mardi 6 novembre 2018

Mes pas dans l'ombre sépulcrale

Quatre petits jours à Porto, et rien n'est plus pareil. Quand je voyage, j'aime être déconnecté. Mon smartphone est heureusement d'un modèle si incommode à consulter que la tentation est facile à surmonter. Donc pas de mail (mais des centaines bien évidemment à éplucher au retour, c'est le revers de la médaille), pas de Facebook, de Twitter, de blog. Être seulement présent à ce qui advient. Et Porto, deuxième ville du Portugal, que nous découvrions pour la première fois, avait beaucoup à donner. Mais que m'arrive-t-il ? J'avais en octobre lancé plusieurs fils, ouvert plusieurs pistes, et il me restait donc un bon nombre de chroniques à écrire. Porto a comme perturbé ce flux, comme un affluent aux eaux tourbeuses vient soudain troubler le cours tranquille d'un fleuve plus du tout impassible. Et voilà que je ne sais plus que faire : reprendre la marche d'hier ou suivre une impulsion nouvelle, bifurquer alors que tout n'est qu'ébauché.

Sé Cathédrale de Porto
Et si la solution c'était, plus que jamais, d'être alluvionnaire, d'échapper à la lame unitaire qui roulerait entre des rives de béton et de se fondre dans les boues et les limons de courants turbulents. Identification à l'inondation.

Alors allons-y, descendons dans les catacombes de l'église de São Francisco, crypte qui servit de cimetière privé au Tiers Ordre de St-François de 1749 à 1866. Des têtes de mort au-dessus des enfeux, une vitre au sol laissant voir l'ossuaire des pauvres quelques mètres plus bas. Des statues, dont l'une me rappelle les sculptures d'Ernest Nivet.


Ernest Nivet (tombeau)
Dans le panier d'un bouquiniste de la Rua das Flores, les Œuvres d'Edmond-Henri Crisinel, parues aux Éditions de l'Age d'Homme en 1979. Crisinel, poète suisse dont toute la production tient dans cet unique volume de cent-quatre-vingts pages. Crisinel jamais lu, mais dont le nom m'est familier grâce à la lecture de la Correspondance de Gustave Roud et Philippe Jaccottet (livre lu en 2002 - à l'aide de l'index, j'en ai reparcouru les passages où il est question de Crisinel et je suis surpris d'avoir retenu ce nom car les deux poètes, s'ils estimaient tous deux cet homme durement marqué par la psychose, ne déploient aucune analyse précise dans leurs lettres).


Dans la calme nuit portuane de l'appartement Avenida de Fernão de Magalhães (autrement dit Magellan), j'ai lu le soir-même la moitié du livre.
O vous, corps oubliés dans vos humbles cercueils,
Le front bas, j'ai quitté les voûtes infernales,
Mais vos râles, vos cris, vos transes, comme un deuil,
Ont égaré mes pas dans l'ombre sépulcrale.

(in  Élégie de la maison des morts)

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