mercredi 20 septembre 2023

Sur les grands chemins de Dante

Pas besoin de mur entre l'Indre et la Creuse. La frontière est encore dans les têtes. C'est une très vieille histoire : Berry et Limousin répètent la vieille division gauloise entre la cité des Lémovices et celle des Bituriges (Bourges et Limoges hériteront directement de ces deux noms-là). Les Berrichons, dont la terre est moins pauvre, n'auront pas l'obligation de se faire maçons et de quitter leur terroir pour la capitale. La Marche, cette terre si proche, est aussi une terre étrangère, avec une langue incompréhensible. On ne se fait pas la guerre, mais on s'ignore royalement. 

Et cette ignorance mutuelle, je suis chaque fois surpris de la retrouver encore, tous les ans en septembre, avec les Rencontres littéraires Chaminadour, à Guéret. Je ne peux pas bien sûr certifier qu'aucun autre Indrien ne s'était glissé dans le public, je n'ai pas fait l'appel, mais je n'ai reconnu personne. Cette année, avec moi pour la première fois, Nunki Bartt. Il m'avait suivi sur le causse, il pouvait bien se livrer à une autre expérience. Pas question ici de crapahuter dans les sentiers, aussi n'était-il pas sûr de tenir plus de six heures dans les sièges du Théâtre de la Guérétoise de Spectacle. 

A l'origine, j'aurais aimé venir le vendredi 15, le programme était alléchant, et surtout une table ronde autour du péché de littérature y réunissait Bertrand Schefer, Pierre Michon et Sarah Chiche. Oui, Sarah Chiche, dont je venais donc de lire le dernier roman, Les alchimies. Hélas, ce ne fut pas possible, et je dus me contenter du samedi 16 (Pierre Michon ne fut d'ailleurs pas présent non plus, apparemment souffrant).

Garés devant l'auguste lycée Pierre Bourdan, nous arrivâmes un peu avant neuf heures. L'esplanade devant le théâtre était quasi déserte. De fait, nous avions une demi-heure d'avance : la première conférence était fixée à 9 h 30, contrairement à ce qui était indiqué sur le site internet. Le temps d'aller écluser un petit noir au bar de la Poste, un peu plus haut. J'y achetai par curiosité le Creuse-Citron, journal de la Creuse libertaire, à prix libre (ça aussi, on ne trouve pas dans l'Indre).

Retour au théâtre pour la conférence de Jérôme Ferrari, Décrire l'Enfer, décrire le Paradis.  
Prix Goncourt 2012 pour son livre Le Sermon sur la chute de Rome, prof de philo à Bastia, il nous régale avec Shopenhauer, commentateur avisé de Dante.  Le reste de la matinée n'est pas dénué d'intérêt, loin de là, mais c'est ce qui nous aura le plus séduits (mais tu pourras en juger toi-même, avisé lecteur, en visionnant cette vidéo).


Le Doc, descendu en droite ligne de La Châtre, et qui nous avait retrouvé un peu plus tard (mais le bougre était déjà venu la veille), nous déclare qu'il a une idée pour casser une petite croûte avant la reprise. En fait, il suffit de passer de l'autre côté de la rue, de descendre un grand escalier et nous voici sur un autre festival, celui des Assises debout, premier festival des Tiers-lieux creusois. Le site est celui de la Quincaillerie, un ancien Noz, semble-t-il, reconverti en espace d'échange, de co-working et d'animations culturelles. On y boit une bonne bière artisanale, et grâce à l'entregent du Doc (qui connaît plusieurs personnes sur place) on est même invités à partager les restes du repas de ces derniers jours (une petite caisse recueille le prix libre qu'on veut bien donner - la Creuse aime bien les prix libres). Tout cela est fort cordial, mais alimente mon étonnement. Personne ici ne semble soupçonner que juste à côté se déroule une rencontre littéraire avec de grands écrivains d'audience nationale voire internationale (et inversement, qui, à Chaminadour, est au courant de cette manifestation voisine ?). Tout ceci est symptomatique du cloisonnement de nos sociétés, avec ses territoires étanches et ses niches parallèles. On ne cesse de parler de réseaux sociaux et de communications, mais le plus souvent, cela fonctionne par bulles organisant l'exclusion et l'indifférence.

Bref, retour à Chaminadour (où, je dois le préciser, tout est gratuit, l'entrée, l'accès aux conférences et même le café). Et un bel après-midi, avec un duo, Alexandre Civico et Xavier Boissel, qui évoque Dante et le roman noir (et où j'apprends l'existence d'un auteur, David Peace, qui selon eux, devrait recevoir le Nobel), et surtout, un peu plus tard, une belle conférence de Yannick Haenel, Peut-on faire l'expérience du Paradis ?, où il bat un peu en brèche la version shopenhauerienne du matin. Car il est vrai que de Dante, on retient surtout l'Enfer. Il vaut donc la peine d'entendre ses mots, qui nous appellent à remonter vers la lumière.


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