samedi 19 août 2023

Retour sur le causse

Retour sur le causse. Le causse de Pouligny Saint-Pierre. Avec mon ami Nunki Bartt, tombé amoureux comme moi de ce bout de terre si minuscule (guère plus d'une dizaine d'hectares) qu'il en est presque invisible. L'automobiliste le longe sans rien savoir du trésor qui se cache derrière la ceinture forestière. Nous ne sommes pas dans le Quercy, sur le Méjean ou le Larzac, et pourtant quand on descend le chemin vers la vallée du Suin, après avoir quitté le hameau de la Boudinière, on se sent soudain comme transporté  en Lot ou en Lozère. Végétation sèche et épineuse, chênes, pins, genévriers, pelouses ocres hérissées de blocs calcaires où flotte une nuée de petits papillons bleus, rien à voir avec la Brenne toute proche. J'ai découvert pour la première fois cette splendeur en février 2007, et depuis je n'ai eu de cesse d'y revenir régulièrement.

Le causse (photo prise en 2007)

Nous revîmes cette pierre singulière nulle part indiquée, qui surgit dans le méandre d'un sentier courant dans un sous-bois du versant sud : la "pierre à sexe", ou la "vulve de pierre", dont l'existence m'avait été révélée par la lecture du Cachet de la poste de Jean-Pierre Le Goff.


Il écrivait ceci : "J'ai eu vent de l'existence d'une pierre dans le Berry qui me posait le même type d'énigme que j'avais émis l'an dernier en implantant ma "Pierre de Rosée" dans un champ de Franche-Comté : son origine et sa signification étaient indéterminables. Comme un écho, l'intention que j'avais rendue effective me revenait. Vous jetez une bouteille à la mer et quelques mois écoulés vous en trouvez une qui contient un message semblable.
La pierre est un sexe féminin magnifié. Un article d'Olivier Charbonnier dans La Nouvelle République du 26 août 1960 la décrit ainsi : "Régulièrement ovale et probablement ainsi aménagé, par l'antique sculpteur, ce bloc, aux axes mesurant respectivement 0,90 m et 0,56 m, est creusé d'une cavité centrale également ovale, terminée en haut par une courte fente... Un sillon assez large entoure cette cavité, délimitant ainsi un bourrelet. Deux autres sillons, plus étroits et eux aussi régulièrement ovales où les doigts peuvent pénétrer jusqu'à 5 ou 6 cm, circonscrivent le précédent et laissent par conséquent en saillie d'étroits cordons plats parallèles." (p. 110)"

Olivier Charbonnier, un homme du cru (né près d'ici, à Fontgombault, le 16 août 1875), instituteur passionné par la géologie et l'archéologie, pensait que la pierre était l'oeuvre d'un "antique sculpteur". Croyance que ne partage pas une certaine Mme Lorenz, géologue au CNRS, qui lui voit une origine naturelle, jugement repris (sans mention du nom) dans un article de La Nouvelle République du 8 juillet 2020 : " La pierre se serait formée au jurassique supérieur, il y a 155 millions d’années, par l’empilement de couches sédimentaires alors que la région était recouverte par un océan. Les géologues défendent l’hypothèse qu’un séisme ou un ouragan aurait modifié l’accumulation de sédiments sableux. Les formes concentriques proviennent d’un cratère d’où l’eau aurait été expulsée."

En septembre 2020, nous avions découvert la pierre (je l'avais vainement cherchée quelques années plus tôt) et avions été intrigués car dans l'un des petits orifices latéraux, nous avions repéré comme une petite masse ronde. Faute d'instrument adéquat, nous n'avions pas pu l'extraire, et le mystère était demeuré entier. Je songeais à une perle, car Jean-Pierre Le Goff aimait beaucoup à enfiler des perles, autrement dit perdre son temps à des choses sans importance (c'était la métaphore qu'il avait choisie pour décrire son art). Il envoyait des missives à ses amis, les conviant à quelque performance poétique, ainsi pouvait-il s'agir (pour rester dans le domaine perlier) de faire Paris-Evreux-Rouen-Le Havre-Etretat (P.E.R.L.E.) en train, de mettre un pied à Perles (Aisne) puis des perles à Lhuître (Aube). Une autre fois, il invitait ses correspondants à lui envoyer un mot de la langue française qui résonne avec le mot « perle », attendant, pour clore le jeu, que le nombre de réponses atteigne 264, qui est le nombre de perles du collier de Louise Brooks
A Pouligny, il s'était rendu le 29 novembre 1993, accompagné d'une amie, et il avait oint "la pierre d'une rosée que cette amie avait patiemment récoltée dans son jardin. J'ai voulu cet acte comme une simple marque de sacré et de poésie, comme une liturgie subreptice à une Vénus sylvestre, comme une offrande à une dryade."(p. 111) 
Qu'il eût glissé par-dessus le marché une perle dans la vulve de pierre me semblait cohérent. Nunki avait apporté une petit cuillère pour extraire l'objet de sa gangue calcaire mais, déception, il n'y était plus. Quelqu'un était passé avant nous. L'énigme de la perle restera irrésolue.



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