Vu récemment trois grands films à l'Apollo. Trois films très longs, de plus de deux heures et demie, qui n'en sont pas moins passionnants, intenses, troublants. Je ne veux pas ici en faire l'analyse et la critique, mais simplement esquisser une méditation sur un motif qui les traverse tous les trois, de façon presque anecdotique ou marginale pour deux d'entre eux, et de manière beaucoup plus essentielle pour le troisième. Ce motif est celui du chien.
Dans Les Herbes sèches, du cinéaste turc Nuri Bilge Ceylan, qui se déroule en grande partie dans le rude hiver d'une province anatolienne reculée, Samet, enseignant d'arts plastiques en collège, ronge son frein en attendant une mutation qui tarde à venir. De passage dans une petite ville du coin, il s'offusque en voyant un chien quasi moribond au milieu de la rue, auquel visiblement personne ne porte secours. Comme il déplore ce manque de bienveillance, son interlocuteur, homme du crû, lui rétorque que les gens d'ici ont tellement de mal avec leur propre misère que le sort d'un chien errant leur importe peu. L'accusation en somme se retourne contre son auteur : l'empathie qu'il regrette de ne pas trouver, il en est lui-même assez dépourvu. Quand il sera mis sur la sellette par des élèves pour des gestes inappropriés (mise en cause, il est vrai, assez injuste), il ne cherchera pas du tout à comprendre ce qui a bien pu changer le point de vue de la jeune Sevim, avec qui il avait auparavant une relation presque privilégiée, et il se comportera en tyran à la limite de la brutalité.
"Ce qui prime chez Erice (et cela, on le retrouve dans tous ses films) c’est le regard, miroir de l’âme qui dévoile malgré lui la complexité du vivant, qui dit tout ce qu’il y a à dire. Les yeux sont le liant essentiel entre corporalité et spiritualité, thématique ô combien centrale du cinéaste qui s’évertue à articuler sa mise en scène autour de cette idée. Au fil des discussions en champ-contrechamp, les plans se resserrent, la caméra laisse s’exprimer les visages et capture cette magie de la vision, traduisant un cinéma humaniste qui n’oublie aucun point de vue (le film s’attarde même, un instant, sur le chien de Miguel, implorant son maître de lui donner un morceau du poisson qu’il déguste). Aussi viennent participer les fondus au noir, rappelant des yeux qui se closent puis s’ouvrent de nouveau ; ils sont ceux qui articulent le récit, et ouvrent la porte à toutes les fantaisies." (c'est moi qui souligne)
Enfin, troisième émergence du chien dans notre cinématographie du moment, voici Snoop dans la formidable Palme d'or de Cannes, Anatomie d'une chute, de Justine Triet. Le border collie Messi, qui est Snoop dans le film, est crédité le premier au générique, et cette place n'est pas usurpée : chien-guide pour Daniel, le jeune enfant malvoyant du couple, il est stupéfiant de présence. La veille de la remise de la Palme d'or, il a d'ailleurs reçu la Palm Dog, le jury s'étant dit "subjugué" par son incroyable performance canine (il simule même un empoisonnement où il semble au bord du trépas).
Il est encore une fois question de regard : à 20 minutes, Justine Triet déclarait : « Le regard du chien est quelque chose qui est très intéressant parce que c'est un regard qui ne triche pas. C'est aussi une façon de se mettre des bâtons dans les roues quand on tourne, parce que tourner avec un animal, c'est compliqué. Dans Victoria, il y avait déjà un petit chien qui vient remettre une preuve… Mais le chien de Victoria était infernal, il ne savait rien faire. Celui là était beaucoup plus doué. La vie est plutôt bien faite. Ils ont donné la Palm Dog au bon chien. »
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