mercredi 11 août 2021

Moby Dick de papier

L'Attracteur étrange, en opérant un retour sur la thématique melvillienne, n'a pas manqué de faire suivre l'affaire de quelques résonances discrètes. Hier soir, consultant l'édition numérique de Libération, je me suis naturellement penché sur la resurgie récente de plusieurs milliers de pages manuscrites de Céline, qui lui furent volés en pleine Libération de Paris. Une découverte extraordinaire mais qui tourne déjà au conflit judiciaire entre les ayants droits et Jean-Pierre Thibaudat, le journaliste à l’origine de la révélation, accusé de recel. Je ne veux pas m'appesantir là-dessus, juste signaler le sourire que provoqua chez moi la lecture du passage suivant :

"Ces manuscrits, l’écrivain en fuite, comme d’autres sympathisants du régime nazi sentant le vent tourner, les avait abandonnés dans son appartement montmartrois en 1944 au moment où les alliés débarquèrent sur les côtes normandes. «Les dossiers mis côte à côte s’étalent sur 1,50 mètre, souligne Gibault, 89 ans, sommité des prétoires. Céline ne pouvait pas embarquer tout ça en train avec sa femme et son chat !» Graal des bibliophiles, Moby Dick de papier : les céliniens les cherchaient depuis plus d’un demi-siècle, à l’instar de ce manuscrit sous nos yeux, la Volonté du roi Krogold, un conte médiéval à des années-lumière de l’univers fétide de Bardamu (le double littéraire de Céline)."

Moby Dick de papier. Pas si mal vu, car avec ses chapitres jaunis rassemblés par Céline par des pinces à linge, on pense à cette forêt de harpons plantés dans les chairs du cachalot sans qu'elle ne parvienne à calmer sa fureur.

Le manuscrit de «la Volonté du roi Krogold», qui a refait surface cet été, comme des milliers d'autres pages de Céline. (Boby/Libération)
Un peu plus tard, dans la nuit déjà bien avancée, j'ai lu quelques pages du Chasseur Céleste, le dernier livre de Roberto Calasso, le grand écrivain italien disparu tout récemment le 28 juillet, et que j'avais évoqué deux ans plus tôt dans une chronique consacré à René Daumal, figure importante de son essai L'innommable actuel. Et voici qu'à la page 28 :

"De ceux qui vécurent durant le Magdalénien et peignirent des parois rocheuses en Dordogne, nous ne pouvons sans doute pas dire grand chose. Mais au moins ceci : ils savaient dessiner avec une stupéfiante justesse, rarement égalée durant des millénaires. A l'improviste - et partout : en Egypte, au nord de l'Espagne, en France, en Angleterre : à Creswell, l'extrême limite avant les masses de glace. Pourquoi cela eut-il lieu ? Il serait hasardé d'y répondre. Mais si le dessin est un acte de l'intelligence, celle des Magdaléniens devait être très grande. Et peut-être possédaient-ils quelque chose en commun avec les baleiniers qui, avant de partir, attendent de voir une baleine en rêve. Si elle ne leur était pas apparue, ils n'auraient jamais pu la rencontrer dans la réalité." [C'est moi qui souligne]

 

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