lundi 8 mars 2021

Des ossements du Cid et de Chimène

Revenons sur cette erreur de Sebald qui confond dans Austerlitz l'anatomiste Honoré Fragonard et le peintre Alexandre-Evariste Fragonard, neveu du précédent, fils du célèbre Jean-Honoré Fragonard. Je m'interrogeai sur le caractère volontaire ou non de l'erreur (il faut toujours se méfier avec Sebald). Quoi qu'il en soit, je suis allé faire un tour sur la biographie de cet Alexandre-Evariste, et tout d'abord sur sa notice wikipédienne. J'y appris qu'il naquit à Grasse le 26 octobre 1780 (fête de saint Évariste, cinquième pape de Rome, d'où le prénom) et mourut le 11 novembre 1750 à Paris (jour de la très populaire fête de la saint Martin). Il étudie la peinture auprès de son père et de Jacques-Louis David, et atteint très vite un niveau de maîtrise impressionnant, aussi une exposition qui lui fut récemment consacrée au musée d'Angoulême, fut-elle sous-titrée le fils prodige. Sculpteur, dessinateur, peintre prolifique, il laissa plus de 400 tableaux et des milliers de dessins et croquis.


Et parmi toutes ces œuvres, dont certaines sont répertoriées par Wikipedia, je fus assez saisi de trouver celle-ci, Vivant Denon replaçant dans leur tombeau les restes du Cid et de Chimène, daté de 1809 et visible au Musée Antoine-Lécuyer de Saint-Quentin.


Cette image est extraite d'une conférence donnée à Angoulême par Rebecca Duffeix, commissaire de l'exposition. Elle a attiré mon attention à cause bien sûr du personnage qui est ici représenté, Vivant Denon, que j'ai été conduit à ré-évoquer récemment, le 19 février, dans la chronique L'avare a toujours peur des cadeaux, et le 14 février, dans Je cherche l'or du temps, avec cet étrange reliquaire - conservé ici à Châteauroux au Musée-Hôtel Bertrand -, que le fondateur du Louvre confectionna avec des reliques profanes, dont des fragments d'os du Cid et de Chimène (une côte et une omoplate) qui étaient à l'origine dans le mausolée du monastère de San Pedro de Cardeña. La légende du dessin est une escroquerie partielle, car Denon, s'il replaça peut-être quelques ossements du Cid et de Chimène, s'en garda une partie pour lui : la sépulture du héros avait été pillée par les troupes de Napoléon en 1808, ce qui reste encore en travers de la gorge de nos amis espagnols, comme en témoigne cet article du journal ABC du 7 juillet 2019, où nous trouvons d'ailleurs reproduit le dessin de Fragonard :

Heureusement un certain général Thiébault, grand admirateur du Cid, aurait fait rassembler les restes de Chimène et du Cid pour les transporter solennellement à Burgos, où les aurait accueilli un tombeau provisoire situé sur la Promenade de l'Espolón.  Roland Narboux, sur le site Encyclopédie-Bourges, avance l'idée qu'une partie des ossements a trouvé domicile en Berry, à Châteauroux et à Bourges. Il cite une lettre d'une habitante de Burgos, Ana Fernandez :

"Quant aux os contenus dans le reliquaire, d'après nos recherches il pourrait s'agir de fragments donnés par le Général Thiébault à Denon, comme il le dit dans ses mémoires, probablement en mars 1809. Le 1er mars 1809 le général s'est rendu au couvent de San Pedro de Cardeña" et a respectueusement recueilli les ossements du Cid et de Chimène qu'il avait retrouvés par terre, il les a mis dans un linceul et il les a transportés dans son logement, sous son lit, pour être sûr que personne n'y toucherait plus. Il dit " beaucoup m'en demandèrent des parcelles; je n'en donnai qu'à ce bon de Denon, qui, à cette époque passa par Burgos, et l'exception fut complète à ce point que je n'en pris pas même un fragment pour moi". Puis Thiébault a fait construire le monument au centre de la ville et y a enfermé les ossements."

 Bon, j'ai trouvé ces fameux Mémoires sur Gallica. J'y vais jeter un oeil.

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