jeudi 22 juin 2017

# 148/313 - Judas et la Cène

Examinons maintenant Judas dans une autre fresque de Vic. Il apparaît en effet une seconde fois, dans une représentation de la Cène, sur le mur ouest de l'abside.


Judas est le seul apôtre de l'autre côté de la table. Le code médiéval fonctionne là encore : Judas est de profil alors que tous les autres sont vus de face. Le Christ tend une bouchée à Judas, le désignant par là comme celui qui va le livrer à ses bourreaux, comme il est écrit dans l'évangile de Jean (XIII, 21-28) :
"Ayant ainsi parlé, Jésus fut troublé en son esprit; et il affirma expressément: "En vérité, en vérité, je vous le dis, un de vous me livrera."
Les disciples se regardaient les uns les autres, ne sachant de qui il parlait.
Un des disciples, celui que Jésus aimait, était couché sur le sein de Jésus.
Simon Pierre lui fit signe de demander qui était celui dont parlait Jésus.
Et ce disciple, s’étant penché sur la poitrine de Jésus, lui dit : Seigneur, qui est-ce ?
Jésus répondit : C’est celui à qui je donnerai le morceau trempé. Et, ayant trempé le morceau, il le donna à Judas, fils de Simon, l’Iscariote.
Dès que le morceau fut donné, Satan entra dans Judas. Jésus lui dit : Ce que tu fais, fais-le promptement.
Mais aucun de ceux qui étaient à table ne comprit pourquoi il lui disait cela."

Fresque de Vic - La Cène (Jochen Jahnke )
Une telle représentation de Judas, comme pour le Baiser, n'est pas à proprement parler originale : on peut en trouver une similaire dans une miniature du XIIIe tirée du Psautier à l'usage de Paris, conservé à la Bibliothèque de Rouen.



Judas, privé d'auréole comme à Vic, accepte la bouchée christique. Par ailleurs il tend sa main gauche vers le plat de poissons, ce qui fait référence à un passage de l'évangile de Marc (XIV, 18-21) :       


"Pendant qu’ils étaient à table et mangeaient, Jésus déclara : « En vérité, je vous le dis : l’un de vous, qui mange avec moi, va me livrer. » Ils devinrent tout tristes et, l’un après l’autre, ils lui demandaient : « Serait-ce moi ? »
Il leur dit : « C’est l’un des Douze, qui plonge la main avec moi dans le plat. Car
le Fils de l’homme s’en va, comme il est écrit à son sujet ; mais malheureux celui par qui le Fils de l’homme est livré ! Il vaudrait mieux pour lui qu’il ne soit pas né, cet homme-là !"
Le même geste est présent à Vic (Judas use cette fois-ci de la main droite).

Une enluminure du Psautier de Saint-Alban, présentée dans le livre de Jeanne Raynaud-Teychenné et Régis Brunet, nous propose une vision elle aussi proche de celle de Vic, et sans doute à peu près contemporaine :

Psautier de Saint-Alban, abbaye de Saint-Alban (sud de l'Angleterre, vers 1125).
"Judas, de profil, a un front très dégarni, mais ce trait ne lui est pas propre, d'autres apôtres sont comme lui. L'imagier a choisi de présenter la Cène comme elle est décrite chez Jean : l'apôtre bien-aimé se penche sur le coeur de Jésus, ce dernier donne la bouchée à Judas. Sur la table, des poissons évoquent le jeu de mots célèbre sur l'acronyme de l'expression "Iésous ChristosTheou Uios Sôter", "Jésus-Christ, Fils de Dieu le Sauveur" (ichthus signifiant "poisson")" (Judas, le disciple tragique, p. 32)
Poissons que l'on retrouve sur la miniature de Rouen et sans doute à Vic (il semble bien que les mets placés dans les plats ronds soient des poissons, mais l'absence d'écailles visibles ne facilite pas l'identification).

Bible de Floreffe, ca. 1165 - British Museum, Londres
Sur cette enluminure, découverte sur le site de Joël Jalladeau, Judas, à la verticale du Christ, reçoit la bouchée accusatrice. Une curiosité : le peintre a représenté sur la même image le Lavement des pieds, qui a eu lieu juste avant la Cène, et que le Maître de Vic place, lui, juste à gauche de L'Arrestation du Christ.


Finissons par cette miniature espagnole datée du milieu du XIIe siècle, donc contemporaine des fresques de Vic :

Anonyme (1043-1046). San Lorenzo de El Escorial, (Espagne); Colecciones del Real Monasterio, Biblioteca Real: Codex Vitrinas 17, 153 (miniature dans l’évangéliaire d’Henri III)
Judas est absent ici, mais observez les objets qui se trouvent sur la nappe blanche : les coupes, les couteaux, les parts ou les sortes d'hosties rondes présentent beaucoup de ressemblances avec ceux de la table de Vic. Ceci me renforce dans l'idée d'une origine ou d'une influence espagnole dans l'art du Maître de Vic.



Aucun commentaire: