samedi 4 février 2017

# 30/313 - Elle est retrouvée. Quoi ? - L'Éternité.


 

En fait, je n'en ai pas encore terminé avec Pierrot le Fou, vraiment un des chefs d’œuvre de Godard. Revoyons encore une fois la célèbre scène de fin, où Belmondo se fait sauter la figure en s'enroulant des colliers de dynamite autour de la tête. Après la déflagration, la caméra effectue un panoramique sur l'horizon marin. Pas un son pendant de longues secondes, et puis soudain ces mots :

Elle est retrouvée.
Quoi ? - L'Éternité.
C'est la mer allée
Avec le soleil.



Ces quatre vers sont de Rimbaud, début de son poème Eternité.
Ce n'est pas la première fois que nous croisons Rimbaud associé à Godard : dans Bande à part, des vers s'étaient déjà glissés dans le texte de la voix-off. Ici, c'est plus particulièrement le thème du double qui s'en trouve éclairé,  ainsi que le formule Julien d'Abrigeon dans son analyse du film :
"Aragon cite encore en épigraphe au chapitre «Le carnaval» le «JE est un autre» de Rimbaud: l'allusion paraît si évidente dans le film que la phrase n'a pas besoin d'être citée pour être présente, tant Rimbaud et les êtres doubles hantent ce film. Enfin, même si Aragon va plus loin dans la multiplicité des êtres (des «hommes triples» apparaissent dans le chapitre «Le miroir brot»), un passage du roman prouve sans équivoque l'influence que celui-ci put avoir sur la construction même du film:

«Je t'ai déjà dit de ne plus m'appeler Alfred puisqu'Ingerborg trouve ce nom ridicule. (...) Je t'ai demander de m'appeler Jacques. Je te l'ai dit cent fois, ou si tu préfère Iago, pourquoi tu fais cette bouille ? Iago, Jacques, comme Santiago.»

Le parallèle est évident, avec cet échange constant, répété onze fois, entre Marianne et Ferdinand où, à l'inverse, le personnage refuse son «pseudonyme», lui préférant son nom «civil»:
«-...Pierrot !

- Je m'appelle Ferdinand.»

Il se trouve également que j'ai commencé cette semaine la lecture de Vie prolongée d'Arthur Rimbaud de Thierry Beinstingel, acheté à l'occasion de sa venue le vendredi 14 octobre 2016 à la librairie Arcanes. Nous n'étions pas nombreux autour de lui, ce soir-là, mais l'échange fut chaleureux, qui se continua dans un restau voisin. De fait, si je connaissais le blog de Thierry Beinstingel , Feuilles de route, je n'avais encore lu aucun de ses romans. Or, la quatrième de couverture renvoie directement à notre préoccupation du jour : 
"A la suite d’une confusion, c’est avec la dépouille d’un inconnu qu’Isabelle Rimbaud fait le trajet de Marseille à Charleville.
Déjouant les pronostics des médecins, Arthur, lui, se remet.
Et ce sont les journaux qui lui apprennent sa mort…
Jadis poète, naguère marchand, Jean-Nicolas-Arthur Rimbaud sera-t-il capable de s’inventer un troisième destin ?
Relancé dans la tourmente de l’histoire, de l’affaire Dreyfus aux tranchées de la Première Guerre mondiale ; assistant stupéfait à l’élaboration de son propre mythe, à la construction de sa légende littéraire, celui qui écrivit « Je est un autre » avait-il imaginé à quel point cette phrase se révélerait prophétique ?" [C'est moi qui souligne]
 Ajout du 5 février : Jean-Claude m'écrit le courriel suivant :

"Comment ? Je n'en crois pas mes yeux : Arthur R. soumis au "concept Napoléon", comme dans le conte philosophique de Simon Leys ? Que Thierry Beinstingel connaisse ou pas ce travail littéraire  de S. Leys, on constate que le procédé consistant à  prêter une étape supplémentaire et ignorée à la vie du héros permet à l'écrivain de visiter en creux le mythe de ce même héros. Pour ce qui nous occupe de ces fictions on peut remarquer qu'elles incluent la nécessité de  passeurs ambigus. Le général Bertrand, qui en 1840 ramena en France les restes de l'Empereur,  est à Napoléon ce qu'Isabelle Rimbaud est à son frère :    leur  fidélité force l'admiration jusqu'à la rendre suspecte et, d'ailleurs,  toute fidélité est tromperie. Germain Laisnel de la Salle, le résident du manoir de Cosnay et admirable conteur des "Moeurs et coutumes du Berry", parle du général Bertrand avec une grande empathie  : "Tout révélait en lui l'homme de bon lieu, l'homme supérieur" (souligné par moi). Le général Bertrand produit l'illusion que Napoléon (homme supérieur s'il en est !) ait déteint sur sa propre personne . Et Isabelle Rimbaud  n'essayait-elle pas de produire une illusion  "Rimbaud" ?"

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