lundi 8 janvier 2018

La porcelaine ?

Qu'est-ce que la porcelaine vient faire là ?
J'ai pourtant écrit ça : La porcelaine ? dans le cahier bleu, à la date du 20 décembre 2017, juste sous l'encart découpé du film de Todd Haynes, Le Musée des Merveilles.
J'étais une fois de plus de passage à la médiathèque, et au rayon des nouveautés, j'avais feuilleté un bouquin d'un certain Edmund de Waal, La voie blanche. Et il avait suffi de quelques lignes pour prendre envie de lire le reste. C'était une histoire de cet art millénaire, à travers le regard d'un écrivain également céramiste. Mais bon, j'avais déjà trop de casseroles sur le feu, pas la peine d'allumer un autre fourneau.

Mais pourquoi soudain s'intéresser à la porcelaine (alors que je n'en possède pas une seule, je pense, à la maison) ?
C'est que j'avais commis en septembre 2014 un assez long article intitulé Sombre pierre, granit de l'âme, qui, à partir d'un parallèle entre un recueil de poèmes du poète et romancier limousin Georges-Emmanuel Clancier et un recueil de textes de Marie Mauron, m'avait conduit à évoquer la découverte de la porcelaine chinoise à Jingdezhen par le père jésuite François-Xavier d'Entrecolles, au XVIIIème siècle. De cette rencontre inopinée, il faut croire qu'il m'était donc resté une fibre porcelainière.

Par ailleurs, je ne manquais pas de pistes nouvelles à explorer. L'une des plus prometteuses avait trait à Moby Dick. Le souvenir de sa lecture est chez moi plus que lointain, j'ai dû le lire il y a bien des décennies dans une édition condensée pour la jeunesse. C'est un des livres préférés de mon ami Nunki Bartt, aussi en cette fin décembre, à la librairie Arcanes, je fus bien près d'en acheter la traduction par Jean Giono.
J'y renonçai là aussi, soucieux d'éviter le pernicieux fléau de la dispersion.
Mais la Baleine ne lâcha pas si facilement le morceau. Le soir-même, recherchant l'auteur de la citation sur le hasard comme pseudonyme de Dieu, je déniche Théophile Gautier sur Wikiquote, le Wikipédia de la citation :
"Le hasard, c'est peut-être le pseudonyme de Dieu, quand il ne veut pas signer."
La Croix de Berny, Théophile Gautier, éd. Librairie Nouvelle, 1855, lettre III (« À monsieur le prince de Monbert »), p. 28
Et juste en dessous, il y avait une citation d'Herman Melville, tirée de Moby Dick
"Cette épée agile et indifférence devait représenter le Hasard ; ainsi donc le hasard, le Libre Arbitre et la Nécessité, tout cela travaillé ensemble s'entremêlait : la chaîne droite de la Nécessité ne pouvait être détournée de son cours - pourtant chaque vibration y tendait - la fibre volonté de passer la navette entre certains fils. Et enfin le Hasard qui bien que confiné dans les lignes strictes de la Nécessité et bien que dirigé par le Libre Arbitre finissait par donner son aspect définitif à la chose."
Moby Dick, Herman Melville (trad. Lucien Jacques, Joan Smith et Jean Giono), éd. Gallimard, 1996, p. 298
L'épée du hasard allait me désigner aussi ce même soir (j'étais en plein effervescence autour de Lexington Avenue) un passage de La chambre dérobée de Paul Auster, le tome trois de sa trilogie new-yorkaise :
"Le jour de mon trentième anniversaire est arrivé. Je connaissais Sophie depuis environ trois mois, et elle a insisté pour en faire une soirée de célébration. Au départ, j'étais réticent, n'ayant jamais prêté grande attention aux anniversaires, mais le sens de la circonstance dont faisait preuve Sophie a fini par avoir raison de moi. Elle m'a acheté une édition coûteuse et illustrée de Moby Dick, m'a emmené dîner dans un bon restaurant, puis m'a guidé à une représentation de Boris Godounov au Metropolitan." (p. 51)
Mais aussi un article de François Busnel publié le 29 juin 2009 dans l'Express : "New York, cité des lettres", où l'on peut lire ceci :


Et comme les grands esprits, paraît-il, se rencontrent, il se trouve que j'ai lu avant-hier dans la revue America (c'est la première fois que j'achetai cette nouvelle revue) un grand entretien entre François Busnel et Paul Auster.


Bref, tous les chemins me conduisaient à Moby Dick, et je ne doutais plus que l'année 2018 allait commencer sous les auspices de la baleine blanche (d'autant plus que j'avais commencé depuis fin novembre le livre de Pierre Senges, Achab (séquelles) qui se veut la suite ironique des aventures du célèbre capitaine à jambe de bois (un livre déniché à Noz la semaine précédente). Je dis bien commencé, car ce livre foisonnant, protéiforme voire océanique n'est pas d'une lecture facile (j'avance à la vitesse d'une chaloupe lâchée dans la Mer des Sargasses).



Sur ce, le 26 décembre, j'emmène tout un carton de bouquins à la boîte à livres du Carrefour Market de Déols. C'est que j'ai décidé, pour contrer l'invasion de l'imprimé dans l'appartement, de pratiquer un strict équilibre des masses : un livre qui rentre, un livre qui sort. Comme il en est rentré pas mal ces derniers temps, il a fallu faire des ponctions parfois malaisées dans les rayonnages. Romans qu'on ne relira jamais, essais dispensables, j'en ai donc farci les étagères déoloises. Mais je ne suis pas revenu les mains vides : des livres déjà présents là-bas, j'ai ramené un petit roman de Thomas Vinau, Nos cheveux blanchiront avec nos yeux (Alma, 2011). Je n'avais jamais lu Thomas Vinau, mais j'avais croisé son nom plusieurs fois.
Or, dès la deuxième page du livre, que vois-je ?

"Moby Dick

Le port est plein de perdants magnifiques. Walther
hésite entre deux chalutiers des grands fonds.
L'Achab et le Terre Neuve. Il opte pour le premier
et vient s'agglutiner à la longue file des demandeurs
d'emploi. Merlan, cabillaud, thon ? lui demande
le capitaine.
Il répond par un signe de tête et se retrouve embarqué
sur le pont de l'Achab à cinq heures du matin.
Destination : l'archipel de Svalbard en Norvège. "
Enfin, le 28 décembre, me voici de retour à la médiathèque pour une raison dont je ne me souviens pas. Le livre d'Edmund de Waal n'a pas trouvé preneur. Il est toujours à la même place sur les rayonnages des nouveautés. Je l'ouvre, cette fois non pas au hasard, mais à la première page, et je lis la citation en exergue :
Quel est cet objet de blancheur ?
Moby Dick, Herman Melville.
Cette fois, il n'y a plus à hésiter une seconde. Les pistes de la porcelaine et de Moby Dick viennent de se croiser. J'embarque le livre.

8 commentaires:

Stéphanie a dit…

Il y a depuis peu une boîte à livres à l'entrée du parc balsan avec un contenu étonnamment riche à l'intérieur. Donc à éviter pour toi évidemment..

Patrick Bléron a dit…

Ce n'est pas sympa d'écrire ça. J'ai envie de m'y précipiter évidemment. Si je commence à ramener plus de livres que je n'en dépose, je ne m'en sortirai pas...

g a dit…

par les hasards,
porcelaine

Patrick Bléron a dit…

"Je peux passer des heures les yeux mi-clos à frotter l’un contre l’autre deux petits objets de porcelaine. Les ondes sonores de toutes les couches de la matière s’étendent dans l’appartement et parcourent l’espace pour venir se briser dans ma cage thoracique.(...)"
J'aime votre texte, Gabriel (qui se trouve être, par hasard, le prénom de mon plus jeune fils).

blogruz a dit…

Avant de t'attaquer à Moby Dick, apprends-que certains l'ont relié au carré de Dürer... Ce rapprochement ne m'a guère convaincu, mais il a fait coïncidence, voir ici.
Aussi, je fréquente la médiathèque Lucien-Jacques de Gréoux, et je ne savais plus que c'était le co-traducteur.

g a dit…

Bonjour,
Je viens seulement de voir votre réponse, en parcourant à nouveau votre site (passionnant).
Je vous remercie d'avoir lu !
(j'ai très peu de visiteurs, mais j'ai néanmoins mis alluvions parmi les liens de mon site)

Patrick Bléron a dit…

Bonsoir g,

Merci beaucoup pour le lien. Je crois bien avoir pas mal de visiteurs robots. J'ai mis gabriels f. en lien aussi dans mes autres sentes, histoire de leur donner un peu plus de rêve machinal.

g a dit…

Oh, merci. Ça va m'encourager à y publier de nouveaux textes, prochainement.