Emprunté l'autre jour le roman de Sylvie Gracia, une parenthèse espagnole, paru chez Verticales. Pour au moins deux raisons (car de cette auteure, je n'avais encore jamais rien lu) : le fait qu'elle soit née en 1959 (et que c'est donc quelqu'un de ma génération : un aspect par ailleurs important dans le livre) et le fait que la quatrième de couverture mentionne une certaine Luz :
«Luz est à mes côtés, silencieuse, pendant ces milliers d’heures passées à la recherche du tombeau de mots dans lequel j’embaume sa vie, comme j’embaume celle de Ramón, de Capa et d’Orwell, ou bien d’Antonio. La ronde des vivants et des morts.»
Luz, la lumière en espagnol, est un nom primordial pour moi, car c'est avec lui que j'ai ouvert l'Archéo-réseau, en février 1991. Deux livres déroulaient en parallèle des échos improbables : Une saison chez Lacan, de Pierre Rey, et La Fête à Venise de Philippe Sollers. L'héroïne de celui-ci se nommait elle aussi Luz, elle était née en 1966 à Los Angeles et avait les yeux très bleus : description qui convenait bien à celle avec qui je partageais ma vie à l'époque.
Sollers citait lui-même un passage d'Hemingway : "Par une soirée brûlante, à Padoue, , on le transporta sur le toit d'où il pouvait découvrir toute la ville. Des martinets rayaient le ciel. La nuit tomba et les projecteurs s'allumèrent. Les autres descendirent et emportèrent les bouteilles. Luz et lui les entendirent en-dessous, sur le balcon. Luz s'assit sur le lit. Elle était fraîche et douce dans la nuit chaude."
J'ai aimé l'interrogation sur notre génération, elle n'est pas si fréquente (sur cette rareté même, il faudrait peut-être commencer à réfléchir) : "J'avais vingt ans en 1979 et, dans cette décennie finissante, les utopies qu'avaient cultivées les génération optimistes nées après-guerre se désagrégeaient, mais nous ne le savions pas. Nous voulions encore en être, forger une nouvelle humanité espérions-nous, d'autres rapports et d'autres désirs. Nous voguions sur la queue d'une comète qui fonçait dans l'inconnu du prochain millénaire et nous étions aveugles, croyant pouvoir encore inventer alors qu'il nous faudrait, bientôt tenter de préserver quoi? Pas grand-chose, peut-être simplement quelques espaces intimes pour ne pas sombrer." (p. 17-18)
Et puis il y eut cette superbe synchronie portée d'une part par cette page 72 :
"Dans le reflet, Luz s'était immobilisée, son regard balayait la pièce à la recherche d'une chose qu'elle aurait oubliée. Je la vois se diffracter en myriade de Luz fantomatiques, corps souple, revêtu de ces vêtements cintrés qu'elle aimait par-dessus tout, marquant ses hanches étroites, ses seins libres sous le tissu. De la musique vient s'incruster, et ce n'est pas Patti Smith, plutôt Lou Reed, Perfect Day par exemple, que nous écoutions si souvent les matinées où nous nous réveillions dans l'appartement en désordre. (...) La voix douce de Lou Reed montait sur fond de piano, nous sussurrant, You made me forget myself, I thought I wa someone else, Someone good. Il était près de midi, dans la cour du rez-de-chaussée les deux chats vagabonds que nous nourrissions venaient nous espionner sur le pas de la porte-fenêtre. Such a perfect day."
Or, le matin même, j'avais écouté pour la première fois Transformer, l'album de Lou Reed qui renferme Perfect Day. Ma connaissance de Lou Reed ne tenait jusqu'à lors qu'en deux disques vinyl.