samedi 24 juin 2017

# 150/313 - L'axe des Saint Martin

L'église de Vic est dédiée à saint Martin, qui est loin d'être un inconnu pour nous. J'ai déjà traité ici en particulier l'épisode de sa mort à Candes, au confluent de la Loire et de la Vienne. Et j'avais été amené à l'illustrer très précisément par une des fresques de Vic :

Les Poitevins endormis, à gauche, laissent les Tourangeaux sortir le corps de Martin par la fenêtre.

Cette fresque est placée juste au-dessus de celle de l'arrestation du Christ, avec le baiser de Judas. Je rappelle le contexte : venu à  Candes pour résoudre une querelle entre les clercs de l'endroit, Martin rend l'âme à Dieu le 8 novembre 397. Le corps du saint devient alors l'objet d'une âpre lutte entre Tourangeaux et Poitevins  de Ligugé, accourus dès la rumeur de trépas prochain. Les Tourangeaux sont les plus malins car ils réussissent, selon les dires de Grégoire de Tours (Sulpice Sévère ne souffle mot du larcin), à escamoter nuitamment la sainte dépouille par une fenêtre et à la transporter jusqu'à Tours en remontant la Loire. Les obsèques ont lieu le 11 novembre, jour donc de la Saint-Martin.

"Selon la légende, est-il dit sur le site de saintmartindetours.eu, les Tourangeaux embarquèrent la dépouille du saint évêque dans la lumière et les chants ; tout au long de la remontée de la Loire du bateau funéraire, et plus particulièrement au lieu dit "le Port d'Ablevois" (Alba via - la voie blanche) à la Chapelle Blanche (Capella alba), aujourd'hui appelée La Chapelle-sur-Loire, les buissons des rives se couvrirent de fleurs blanches. C'est de là que vient l'expression "l'Été de la Saint Martin"."

Ce rapt sacré, qui ne manque pas de saveur et d'un certain humour (on ne s'attarde guère sur la moralité somme toute discutable des Tourangeaux), s'est donc tissé de légendes. On peut se demander pourquoi on a tellement tenu à mettre cette péripétie hagiographique en regard de la Passion christique (remarquez comment le chef de Martin, en son linceul, est figuré sur la verticale du Christ).


La géographie sacrée relève de son côté un superbe alignement de lieux Saint-Martin.


Cet alignement suit pratiquement l'actuelle départementale D 943 qui relie La Châtre à Châteauroux. Le point d'origine est fixé à Déols, dont nous savons que l'abbaye possédait l'église de Vic et qu'elle était la commanditaire des fresques. De là elle suit la vallée de l'Indre et passe à Saint-Martin, la partie d'Ardentes située sur la rive gauche (la partie droite étant Saint-Vincent ; il y eut longtemps deux communes différentes, qui furent réunies en 1839). Une église romane du XIIe, édifiée sur la rive, est dédiée également à saint Martin : elle fut rattachée à l'abbaye de Déols en 1117 par l'archevêque de Bourges et le pape Pascal II. Notons ensuite que l'alignement passe par Corlay d'où l'on découvre la Vallée noire chère à George Sand, avant d'atteindre Vic et de terminer sa course dans le petit village de Lacs, qui s'honore également d'une magnifique église Saint-Martin, toujours du XIIe siècle.

Il est plus que douteux que ceci relève du seul hasard : tout se passe comme si l'Indre jouait le rôle de la Loire dans la légende de saint Martin.


Entre Ardentes et Vic, l'axe traverse le bois de la Chapelle et un lieu-dit la chapelle Saint-Marc, qui rappellent bien sûr la Chapelle-sur-Loire (Marc étant proche phonétiquement de Martin).


Par ailleurs, quelques indices apparaissent si l'on consulte la carte de Cassini (XVIIIe siècle), indices qui ont disparu depuis. Si l'on trace l'alignement Vic-Lacs (sur de courtes distances, on peut risquer cet exercice sur cette carte qui n'a pas bien sûr la même rigueur que nos cartes actuelles), on obtient ceci :


Sur l'itinéraire nous croisons donc une Croix Blanche et un lieu-dit Aubiers, juste avant Lacs : ces deux toponymes évoquent évidemment La Chapelle Blanche et le port d'Ablevois (l'aube dérivant aussi d'alba).

Écrit mercredi 21 juin, dans la chaleur du premier jour d'été, comme un écho lointain ou proche à l'été de la Saint Martin. A un ami, fêtant son anniversaire ce même jour, j'adressai ces vers de Ronsard, d’une parfaite actualité :


"L’estincelante Canicule ,
Qui ard, qui cuist, qui boust, qui brule,
L’esté nous darde de la haut.
Et le souleil qui se promeine
Par les braz du Cancre, rameine
Ces mois tant pourboullis du chaut"

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