samedi 30 septembre 2023

El sol del membrillo

J'ai poursuivi ma découverte du cinéma de Victor Erice avec Le songe de la lumière (1992), emprunté à  la médiathèque. Tourné à l'automne 1990, il rend compte du travail de création du peintre Antonio López, dont le projet était de fixer sur la toile le cognassier qu'il a lui-même planté dans son jardin de Madrid. Le titre espagnol est peut-être moins poétique mais plus juste dans les termes : El sol del membrillo, c'est le soleil du coing. C'est en somme le jeu de la lumière solaire sur ce fruit jaune en forme de soleil que tente de capter le peintre à travers un dispositif minutieux, où même la position de ses pieds est balisée par des clous plantés dans le sol. 



Pour être franc, la vision du film m'a tout à la fois passionné et ennuyé. Le travail d'Antonio López est par essence répétitif, d'une infinie lenteur, il confine au morne et on se demande souvent quand est-ce que la révélation va arriver, quand est-ce que la toile va enfin restituer la splendeur des fruits. Mais on ne le verra pas. Je ne crois rien gâcher au suspense en disant que la toile ne sera jamais achevée, que le temps va passer sans qu'Antonio López ne parvienne à son objectif. Echec ? Oui en un sens, mais ça n'a pas vraiment d'importance. Ce qui était vraiment important c'était de montrer le processus, le cheminement vers l'oeuvre. Que celle-ci soit aboutie est secondaire. D'ailleurs le peintre se remet au travail en choisissant ensuite le dessin, abandonnant la couleur, recherchant la justesse du trait en restant toujours dans un tête-à-tête, un aller et retour incessant avec l'arbre. Là où d'autres se seraient contentés de travailler d'après photo. Sur ce point, López s'en explique avec Enrique Gran, un ami peintre qui passe le voir de temps à autre : il lui faut cette proximité physique avec l'objet de sa peinture, cet objet faussement immobile, car les fruits s'alourdissent, l'ombre des feuilles se répartit différemment, et le peintre trace à même le fruit des croix à la peinture blanche pour indiquer ces variations de la gravité.

On pourrait ranger ce film au rayon des documentaires, cela n'aurait absolument rien de péjoratif, mais il n'en est pas strictement un, car il y a du jeu ici et là, et une partie fictionnelle, surtout vers la fin, où le cognassier est soudain délaissé. Les coings pourrissent lentement sur le sol du jardin pendant que María Moreno, la femme d'Antonio López, elle-même artiste reconnue, peaufine un mystérieux tableau où l'on voit son mari allongé sur un lit, dans une posture qui fait songer plus à la mort qu'à une simple sieste.


Il est par ailleurs intéressant de savoir qu'à l'origine du film il y a cette annonce par Antonio López de la volonté de peindre son cognassier, faite en présence d'Erice qui est un ami, et qui l'accompagnait alors qu'il peignait quelques paysages à Madrid. Arnaud Duprat rapporte qu'"Erice se remémora alors un rêve que lui avait raconté López et où un cognassier jouait déjà un rôle prédominant. Le cinéaste fut aussitôt animé du désir de filmer ce travail face à l’arbre et de réaliser ainsi un « journal » filmique du peintre dans sa démarche créatrice, sans préparation ni élaboration."

Le jeu des résonances a continué : le jour-même où j'ai visionné le film, un encart dans Télérama présentait les fameux coings, star déclaré des jardins en automne.


Quelques jours plus tard, je lus Triste tigre, de Neige Sinno, un des livres importants de la rentrée littéraire. Récit douloureux d'un inceste, d'un viol répété pendant des années par son beau-père, réflexion aussi sur la littérature, la littérature qui, dit Neige Sinno, ne m'a pas sauvée, car "même à travers l'art, on ne peut pas sortir vainqueur de l'abjection." A la fin du livre, elle parle de cet homme qui a refait sa vie au sortir de prison, a retrouvé une femme, avec qui il a acheté une bâtisse en ruine, une histoire proche de celle vécue auparavant avec sa mère, histoire qui "se répète à l'identique, presque à l'identique, il fait un peu moins froid, ce n'est pas dans les Alpes, il y a des oliviers et il ne neige presque jamais). Ils font du pain, des conserves, des confitures. Ils ont certainement planté des cognassiers, qui est un arbre qu'il adore. Il aime l'odeur de ces fruits, inimitable, qui le ramène à son enfance." (p. 243)

En évoquant les cognassiers, j'ai repensé aussi à mon père, m'étonnant qu'il n'ait jamais planté un de ces arbres. Tous les arbres du verger de la ferme, c'est lui qui les avait plantés, greffés, taillés, entretenus. Et je me souvins que je l'avais accompagné un jour, et que j'avais noté le nom de chaque arbre sur un petit carnet. Carnet retrouvé récemment, et je suis retourné là-bas avant-hier, où les pommiers croulaient sous le poids des fruits. Et, revenant au schéma, je me suis aperçu que je m'étais trompé : j'avais bien noté alors la présence d'un cognassier. Seulement le cognassier avait disparu, et je n'en avais aucun souvenir. 








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