- C'est une morsure de recluse, c'est certain ?
- Oh oui. Parce que le vieux - c'est encore un homme âgé, commissaire -, il a reconnu le gonflement et tout de suite, il y avait une vésicule dessus. Et après, il a eu du rouge. Alors, avec tout ce qui se passe en ce moment, il a filé à l'hôpital."
Fred Vargas, Quand sort la recluse, p. 250.
Ça commence encore avec Rochefort, mais attention, il ne s'agit pas là de l'acteur. Non, ce n'est pas Jean mais la ville de Rochefort, celle des demoiselles, qui est à l'honneur. Si l'on peut dire, car c'est à un meurtre que l'on assiste, par injection mortelle de venin d'arachnide. Pour être précis, c'est à Saint-Porchaire, près de Saintes, que l'affaire se déroule. Et c'est là que je me suis posé des questions.
Les premières victimes de la recluse se situaient à Nîmes. Une localisation tout à fait conforme aux faits réels : un article du Midi Libre daté de 2017 relate l'hospitalisation d'une femme qui s'est faite piquer dans le Gard, mentionnant en passant que d'autres cas similaires avaient été constatés en 2015. Nîmes d'accord, mais pourquoi donc Saint-Porchaire ? En Charente-Maritime, comme le dit Irène Royer-Ramier dans le livre, pas un coin à recluses. Localité prise au hasard ? Je n'y crois pas. Fred Vargas ne laisse pas ce genre de détails au hasard.
Je suis donc allé voir sur la toile (cela s'imposait) ce qu'il en était de Saint-Porchaire. Petite ville de Saintonge de moins de deux mille habitants, qu'est-ce qui pouvait bien retenir l'écrivain ?
Je vois deux choses.
« Grotte du Sorcier », avec "un autel gynécomorphe daté de la période du Magdalénien (environ 15 000 ans avant notre ère), et qui pourrait avoir servi à des rites de fécondité". Et enfin la découverte en 2005 d'une nouvelle plaque ornée de gravures dans le couloir de la « Grotte du Triangle » semblant "représenter une tête d'équidé et de curieux symboles, peut-être à caractère ésotérique."
Bref, un riche ensemble bien propre à exciter l'imagination d'une archéologue. Mais que l'on peut trouver aussi en bien d'autres endroits de l'hexagone.
Plus décisif, me semble-t-il, est l'existence du château de La Roche-Courbon. A la fin du XIXe siècle, il est loin d'avoir l'apparence actuelle : abandonné par ses propriétaires, cerné de broussailles, il fait l'admiration d'un certain Julien Viaud qui vient dans le coin passer ses vacances chez sa sœur Marie Bon. Devenu l'écrivain à succès Pierre Loti, il fait campagne (lançant un appel dans Le Figaro le 21 octobre 1908) pour que soit sauvé celui qu'il surnomme volontiers le « château de La Belle au bois dormant » ainsi que la forêt qui l'entoure : « Qui veut sauver de la mort une forêt, avec son château féodal campé au milieu, une forêt dont personne ne sait plus l'âge ? ». Appel entendu par Paul Chénereau (1869-1967), enfant du pays qui en 1920 acquiert La Roche Courbon, qu'il embellit des jardins qu'on peut encore admirer aujourd'hui.
La Belle au bois dormant n'est-elle pas cette recluse qui cent ans durant dort au milieu des siens après avoir été piqué par le fuseau d'une vieille ? Réclusion protégée des curieux grâce à "une si grande quantité de grands arbres et de petits, de ronces et d’épines entrelacées les unes dans les autres, que bête ni homme n’y aurait pu passer ."
Autre indice : on sait qu'Adamsberg est un pyrénéen, or Loti, s'il est natif de Rochefort, est mort à Hendaye dans le pays basque.
"A notre époque, qui est celle de la laideur envahissante, cette rage éhontée de déboiser partout arrive à son paroxysme, et, lorsque nos descendants comprendront enfin l'étendue de notre stupidité sauvage, il sera trop tard, car il faut des siècles et des siècles pour recréer de vraies forêts. Aux Pyrénées, restait celle d'Iraty, qui était immense et où la cognée n'avait jamais été mise ; or la voici bientôt rasée jusqu'au sol, par des fabricants de je ne sais quel carton-pâte. Toutes celles de l'Est, vendues à des juifs allemands, et celle d'Amboise, condamnée à mort. L'Institut de France, qui, semble-t-il, devrait être gardien de toute beauté, donne lui-même l'exemple du meurtre. Près d'Hendaye où j'ai mon ermitage, deux vieillards que j'affectionnais tendrement avaient en 1902 légué à l'Académie des sciences leur château et leurs bois qui s'étendaient jusqu'au bord des hautes falaises marines ; averti par la rumeur publique très accusatrice, j'y suis allé hier pour me rendre compte : Hélas ! je n'ai plus trouvé trace des allées où je me promenais naguère avec ces vénérables amis ; les chênes étaient coupés et par endroits les souches arrachées. Ainsi une compagnie d'hommes distingués ou illustres, qui séparément désapprouveraient tous, a pu fermer les yeux sur ce vandalisme." [C'est moi qui souligne]
"II y en a plusieurs, de ces grottes, qui se suivent, montrant des porches en plein cintre ou bien dentelés et d'un dessin ogival. Et enfin j'arrive à la plus grande, dont la salle d'entrée a comme un dôme d'église ; le demi-jour verdâtre des feuillées n'y pénètre pas très loin, et on aperçoit au fond, entre les piliers trapus que lui ont faits les stalactites, des couloirs qui s'en vont plonger en pleine nuit. J'aimais m'y aventurer jadis avec une lampe et un fil conducteur, et je me rappelle qu'une fois, vers ma quinzième année, j'avais failli me perdre dans le dédale de ces galeries, que tapissaient comme d'épaisses coulées de neige ou de lait, et qui étaient toutes de la même blancheur de suaire."Loti n'aimait pas le nom de Saint-Porchaire, qu'il rebaptisa dans ses ouvrages Font-Bruant, du nom de la petite rivière qui y coule (une malice de l'attracteur étrange me fit découvrir hier, jouant au scrabble à Aigurande avec ma soeur Marie-Noëlle, le sept lettres bruants, au tout départ de la partie).
Revenons au roman vargasien : qui annonce par téléphone la morsure d'Olivier Vessac à Saint-Porchaire ? Irène Royer-Ramier, soi-disant arachnologue amateur. Et d'où appelle-t-elle ? De Bourges.
"- Mais vous êtes où ?Encore une fois, pourquoi Bourges ? Pourquoi précisément Bourges ? Il ne me semble pas superflu de savoir que le propre père de Fred Vargas (de son vrai nom Frédérique Audoin-Rouzeau), l'écrivain Philippe Audoin, membre du groupe surréaliste, a consacré une étude à la ville : Bourges cité première, essai d'iconologie mytho-hermétique, publiée chez Julliard, en 1972, dans la collection "Les Lieux et les Dieux" dirigée par Gérard de Sède.
- Ben, je suis à Bourges, moi.
- A Bourges ?
- C'est que dès que je peux, je cherche un point sur la carte de France, et j'y vais. C'est pour la position antalgique, vous comprenez.
- Pardon ?
- La position antalgique. Les bras accrochés au volant, les pieds sur les pédales, je ne sens presque plus mon arthrose. Je voudrais vivre au volant, moi." (p. 251)
Une dernière diablerie : tracez donc la ligne qui joint Bourges à Saint-Porchaire. Vous la verrez traverser très exactement Châteauroux, où j'écris ces lignes aujourd'hui.
Axe Saint-Porchaire-Bourges |
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