Chaque jour exprimer le lait du temps traire le temps
le lait noir du temps
29/03
J'entreprends de mettre en ligne quelques passages de mon carnet Mondrian, qui va bientôt s'achever. Avec le recul de quelques mois, cela me permet de revenir sur ce qui déjà s'enrobe d'oubli. A juste titre souvent, mais, ici ou là, une phrase, une citation, une image raniment des étincelles de sens.
Le bonheur d'être ici, de Michael Edwards.
"L'infini est à chercher non pas au-delà, mais à l'intérieur du fini."(p.20)
Et même page, cette phrase, consonante avec ce que j'écrivais dans la chronique du Nomade #80.
"Toutes choses dans le temps écoutent, concertent et composent. Les rencontres des forces physiques et le jeu des volontés humaines coopèrent dans la confection de la mosaïque Instant."
"La drague avance lentement dans le fil du fleuve, lourde et têtue, elle débarrasse, racle, aspire, décrasse le lit du fleuve de toute la merde qui s'y est déposée, qui s'y dépose jour après jour ; dérocte le chenal, saluée alors merveilleuse tâcheronne nécessaire bonniche, son énorme fraise à trois têtes - trois fois l'envergure et la puissance du plus bel outil de forage pétrolier en eau très profonde, tout de même - fouraillant la roche pour conserver un passage aux coques des majestueux navires, cargos d'aventure et pétroliers dernier cri. Les deux garçons marquent un recul devant les citernes où se déverse le fond du fleuve, vase noirâtre, pâte sédimentaire remontée des profondeurs, alluvions sans âge, aucun scintillement là-dedans, rien, ils se mettent pourtant à y guetter la tranche d'une épave, un morceau de tôle, un débris humain, un os de crâne peut-être, oui, un coffre ou un coffre receleur de pierreries diverses, un trésor ouais, ce serait génial. Ils s'excitent, rigolards, ne cherchent rien, pas même la fortune, l'avenir n'a pas de forme pour eux qui vivent au jour le jour, sans autre tension que celle de leur jeunesse, ils tendent les mains, paumes vastes et doigts habiles, toujours prompts à palper de quoi jouer, de quoi se faire un peu de thune, toujours partants pour la première connerie."
Extrait du très bon roman de Maylis de Kerangal, naissance d'un pont, verticales, 2010, p.102-103.