"La drague avance lentement dans le fil du fleuve, lourde et têtue, elle débarrasse, racle, aspire, décrasse le lit du fleuve de toute la merde qui s'y est déposée, qui s'y dépose jour après jour ; dérocte le chenal, saluée alors merveilleuse tâcheronne nécessaire bonniche, son énorme fraise à trois têtes - trois fois l'envergure et la puissance du plus bel outil de forage pétrolier en eau très profonde, tout de même - fouraillant la roche pour conserver un passage aux coques des majestueux navires, cargos d'aventure et pétroliers dernier cri. Les deux garçons marquent un recul devant les citernes où se déverse le fond du fleuve, vase noirâtre, pâte sédimentaire remontée des profondeurs, alluvions sans âge, aucun scintillement là-dedans, rien, ils se mettent pourtant à y guetter la tranche d'une épave, un morceau de tôle, un débris humain, un os de crâne peut-être, oui, un coffre ou un coffre receleur de pierreries diverses, un trésor ouais, ce serait génial. Ils s'excitent, rigolards, ne cherchent rien, pas même la fortune, l'avenir n'a pas de forme pour eux qui vivent au jour le jour, sans autre tension que celle de leur jeunesse, ils tendent les mains, paumes vastes et doigts habiles, toujours prompts à palper de quoi jouer, de quoi se faire un peu de thune, toujours partants pour la première connerie."
Extrait du très bon roman de Maylis de Kerangal, naissance d'un pont, verticales, 2010, p.102-103.
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