Il semblerait pourtant que la sauvagerie de ces forêts ait été largement idéalisée. Simon Schama, dans sa magistrale étude Le Paysage et la Mémoire (Seuil, 1999), a bien montré que "la forêt comme l'antithèse de la Cour, de la ville et du village, la forêt comme vestige de l'Arcadie, du "monde doré" de Shakespeare, qui devait s'imposer de manière durable dans l'imaginaire religieux et poétique" n'était au fond qu'un leurre : "en Angleterre comme en France, pour une bonne part, la réalité était tout autre."
Déjà, lorsque Guillaume le Conquérant débarque sur les côtes du Sussex en 1066, seuls 15 % du territoire est encore occupé par la forêt :
"Donc, au temps des rois anglo-saxons, la physionomie essentielle de la campagne anglaise avait déjà pris forme : larges bandes de champs cultivés et de pâturages, ponctuées de taillis et de bouquets d'arbres peu étendus. Il y avait encore des régions de forêts assez vastes dans des comtés comme le Middlesex et le Warwickshire, mais entre le cinquième et le onzième siècle, elles rétrécirent régulièrement à mesure que leur sols argileux était récupéré pour les fermes. Au temps où sortait le Domesday Book, en 1086, des endroits dont le nom même signifiait bois ou forêt, comme le Weald du Kent, avaient été convertis en pâturages, en vergers, en terres arables.(p. 165)"
Richard Fitz Nigel, trésorier du roi Henri II (ce même souverain que nous avons vu favoriser l'essor de l'ordre de Grandmont) expliquait ainsi l'origine du nom : « Les Anglais indigènes appellent ce livre Domesdai, le Livre du Jugement Dernier, de manière métaphorique. Car, alors qu’il est impossible d’échapper à la sentence de cet ultime, strict et terrible jugement, par quelque subterfuge que ce soit, ce livre, de même, délivre un jugement qui ne peut être annulé ni écarté impunément, lorsque l’on fait appel à lui pour les sujets dont il traite ».
En août 2006, les Archives nationales anglaises ont mis en ligne une version du Domesday Book.
Une page du Domesday Book pour le Warwickshire |
Peu après sa victoire, Guillaume avait
donné aux barons normands les avoirs fonciers des nobles anglais. : "L’inventaire révèle que moins de 200 hommes, dont seulement deux
Anglais, se partagent la moitié des biens du royaume. Sur les
6 000 sous-tenanciers anglais, beaucoup n’ont d’autre choix que de louer
le terrain dont ils étaient les légitimes propriétaires avant 1066. Quant aux pauvres et aux expropriés, ils s’en sortent comme ils peuvent.
L’enquête légalise la mainmise
normande. Elle réévalue aussi, à des fins fiscales, les propriétés et
les tenures, ainsi que les bois et les prés. Veau, vache, cochon... : le
moindre animal est recensé. Source.
"
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