"De même, on aurait tort de s'imaginer la forêt médiévale anglaise comme un grand vase clos de silence, dense, impénétrable, désert, seulement peuplé de brigands et d'ermites. [...] Car dans les bois, il y avait du monde ; une société sédentaire, active, vivant des ressources du milieu ; une société robuste qui accomplissait ses travaux et ses dévotions, communiquait avec l'extérieur et goûtait ses propres plaisirs au rythme des saisons."
Simon Schama, Le paysage et la mémoire, Seuil, 1999, p. 165.
L'historien anglais dresse un tableau de la forêt médiévale bien éloigné de nos visions naïves alimentées par les films et les bandes dessinées : Sherwood et ses hautes futaies sont plus une exception que la norme. Le taillis est le type forestier le plus commun : "ces bois de jadis semblaient peu denses, presque dégarnis ; des bandelettes de prairies herbues, des fleurs sauvages poussaient entre des arbres feuillus, écimés et tronqués." Les animaux domestiques étaient aussi présents que le gibier sauvage : bœufs, chevaux, moutons, chèvres paissaient dans les clairières et les sous-bois. "Mais les vrais seigneurs des bois, souligne Schama, c'étaient les cochons, surtout à la saison du "pannage" entre la Saint-Michel et la Saint-Martin, parce qu'ils se gorgeaient de glands et de faînes."
Le cochon, clé de voûte de l'économie domestique, auquel le droit franc consacre dix-neuf de ses articles. N'est-il pas significatif d'en retrouver aussi la trace dans notre paysage français, avec cette fameuse Taille de l'Aillant qui nous conduisit à Fonteny et au Graal ?
Je rappelle qu'étymologiquement Taille de l'Aillant signifie "Taillis des glands". A noter que le lieu-dit proche, le Bourigeaud, doit sans doute être rattaché à "Bourrin", un
terme qui a désigné l'âne dans plusieurs régions (à rapprocher du latin burrus, roux, brun fauve). Or, dans le Conte du Graal, arrive à la Cour, après plusieurs jours de festivités, une demoiselle montée sur une mule fauve, extraordinairement laide ("Elle avait le nez d'un singe ou d'un chat et les lèvres d'un âne ou d'un boeuf") :
Une dameisele qui vintLa demoiselle salue roi et barons mais non Perceval, à qui elle s'adresse en termes plus que rudes. Pour l'essentiel, elle répète le message qu'avait déjà prononcé la cousine de Perceval rencontrée juste après la visite au Roi Pêcheur, à savoir qu'il eût fallu des questions sur le graal, mais elle est nettement moins compatissante et annonce les malheurs à venir par la faute du chevalier.
Sor une fauve mule et tint
An sa main destre une escorgiee.
La dameisele estoit treciee
A deus treces tortes et noires;
Et se les paroles sont voires
Teus con li livres les devise,
Onques riens si leide a devise
Ne fu neїs dedanz anfer:
(v. 4611-4619)
***
Le droit coutumier franc ne régit pas que les gorets, il s'applique aussi sur des territoires spécifiques qui échappent alors aux codes romains et au droit commun : "Le mot "forêt", explique Schama, qui se mit à remplacer les vieux termes latins saltus et silva, vient très probablement de foris, "en dehors". Elle ne renvoyait pas à un type de paysage, mais à un type d'administration. De sorte que le roi pouvait décréter "forêt" de larges portions de contrées, dont tout le comté d'Essex, qui n'étaient absolument pas boisées et où l'on trouvait des zones de pâturage, de prairie, des terres cultivées, voire des villes. Pendant le premier siècle de la règle normande, ces "forêts" constituaient près d'un quart de tout le royaume, et les rois, Henri II en particulier, semblaient avides d'en accaparer davantage par ce procédé." (Encore une fois, nous croisons ce personnage du roi Henri II Plantagenêt, décidément toujours de la partie dès qu'il s'agit d'étendre son pouvoir.) C'est bien entendu pour chasser selon son bon plaisir que ce régime forestier est imposé. Dans un État guerrier, la chasse royale, précise Schama, est beaucoup plus qu'un simple passe-temps : "Hors la guerre elle-même, c'était le rite de sang majeur, autour duquel s'articulait la hiérarchie des rangs et des honneurs dans la sphère royale."
C'est bien dans ce contexte, marqué par l'injustice et l'arbitraire, que la geste de Robin des Bois s'est édifiée. Réaction d'une société vivant laborieusement de la forêt, confrontée à la brutalité d'un pouvoir créant lois et police pour protéger ses distractions.
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