dimanche 18 novembre 2018

Du Cthulhu à Uruk

Jadis (au début des années 80) j'ai pas mal joué à L'Appel de Cthulhu , un jeu de rôles qui se déroule dans l'univers de Lovecraft. Contrairement à la plupart des jeux de rôle de l'époque, comme Donjons et dragons, les joueurs n'étaient pas en compétition les uns contre les autres, il fallait bien plutôt qu'ils groupent leurs forces pour résister aux puissances maléfiques et à leurs sectateurs. Et puis c'était le premier jeu où l'on pouvait devenir fou. Chaque personnage avait une certaine quantité de santé mentale et la connaissance du mythe vous faisait inéluctablement perdre des points. Par exemple, la lecture de certains livres, comme le Nécronomicon d'Abdul-al-Azred, vous faisait sérieusement dévisser du bocal. Vous deviez vous refaire la cerise avec un petit séjour en clinique.


Exemple de fiche de personnage (Investigateur de l'Inconnu)

Pourquoi je parle du Cthulhu* aujourd'hui ? Eh bien parce que je pense que certains livres ne sont pas anodins. Non, ils ne vont pas vous faire interner du jour au lendemain, ils ne vont pas vous rendre cinglé (et encore ne faut-il jurer de rien), mais ils se comportent bizarrement : une fois entrés dans l'orbe de votre curiosité, ils ont tendance à résonner, à provoquer des coïncidences. Dans mon lexique personnel, je parle d'intrication. Une fois mêlés à votre propre vie, ils ressurgissent de façon inattendue. Je relie ça au phénomène d'intrication quantique tel qu'il est défini par exemple par l'astrophysicien Aurélien Barrau : "deux particules ayant une origine commune ne peuvent être considérées comme indépendantes. Étonnamment, toute mesure opérée sur l'une influera instantanément sur l'état de l'autre, fut-elle distante de milliards de kilomètres. Il n'est plus possible de les considérer comme deux entités : elle sont un unique système quantique." Je sais bien que rien ne prouve que ce qui est vrai au niveau microscopique l'est aussi au niveau macroscopique qui est le nôtre, mais j'aime bien cette image de l'intrication.

Le dernier livre "intriqué" tombé entre mes mains c'est cette Histoire du Monde en 100 objets, de Neil MacGregor, que j'ai évoqué récemment à propos de la hache de jade. Une constellation s'était cristallisée autour du thème de la hache, et voilà que la notice du livre lue le jour-même parlait précisément de haches.


Il n'y a pas lieu bien sûr de s'emballer au prétexte d'une telle rencontre. Le hasard, dira-t-on, refrain connu. Mais trois jours plus tard, le quinzième objet, une tablette en argile trouvée dans le sud de l'Irak, cinq mille ans au compteur, nous régale d'une nouvelle collision. "Vers 3000 avant notre ère, écrit MacGregor, ceux qui devaient diriger les différentes cités-Etats en Mésopotamie ont découvert  comment utiliser des traces écrites dans toutes sortes d'administrations au jour le jour, que ce soit pour gérer les grands temples ou suivre la circulation et le stockage des marchandises. La plupart des premières tablettes en argile de la collection du British Museum viennent de la ville d'Uruk, située plus ou moins à mi-chemin entre l'actuelle Bagdad et Basra. Uruk n'était que l'une des grands et riches cités-Etats  de Mésopotamie devenues trop grandes et trop complexes pour que quiconque soit en mesure de les diriger par la simple parole." (p. 124)


Cette même semaine, je lis L'ordre du temps, un essai passionnant du physicien italien Carlo Rovelli (dont je reparlerai bientôt), ce qui m'amène assez logiquement à me pencher sérieusement aussi sur ce catalogue d'exposition rapporté cet été du Musée des Arts de Nantes, Le temps à l’œuvre (Louvre-Lens, éditions invenit, 2012). Et c'est dans ce livre que, le même jour que le MacGregor,  je vais rencontrer une nouvelle fois la ville d'Uruk, là aussi par le truchement d'une tablette en cunéiforme.


Si je dis que ce n'est pas là du hasard, mais une nouvelle manifestation de l'Attracteur étrange, certains penseront que je suis victime de la pensée magique et que j'ai bel et bien perdu quelques points de santé mentale.
Et les bougres n'ont peut-être pas tort.
Mais je trouve plus stimulant de penser le contraire...

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* Le nom de Cthulhu n'est normalement pas prononçable par l'être humain, sous peine de sombrer dans la folie, mais vous pouvez toujours essayer : https://fr.howtopronounce.com/italian/cthulhu/

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