lundi 19 juin 2017

# 145/313 - La Table ronde

"L’invention de la Table ronde est le symbole même de l’idéal de la royauté arthurienne et de la reconnaissance de la chevalerie. En privilégiant ce motif, les auteurs arthuriens rappellent ainsi l’origine ancienne et merveilleuse de la royauté d’Arthur. Selon Wace, il s’agit pour le roi de prévenir toute querelle de préséance entre des chevaliers prêts à s’emporter et à se disputer la première place. La Table ronde institue une relation d‘égalité entre eux, mais aussi entre le roi et la communauté des chevaliers puisque aucune place n’est plus importante qu’une autre autour de cette table."
Danielle Quéruel, La chevalerie arthurienne, BnF

Géniale invention du moine Robert Wace que cette Table ronde, qui reprend l'usage celte de réunir les guerriers en cercle autour du roi. Les auteurs postérieurs affineront l'idée et y verront l'image même du monde (la rime ronde-monde n'en était que plus appropriée). Ainsi Robert de Boron dans La Quête du Graal :
"Après cette table, il y eut encore la Table ronde établie selon le conseil de Merlin et pour une grande signifiance. On l’appelle Table ronde pour désigner par là la rondeur du monde, et le cours des planètes et des astres au firmament ; dans les révolutions célestes on voit les étoiles et mainte autre chose, aussi peut-on dire que la Table ronde représente bien le monde. Vous voyez bien que de toutes terres où habite la chevalerie, soit chrétiennes, soit païennes, les chevaliers viennent à la Table ronde. Quand Dieu leur donne la grâce d’en être compagnons, ils s’en tiennent plus honorés que s’ils avaient conquis le monde entier, et ils quittent pour cela pères et mères, femmes et enfants. Vous l’avez vu par vous-même : du jour où vous êtes parti de chez votre mère pour être compagnon de la Table ronde, vous n’avez plus eu désir de vous en retourner, mais vous fûtes aussitôt gagné par la douceur et fraternité qui doit être entre tous les compagnons." La Quête du Graal, édition présentée et établie par Albert Béguin et Yves Bonnefoy,
Le Seuil, 1965.
Arthur et Merlin
Jean Boccace (1313-1375), De Casibus virorum illustrium, 1360
BnF, Manuscrits, Français 232 fol. 300
L'inventeur de la Table ronde n'est autre que Merlin l'Enchanteur, ce personnage sulfureux qui n'est pas chevalier lui-même. Introduit dans la littérature par Geoffroi de Monmouth (vers 1135-1138) qui lui donne une ascendance mi-humaine, mi-démoniaque. Thème repris par le trouvère normand Robert de Boron, qui christianise fortement la légende, en indiquant par exemple que la Table ronde avait treize places, ce qui en faisait donc une réplique de la table de la Cène. Le nombre de sièges est par ailleurs éminemment variable selon les auteurs, car on monte à cent cinquante chez Thomas Malory (1470) et même à 1600 chez Layamon (fin XIIè) !


Si l'on revient sur cette enluminure de La Quête du Graal, on remarque une place inoccupée : c'est celle du Siège périlleux. Seul peut s'y asseoir le chevalier parfaitement pur, tout autre serait immédiatement englouti. Le roi Arthur, assis à gauche, n'en est pas digne lui-même : seul Galaad, qui arrive ici à la Cour, conduit par l'ermite Nascien, pourra sans dommage s'y asseoir. "A nouveau, signale William Blanc, la figure du monarque, dans les récits littéraires en langue vernaculaire, est en retrait par rapport à celle du chevalier. On remarque également que Merlin se tient à gauche de la treizième place, celle de Judas, marquant l'ambiguïté du personnage tout au long de la période médiévale." (p. 69)

Table ronde du Grand Hall à Winchester, réalisée vers 1289,  peinte vers 1516  
Dans cette œuvre commandée par Henri VIII, le roi occupe a contrario la place prédominante : il est le seul représenté, les 24 chevaliers qui sont autour de la Table ne sont que cités. "Ce nombre, relève William Blanc, renvoie encore une fois à la Cène (12 disciples du Christ, multipliés par deux). Dans ce dispositif, c'est sans doute Mordred, placé à la gauche du souverain (la gauche étant, par essence, la place négative dans la pensée médiévale) qui incarne Judas, alors que le parangon des vertus chrétiennes chevaleresques est positionné à droite. Merlin, de son côté, est totalement absent de la composition. Son personnage trop ambigu, est inutile à la geste monarchique voulue par Henri VIII."

Merlin, l'inventeur de la Table ronde, en est donc purement et simplement exclu. Sa proximité avec Judas, personnage marqué aussi par son compagnonnage avec le démon, illustre bien son ambivalence. Elle perdurera jusqu'au milieu du XXè siècle.

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