jim et, avec elles, ce à quoi je ne m'attendais pas, notre passage au troisième millénaire." Une belle synchronicité.

Le lendemain, j'atteins le chapitre 1949 bis, où Pic raconte que lors d'un séjour à la montagne, un jour de mauvais temps, elle furète dans la bibliothèque de ses hôtes et débusque une anthologie bilingue de poèmes de William Carlos Williams, traduits par Hans Magnus Enzensberger. Et elle lit pour la première fois le poème qui donne son titre au recueil, The Words, the Words, the Words. J'en donne ici le début et la fin :

Le parfum de l'iris, citron doux,
l'argent le transfigure, transfigure aussi
l'odeur de la femme, l'odeur du sarrasin. [...]

Dame derrière la haie, derrière le
mur :
membres de soie, front clair,
l'argent tombe à travers la diagonale
des feuilles sur toi
Debout, secoue tes robes
pour les renoncules, jaune frotté comme
l'or 

Elle pense que Williams a certainement écrit son poème avec des manuels de botanique sous les yeux. "Il aura pu lire, écrit-elle, le nom latin de l'iris jaune, Iris pseudacorus, et son nom vernaculaire, lingot d'or ou gold bar en anglais.* Dans le premier vers en tout cas, il est bien question de cet iris qui a la couleur du citron doux, l'iris jaune lingot d'or l'entrée du poème, tout comme la renoncule (ou bouton d'or) au dernier vers, les deux fleurs du premier printemps."

Bouton d'or (Ranunculus Repens)

 "Il est cependant évident, poursuit-elle, qu'outre un manuel de botanique, Williams écrit aussi avec un livre de beaux-arts sous les yeux ou avec le souvenir d'un tableau en tête. Il pense à l'iconographie de l'épisode mythologique de la pluie d'or, événement qui féconde Danaé, jeune fille au nom de fleur. [...] Danaé est une vierge aux longues tresses à la mode grecque qui habillent son cou d'oiseau, séparent en deux l'arrière de sa tête et dégagent sa nuque couverte de duvet. Elle a été enfermée dans une tour aux portes de bronze par son père."

Danaé et la pluie d'or, par Orazio Gentileschi (1563–1639) Cleveland Museum of Art

Portes de bronze... A ce stade, je frémis. Je frémis parce que ce sont les premiers mots du texte de Cardon : "Porte de bronze !... Porte de bronze !... opposait ma tante Antoinette, soeur aînée de ma mère, aux questions inopportunes. Outre le doigt sur les lèvres, sa sévérité affichée d'initiée imposait silence sans appel. Que pouvait donc bien celer cette porte imposante dont les lourds vantaux devaient résonner longtemps à chaque ouverture ?"

On retrouvera ce thème au terme du texte, quand s'impose la vision de la cathédrale au jeune Cardon :"Tout cela n'était que plaisir et regard gourmand. Ce que j'avais devant moi dépassait tout ce que j'avais pu imaginer pour la porte de bronze.

J'en finis là pour aujourd'hui, de cette pluie de lucioles. Mais ce n'est pas terminé, il sera encore question de Cardon et de Pic, de Pic et de Cardon, et de bien d'autres choses.

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* Une fois encore, je suis obligé de mettre en doute les assertions de Muriel Pic. En cherchant une illustration de cet Iris, je ne trouve aucune mention de ce nom vernaculaire de lingot d'or. Ce n'est pas faute d'avoir cherché : sur Tela Botanica, l'encyclopédie botanique collaborative, à la section ethnobotanique, je découvre 32 noms communs de la fleur. Aucun ne correspond à lingot d'or. (ou gold bar).

[Ajout du 11/12 : Déniché ce matin, grâce à ma compagne, un Iris Lingot d'or qui pourrait bien être la matrice du récit picquien : l'Iris "Lingot d'or" de Gamm Vert, "n°1 de la jardinerie (13, 90 euros, produit actuellement indisponible). Le texte de présentation a peut-être même directement inspiré la traduction du poème. Qu'on en juge : "Un iris en harmonie de jaune. 'Lingot d'or' a des pétales blanc veinés de jaune citron doux, sépales jaune d'œuf ultra vif à barbes jaune orangé bordées de petites stries brunes." On retrouve en effet le "citron doux" du poème, qui traduit le sweet citron de Williams. Il reste que cette appellation "Lingot d'or" désigne ici un produit de la marque Gamm Vert, ce n'est pas à proprement parler un nom vernaculaire.]