jeudi 14 juillet 2016

Paris Maléfices

Mercredi matin, mon vieux pote Savélitch m'envoie un message me conviant à l'accompagner à Paris : il s'agissait de déménager le Baroudeur, autre vieux compagnon en instance, heureuse promotion faut-il croire, de devenir propriétaire en Berry. Étant invité le soir-même à Aigurande, et le déménagement se réduisant à une poignée de cartons ne nécessitant pas ma musculaire présence de manière absolue, je déclinai l'offre bien à regret, mais il était écrit que cette journée devait se placer sous l'égide de la capitale, car quelques heures plus tard, débarquant à la médiathèque pour rendre les deux volumes empruntés naguère, et commençant à mon habitude par la revue des nouveautés en bande dessinée, je découvre, un peu ébahi, la couverture suivante


qui me pouvait manquer de me rappeler le livre de Jacques Yonnet que je suis en train de déguster depuis quelques jours, et que j'ai déjà évoqué dans La bourbe et l'horloge.


La référence est explicite : le scénariste, Jean-Pierre Pécau, dédie d'ailleurs le premier volume à la mémoire de Jacques Yonnet, et, sur le site des éditions Delcourt, une section sur les différents lieux de l'intrigue s'ouvre sur une citation de Yonnet lui-même. La fascination de l'auteur pour la Bièvre, l'affluent enfoui de la Seine, s'y perpétue sans fard


jusqu'à un personnage féminin qui porte ce nom (page 30) :


L'album se lit avec plaisir, jouant sur les allers-retours entre légendes médiévales et Paris d'aujourd'hui, sur un registre proche de celui de Yonnet, mais sans atteindre le charme de Rue des maléfices, sa puissance d'envoûtement.
Au chapitre du hasard objectif, on notera d'abord que la première case de l'album place l'action en août 44, pendant cette période de l'Occupation qui est le cadre temporel du livre de Yonnet, alors que le chapitre X sur lequel j'avais arrêté ma lecture au moment où je découvris l'album commence la même année, en juin 44.



En second lieu, alors que je rédigeai ce billet sur le regard chez Sebald et Harari, je lus le même jour cette histoire (Rue des Maléfices est une mosaïque d'histoires enchevêtrées) où il s'agit, pour le réseau de résistance de Yonnet, d'envoyer un message radio à Londres pour éviter le bombardement en pleine ville d'un convoi d'explosifs beaucoup plus chargé que prévu. Or, le conseil de guerre du groupe se tient dans le petit café que Géga, un "homme invraisemblable," a installé rue de Bièvre, et dont l'enseigne est "l’Oeil". Un peu plus loin, un autre personnage, le Corse, conduit Yonnet vers un lieu mystérieux : "Quarante mètres, cinquante peut-être, entre deux parois sourdes-muettes-aveugles, l'une de briques creuses, l'autre de calcaire non crépi. On oblique à droite : et brusquement l'horizon s'échancre, et laisse apparaître un coin de ciel avare, au-dessus d'un univers miniature de Venise nordique. J'ignorais qu'il existât encore, dans Paris, un tronçon de Bièvre à ciel ouvert." (C'est moi qui souligne)

La fin de ce chapitre se termine par ce paragraphe :

Et moi qu'est-ce que je fais d'autre ? Je tâche de déterminer les points d'impact, afin seulement  de limiter les dégâts ; mais je ne pourrais jamais faire en sorte qu'il pleuve moins de bombes...
Et si je souligne ici encore points d'impact, c'est que je me souvenais de mes propres mots rédigés quelques heures plus tôt dans le billet mentionné au-dessus :

Sur cette collision entre Diamant noir, film récent de Arthur Harari, et Austerlitz de W.G. Sebald.
Un premier "point d'impact" avait été repéré avec le motif de la gare d'Anvers (dont l'horloge centrale avait provoqué une digression alsaco-parisienne).
Un second "point d'impact" n'est autre que le motif de l’œil, du regard.
Enfin, le jour suivant, comme je relisais également Vertiges de Sebald, il m'apparut une dernière rencontre,  ou bien devrais-je l'appeler une douce collision, que je voudrais fixer ici. Mais, le temps n'arrêtant pas son cours, et des développements imprévus se laissant entrapercevoir, m'avertissant en quelque sorte que l'affaire pourrait bien être plus longue à traiter que je ne pensais, je me permets de remettre au lendemain cette dernière partie. (A suivre donc)




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