lundi 10 août 2020

Mor'Vran (La mer des corbeaux)

                                                                                                                                           Pour Gaëlle

 "Pense si tu la connais 

A cette petite chapelle

A ce dernier refuge occidental

Du bon Dieu, mort paraît-il

Peut-être bien assassiné

Allez chercher le criminel

Elle passe son purgatoire

A la pointe du Van, là-bas"

Georges Perros, Marines, in Poèmes bleus, Poésie/Gallimard, 2019, p. 49-50.


Cette petite chapelle, nous l'avons vue le 16 juillet dernier, en parcourant  les sentiers de la pointe du Van. Elle était fermée, nul "pêcheur retraité" n'en "faisait visiter les absences", comme l'écrit Perros dans la suite de son poème. La mer était d'un calme absolu, et d'un bleu presque surréel. Rien qui respirât le drame dans cette douceur de l'air, bien éloignée de la canicule où nous sommes plongés, ici en Berry, depuis quelques jours.

 


Il y a bien longtemps, j'étais déjà passé par ici, et les humeurs de mon âme n'étaient pas alors au diapason de cette sérénité. Il était vrai que c'était l'hiver ou bien un dur printemps, je ne sais plus, mais nous portions manteaux et écharpes, et mon coeur vibrait de mélancolie. Le deuxième poème du recueil Alluvions, qui est à l'origine de ce site-ci, s'intitule justement Pointe du Van :

 


La veille, nous étions allés à Douarnenez, la ville élue par Perros, qui quitta la Seine-et-Oise pour cette Bretagne qui l'avait très jeune fasciné. Installé là, avec femme et très vite enfants, et malgré des conditions qui furent longtemps précaires, il songea peu à en partir. Le contraste est grand entre lui et son  grand ami Michel Butor. J'ai acheté leur correspondance, qui court de 1955 à 1978, dans une librairie du centre fort bien pourvue en poésie. Et j'ai commencé à la lire le jour-même de notre excursion à la pointe du Van. Une année par jour, en ai-je décidé alors. Eh bien autant Butor est sans cesse en voyage, passant de l'Angleterre au Nouveau-Mexique, de la Russie au Japon, conférençant en tous points de la planète, autant Perros est casanier, ne se rendant guère à Paris que par nécessité, ne se déplaçant qu'en raison de cette amitié profonde qui les lie tous les deux.

Comme le volume est lourd, je ne l'emporte pas dans mes petits déplacements de vacances, aussi n'ai-je abordé qu'aujourd'hui, de retour à l'appartement, l'année 1971. Butor s'installe avec sa famille à Saint-Laurent-du-Var, et, exceptionnellement, les deux complices se retrouvent au mois de mai à Tunis, invités par Lorand Gaspar. Mais il ne s'agit que d'un court séjour et au mois de juin, Perros écrit à Butor :"Mon cher Michel, quand cesseras-tu de bouger ?" Et en juillet (il ne date pas ses lettres contrairement à Butor, toujours précis), il dit qu'il a, dans son dos, "de tous les côtés, une centaine de manuscrits [il était lecteur pour Gallimard] qui coulent, camemberts en transit [cette tâche est pour lui un pensum dont il se plaint régulièrement, seule la nécessité économique le contraint à continuer]. Tunis et Paris, ça m'a cassé le rythme [on voit encore par là que ce n'est pas un grand voyageur]. Et j'ai marché dans un truc qui va me bouffer le mois d'août : aller dire des poèmes dans les îles - Ouessant, Sein, Groix - pour illustrer des petits films d'Epstein, Yannick Bellon, etc. Histoire en fait de boucler un budget défaillant. Vieille habitude, ô grande catin..." (Lettre 591)

Si je mentionne cette lettre, c'est pour une autre raison, c'est qu'au sortir de cette lecture de l'année 1971, je suis allé faire un tour sur mon fil Facebook, le plus souvent décevant, mais on ne sait jamais, et la preuve en est que je me focalise sur une annonce de la Cinémathèque française qui présente un vieux film de Jean Epstein. Oui, le même Jean Epstein dont parlait Perros. Un nom qui ne m'était pas inconnu car j'avais failli en parler ici au moment où j'écrivais sur le Masque de la Mort rouge, d'Edgar Poe. Roger Corman en avait tiré un film, et en 1960, il avait aussi réalisé La Chute de la maison Usher, et le 10 avril dernier j'avais noté sans y revenir que la cinémathèque proposait une adaptation de la même nouvelle par Jean Epstein.

Or, parmi tous les films d'Epstein, celui qui est proposé au public ce jour-ci, c'est Mor'Vran (la mer aux corbeaux), un court métrage consacré aux îles bretonnes, et plus particulièrement aux pêcheurs de l'île de Sein, qui ne peut être que celui évoqué par Perros dans sa lettre à Butor.




 

Cette synchronicité m'a somme toute permis de revenir sur ce beau séjour dans le Finistère, dont mille images resteront dans ma mémoire, comme celle de la chaumière bleue (où nous logions, au bout d'un chemin), et celle des religieuses lisant au bord d'une des falaises de la pointe du Van (peut-être à la recherche de l'assassin de Dieu) :


1 commentaire:

blogruz a dit…

morvran, c'est aussi le cormoran, apparu dans une "plus-que-coïncidence" chez Robert Graves, voir ici.