mardi 2 mai 2023

Le Trésor de la Sierra Madre

Vu ce soir sur Arte un des chefs d'oeuvre de John Huston, Le Trésor de la Sierra Madre, film tourné en 1947 presque entièrement au Mexique, une délocalisation que le cinéaste présentait comme une source d'économies mais qui ne tint pas ses promesses sur ce plan financier, puisque de contretemps en contretemps il allait finir par coûter près de trois millions de dollars, somme considérable pour l'époque. Je l'ai évoqué par ailleurs en janvier dernier dans Walter § Asja, un article où je croise le destin de B. Traven, le mystérieux auteur du roman éponyme, avec celui de Walter Benjamin. Je ne veux pas revenir là-dessus, seulement rebondir sur un détail du film, qui entre en résonance avec le thème que je défriche ces derniers jours.

Replaçons juste le contexte de façon élémentaire : deux Américains, Dobbs (Humphrey Bogart) et Curtin (Tim Holt), qui crèvent la dalle dans le port mexicain de Tampico, s'associent à Howard, un vieux chercheur d'or (joué par le propre père de John Huston, Walter - qui obtint un Oscar pour ce rôle), lequel prétend savoir où trouver un filon aurifère dans la Sierra Madre. Un billet de loterie providentiel, que Dodds avait fini par acheter à contrecoeur à un gamin tenace, leur permet d'acheter le matériel nécessaire pour l'expédition. Je passe sur celle-ci. Le filon s'épuisant, les trois décident de redescendre vers Durango, chacun portant sa part du butin accumulé pendant dix mois de travail exténuant. Alors que Dodds et Curtin sont prêts à quitter les lieux séance tenante, le vieil Howard dit qu'ils ne peuvent pas partir comme ça. « Il faut réparer la montagne après l’avoir creusée », leur dit-il. Un scrupule assez étonnant, caractéristique d'une approche animiste de la montagne, bien éloignée de la mentalité américaine d'alors. J'ignore si ce détail existe dans le roman de Traven ou s'il a été introduit par Huston dans son scénario (je penche pour la première hypothèse, car B. Traven avait un intérêt tout particulier pour les Indiens : il avait participé en tant que photographe (sous le pseudo de Traven Torsvan) à des expéditions archéologiques et ethnologiques au Chiapas et avait suivi des cours de civilisation et d'histoire indianiste à l'université de Mexico - et c'est aussi selon ses propres volontés que ses cendres furent dispersées au-dessus du Chiapas).

Tim Holt, Humphrey Bogart et Walter Huston

Huston ne s'attarde pas ceci dit sur la "réparation" de la montagne. Une ellipse plus tard, on les voit partir avec leurs mules, mais Howard a d'une certaine manière converti ses compagnons car ceux-ci partent en se retournant sur les sommets et disant "Merci".

Un peu plus tard, ils sont arrêtés dans leur progression par une cohorte d'Indiens qui demandent de l'aide. Un enfant s'est noyé et demeure inconscient. C'est Howard qui va s'instituer guérisseur et ramener le petit à la vie (il relativise tout de suite en affirmant qu'il a suffi de dix ou trois trucs de scout pour réaliser ce qui apparaît aux Indiens comme un miracle). Cet incident va le couper momentanément de Dobbs et Curtin qui continuent seuls vers la ville. Il leur confie sa part de l'or recueilli, et la tentation sera alors trop forte pour Dobbs, devenu complètement paranoïaque : au bivouac il tire sur Curtin, le laisse pour mort, et s'enfuit seul avec les mules et leur chargement. Une décision qui s'avèrera funeste.

La force du film c'est de subvertir les attentes du spectateur. Au départ, Howard a tout du vieux bonimenteur dont il faudrait se méfier à l'extrême, or il va se révéler étonnamment fiable, et d'une sagesse confondante. D'autre part, Bogart n'est pas dans la première partie du film le méchant, le salaud qu'il va devenir. Bien au contraire, on a de la sympathie pour lui, qui traîne sa misère dans un pays où il ne trouve aucune place. Il n'est même pas particulièrement cupide. Quand Curtin et lui retrouvent Mac Cormick, le patron qui les a exploités sur un chantier de charpente en ne leur versant aucune paie, ils le dérouillent dans un bar mais ne tirent de son portefeuille que l'argent qui devait leur revenir. La méfiance, la suspicion, l'avidité grandiront au fur et à mesure de la découverte de l'or : une évolution psychologique à laquelle il aurait dû être préparé car Howard avait tout dit dès le premier soir, dans l'asile de nuit où ils se sont rencontrés, sur les coeurs qui changent quand l'or apparaît. Tout était annoncé mais le destin n'en sera pas moins inexorable.

Bogart et John Huston lui-même

Cette cécité psychique de Bogart est illustrée au début du film. Dobbs tape par trois fois un riche Américain (joué par Huston lui-même), sans le reconnaître malgré son costume blanc qui tranche sur les tenues autochtones. Cette triple apparition précède la triple apparition de Gold Hat, le bandit mexicain qui attaque avec sa bande tout d'abord le train qui les emmène vers la Sierra, puis leur camp dans la montagne avant un dernier rendez-vous fatal aux abords d'un village ruiné.


Les bandits en dépouillant Dobbs n'ont d'yeux que pour les mules qu'ils tenteront de revendre au village. Ils prennent l'or pour du sable (on peut juger cette méprise peu réaliste, mais bon, en noir et blanc ça passe...), et éventrent les sacs. Quand Howard et Curtin l'apprennent et galopent vers le lieu de l'agression, il est trop tard, le Northen, le terrible vent du nord, a dispersé les précieuses paillettes, les rendant en quelque sorte à la montagne d'où elles avaient été extraites.

Howard éclate alors de rire, et finit par entraîner Curtin dans sa joie "hénaurme". 

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