jeudi 17 novembre 2022

Les deux Adèle

L'attracteur étrange munchien joue les prolongations, en bifurquant sur une voie de traverse. Je m'explique : dans l'article précédent, j'ai oublié une occurrence du Cri, sans doute m'apparaissait-elle un brin triviale, mais j'avais tort, tout a son importance. Lundi 14 novembre, zappant sur la télévision, je tombe sur l'émission de France 2, Tout le monde veut prendre sa place, que je ne regarde jamais d'habitude, mais il se trouve que je l'avais vue la veille avec ma mère, à Aigurande (c'est un rendez-vous qu'elle ne loupe jamais), et je ne sais trop pourquoi, peut-être en souvenir de ce moment partagé, j'ai visionné toute l'émission. Or le thème était les costumes au cinéma, et soudain, surgit la question qui tue : "De quel tableau la costumière du film "Dracula" s'est-elle inspirée pour la robe du vampire ?". Deux propositions étaient faites : Le Cri de Munch et Le Baiser de Klimt. Les quatre candidats ont voté comme un seul homme pour Munch, ainsi que la championne du moment. Manque de bol, c'était Klimt.


Or on a vu que Gustav Klimt était l'un des sept peintres impliqués dans la fameuse partie de Memory que j'ai rapportée. Et mardi, je venais tout juste de poster l'article en question que j'appris que, ce même jour, des militants écologistes avaient aspergé de liquide noir son tableau La Vie et la Mort, au musée Leopold de Vienne. Encore une fois, le tableau étant protégé par une vitre, il n'a subi aucun dommage.


Klimt encore : au moment où je postai l'article, le bandeau latéral "Autres sentes" affichait un billet de Dominique Bry sur Diacritik, consacré au dernier album de la série Adèle Blanc-sec, Le Bébé des Buttes-Chaumont. Je ne pus m'empêcher de tirer un fil entre Adèle Blanc-sec et Adele Bloch-Bauer, dont le portrait constituait l'une des paires adjacentes de la partie de Memory.  D'autant plus que les époques étaient presque contemporaines : le tableau est daté de 1907, et la série de Tardi commence le 4 novembre 1911, autrement dit il y a 111 ans, presque jour pour jour.

Portrait d'Adele Bloch-Bauer, Gustav Klimt, 1907.

Cela me donna envie de relire Adèle Blanc-Sec, et je me rendis à la médiathèque. Un seul album de la série subsistait dans les bacs, le premier, Adèle et la Bête.


Planche 1 de l'album Adèle et la Bête

Je repartis de la médiathèque avec l'album, mais aussi trois autres livres, dont le roman Disparaître de Lionel Duroy. De cet écrivain je n'avais encore rien lu, mais je l'avais entendu dans l'émission La grande librairie, désormais animée par Augustin Trappenard, où Sylvain Tesson présentait en même temps son Blanc. Duroy y racontait comment il avait décidé de rejoindre à vélo Stalingrad, pour peut-être y mourir, disparaître corps et âme, car il  tient plus que tout à ne pas infliger le spectacle de sa mort à ses quatre enfants. Si j'ai bien compris, toute son œuvre est d'inspiration autobiographique, même s'il n'hésite pas à l'entrelacer de fiction. Ainsi la première partie de ce roman, intitulée L'énigme des enfants,  longue tout de même d'une centaine de pages, est la narration d'un déjeuner à Paris offert à ses enfants, où il compte leur annoncer sa décision. Or, un peu plus loin, il écrit que ce repas n'a jamais eu lieu, qu'il les a vus tous les quatre mais séparément.

Bref, ce que je voulais signaler avant tout, c'est que ce déjeuner imaginaire se situe dans un restaurant Boulevard de l'Hôpital, non loin du Jardin des plantes justement, dont le souvenir est particulièrement important pour l'écrivain : "Une ambulance passe en trombe sur le boulevard, puis un souffle tiède et paresseux fait frissonner le tilleul au-dessus de nos têtes. Alors je songe au Jardin des plantes, si étroitement liée à notre reconstruction  quand Esther était entrée dans ma vie, un mois d'avril ou de mai. Je songe au Jardin des plantes comme s'il avait une vertu réparatrice, traversé du souvenir de mes enfants petits, de nos pique-niques "en famille" de nouveau." (p. 79)



2 commentaires:

blogruz a dit…

Je rebondis sur le Portrait d'Adele Bloch-Bauer, ou La femme en or, dont l'histoire est contée dans La Femme au tableau, beau rôle d'Helen Mirren.
C'est l'avocat américain Randol Schoenberg qui a permis à Maria Altmann de récupérer le tableau. Randol est le petit-fils de Arnold Schoenberg, l'un des membres de l'école de Vienne, qui n'est pas sans rapport avec la Sécession klimtienne. Schoenberg a poussé le sérialisme jusqu'à baptiser ses enfants d'anagrammes de son prénom, si bien que le père de Randol se nommait Ronald...
Et c'est un autre Ronald, Lauder, qui a acheté le tableau à Maria Altmann, pour 135 mégadollars...

Patrick Bléron a dit…

Merci, Rémi, pour ces précisions. Et retrouver Helen Mirren qui m'avait inspiré un rêve puis un article, m'a fait plaisir.