Une hécatombe.
Et je viens de terminer le recueil de Kiki Dimoula, une grande poétesse grecque traduite par Michel Volkovitch. Dimoula dont un commentateur grec, Nìkos Dìmou, dit de sa poésie qu'elle n'a qu'un sujet : le néant. «L'unique thème de Dimoula, c'est le passage — progressif ou soudain — de l'être au non-être. Ce passage qui s'appelle temps, usure ou mort.»
"En effet, poursuit Michel Volkovitch, : chacun de ses poèmes reprend à neuf,
obsessionnellement, l'inventaire de ce qui est perdu, de ce qui n'est
plus. La mort d'un mari bien-aimé, qui hante les recueils suivant
celui-ci, ne fera que cristalliser cette obsession, la rendre plus vive
encore.
Pas de personnages ici. Une voix est là qui parle, seule
mais entourée d'absents qu'elle interpelle : êtres chers disparus, ou
soi-même autrefois, ou encore Dieu — un Dieu dont on ne sait trop s'il
faut y croire. Si des formes humaines se laissent voir, c'est sous forme
de sculptures ou de peintures, ou figées par la photographie, cette
invention bienfaisante et cruelle qui rend le passé à jamais présent, et
en même temps plus que jamais hors d'atteinte."
Par bonheur, ce n'est pas si simple. Je laisse encore la parole au traducteur :
"La perte, la mort, le néant, tout cela parfaitement
vrai, mais on pourrait tout aussi bien dire le contraire. Les poèmes de
Dimoula sont grouillants de vie à leur façon. Un torrent d'images les
irrigue, le plus souvent inattendues, audacieuses, se chassant par
moments l'une l'autre à toute allure. L'humble réalité qu'elles
décrivent acquiert une vie intense, presque angoissante, vue à travers
ces verres grossissants qui en la métaphorisant la métamorphosent.
Pas de personnages ici, sans doute, mais précisons : pas
de personnages humains. Seulement voilà, chez Dimoula tout devient
vivant : les objets qu'elle met en scène, et même des abstractions qui
elles aussi, placées dans les situations les plus concrètes,
apparaissent ici dotées de sentiments, capables de paroles et d'actes,
promues acteurs de la tragi-comédie.
Car — autre paradoxe, mais chez Dimoula, le paradoxe est
perpétuel — la mélancolie si noire et si lourde qui rôde sur ses pages
est sans cesse relevée, allégée par un humour plus ou moins diffus, une
espèce de vivacité guillerette. Les images incongrues, les entrechocs de
ces images, les personnifications saugrenues, la syntaxe et le
vocabulaire allègrement bousculés, tout cela prend des allures de jeu.
Cette poésie très sombre scintille de tous ses mots, d'une éclatante
vitalité. Existants ou non — Dimoula néologise avec entrain —, ils
rebondissent de vers en vers, légers comme des balles de jongleur et
lourds de doubles-sens, car on va jusqu'au calembour, lequel fait naître
un sourire et en même temps jette une ombre, car ce double fond a
quelque chose d'obscur, d'incertain, d'inquiétant."
BULLETIN DE SABLE
Nouvelles intérieures :
Les bruits bien sages dans la maison.
Leur vertu fatiguée
a sommeil.
Le corps a enfilé son âme de nuit
et s'apprête à sombrer.
Les ombres ont bu leur tonique
et grandissent aux murs.
Quelques lueurs soudaines
au bout rouge de la cigarette
sont apaisées par la cendre psychiatre.
Tes lunettes sur le bureau assises en tailleur
bouddha plongé dans l'autocontemplation.
Une importante découverte
de la loupe : sous son regard
la poussière se déchaîne, grossit
comme du sable et l'on a vu déserte
une mer sablonneuse
courir sur tes affaires.
Nouvelles de l'étranger :
Nous avons eu aujourd'hui un temps
un peu meilleur que le temps perdu.
Mais moi que les petits progrès
épuisent je ne l'ai pas essayé.
On a encore fêté l'anniversaire hier
du dimanche, invivable tous les six jours.
On a trouvé un phare, on a perdu son sens
avec les brisants.
Ta démission est acceptée.
Dommage.
Tu avais tant à perdre encore ici.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire