mardi 4 novembre 2025

La maison vide

 Depuis le 6 août dernier, j'écris des sonnets. Le premier d'entre eux commence ainsi :

Soif du poème, un truc soudain, ça vous prend comme la mer

Rien à raconter, rien à dire, mais il faut que ça sorte

Il faut sans délai tracer des mots sur la page

Pour calmer les chevaux, j'ai choisi : un sonnet

Soif du poème, c'était bien cela, une rage de dire qui ne pouvait pas s'épancher dans un article de blog comme celui-ci, qui devait avoir sa forme propre. Et le sonnet, si désuet pouvait-il apparaître, me donnait cette structure contraignante qui me permettait de rendre compte d'un moment de vie dans toute sa densité, ou du moins d'essayer. Je choisis alors de publier sur Facebook, dont j'usais parcimonieusement. L'aventure se poursuit et le 30 octobre, le dix-huitième sonnet évoquait ma dernière visite à l'ehpad de La Châtre, où je trouvai ma mère dans une grande détresse.

Retour à l'ehpad petite maman perdue
Tu tombes bien - elle m'embrasse - j'allais partir
Partir mais où partir quand la maison n'est plus
les verrous sont tirés les gares sans avenir

Dans un sac de toile rouge elle a mis pêle-mêle 
carrés de laine culottes aiguilles et photos
Elle veut prendre le large elle veut se faire la belle
De l'ehpad je m'évade bon dieu c'est pas trop tôt 

J'avoue - on a remis à plus tard la cavale
Diversion - je lui dis lis-moi Victor Hugo
Le Clair de lune du recueil des Orientales

Des poèmes elle en a recopié un quintal
La lune était sereine et jouait sur les flots 
Un peu n'importe quoi conclut-elle impériale

 

Le même jour, après avoir lu mon poème, l'ami François C. me signale la parution récente (8 octobre) de l'album Là où tu vas d’Étienne Davodeau, sous-titré Voyage au pays de la mémoire qui flanche. Présenté ainsi sur le site de Futuropolis : 

Elle s’appelle Françoise Roy. Son métier consiste à accompagner les personnes atteintes par la maladie d’Alzheimer et leurs proches dans leur vie quotidienne. Étienne Davodeau trouve que c’est là un métier passionnant. Alors il a demandé à Françoise de lui raconter au plus près les heures et les journées qu’elle passe dans l’intimité de ces femmes et ces hommes pour qui la qualité de l’instant présent est essentielle. Il lui a dit : « Là où tu vas, chaque jour, tu seras mes yeux et mes oreilles ». L’idée est de raconter au plus près la singularité de ces existences au pays de la mémoire qui flanche tout en préservant l’intimité des personnes concernées. La bande dessinée peut faire ça.
Un détail qui n’en est pas un donne une intensité particulière à ce récit : Françoise et Étienne vivent ensemble depuis longtemps. Depuis toujours, elle est sa première lectrice. Il sait qu’il n’aurait pas pu faire un livre comme celui-ci avec quelqu’un d’autre. Ce livre sera aussi, d’une certaine manière, un épisode de leur vie de couple et donc aussi le plus intime de ses récits.

Je prévois alors d'aller samedi matin à Arcanes acheter cet album. Finalement, je n'en fais rien mais pars en début d'après-midi pour Aigurande, où a lieu la Bourse Multi Collections Brocante à la Maison des Expressions et des Loisirs. Ma belle-sœur Isabelle y tient un stand, essentiellement de livres. L'occasion aussi de revoir de vieux amis de passage. Il y a beaucoup de marchands de timbres et de cartes postales, qui ne m'intéressent pas particulièrement, mais je trouve tout de même à chiner Le bal des conscrits, de Louis Peygnaud, et, plus surprenant, Les Ziaux, de Raymond Queneau, édition originale de 1943, dans la collection Métamorphoses, chez Gallimard.

Et puis j'achète quelques ouvrages à Isabelle, dont justement un Étienne Davodeau, Chute de vélo, que je ne connais pas, paru en 2004. 

 

Je le découvre le lendemain. Et surprise, il est déjà question dans cet album de mémoire qui flanche. Les enfants d'Irène, hospitalisée parce qu'elle perd la tête, préparent la vente de la maison familiale. Page 78, à deux pages de la fin, on trouve ces cases-ci :


 La maison est vide. Et je ne peux m'empêcher de penser à cet autre roman de la sélection du Goncourt que je viens juste de commencer : La maison vide de Laurent Mauvignier

 

Et je songe aussi à la maison d'Aigurande, celle de ma mère, celle dont je dis dans le sonnet qu'elle n'est plus, et qui n'est plus que parce qu'elle est vide, vidée de ce qui lui donnait vie au quotidien, lits, tables, chaises, armoires, vaisselle, tableaux, pendule, bibelots, lampes, etc.

Mais il y a un autre détail qui m'interpelle. A un moment déjà plein de tension, la vieille dame disparaît. Elle demeure introuvable. C'est la panique. Mais heureusement, un ami de la famille, un pauvre type malchanceux que toute la famille aide depuis des années à ne pas sombrer dans la misère, va la retrouver au bord de la rivière. 

Cet ami se nomme Toussaint. Or, cette brocante aigurandaise avait lieu en ce jour de Toussaint. Cette coïncidence n'est pas isolée. On va voir qu'elle est l'un des éléments de ce que Caroline Lamarche et Cécile Guilbert nomme constellation.

Ce sera au prochain épisode.

Aigurande, la maison vide. PB


 

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