jeudi 29 septembre 2022

Cristal noir #7 : L'ogre cosmo-tellurique

 Cinq années de chantier pour réaliser l'Hélice terrestre. Mille tonnes de tuffeau extraites, trois mille tonnes de béton coulées. La dureté du béton et la tendreté du tuffeau, Jacques Warminski aimait ce contraste de matières. De même distinguait-il les matériaux nobles des matériaux "ignobles" : isorel, tôle ondulée, grillage, plexiglas... qu'il n'hésitait pas non plus à employer.

De quoi vivait-il pendant ce chantier ? J'ai posé la question à ceux qui l'ont connu, mais ils ne savaient pas trop, si, ils se rappellaient que ses amis lui commandaient des meubles (il avait fait l'école Boulle après les Beaux-Arts), meubles qu'il réalisait... ou non...


Dans la revue trimestrielle 303, dans un bel article d'Alain Mariez, il est décrit comme un "ogre cosmo-tellurique". Le gaillard - 1m95, 150 kilos - "fécondait dans le désordre, l'excès et l'effervescence" :

"Ses agapes pouvaient le clouer à table jusqu'à une heure avancée de l'après-midi ou de la nuit ; son goût immodéré pour le rosé d'Anjou le transportait souvent dans le caboulot voisin : suivant un rituel immuable, il partageait deux pichets avec son hôte puis levait sa grande carcasse sans mot dire. A l'instant précis où Warminski s'extrayait de la table, le cafetier lui remplissait un dernier verre au bout du zinc. "C'est ma piqûre de rappel", rigolait-il en plissant les yeux de plaisir et de malice, le gosier  satisfait et l'abdomen reconnaissant. Puis il s'en retournait usiner son temple post-moderne, boudiné dans un inusable pull-over gris, se confondant presque avec le minéral."

Rabelaisien personnage à l'évidence, mais Warminski outrepassait ce cliché facile : l'oeuvre du Maître de la Devinière, il la connaissait, toujours selon Mariez, dans les moindres inventions verbales :

"Son imaginaire l'invitait à une lecture verticale du monde : en bas, les entrailles, mémoire d'un millénaire de vie troglodytique, et, en haut un promontoire qui invite à lever le nez pour aller toucher les étoiles. On ne peut s'empêcher de penser que Rabelais, une fois encore, fut le malin génie qui inspira l'artiste : la galerie souterraine de Warminski ressemble en effet à ces trois boyaux du cul par où Gargantua transita avant de sortir par l'oreille gauche de Gargamelle."


 L'hélix n'est-elle pas cette partie de l'oreille externe qui s'enroule autour de la conque ?

Cela dit, je me demande où Alain Mariez a vu "trois" boyaux du cul dans Gargantua, car le texte n'en mentionne qu'un, le "droict intestine, lequel vous appelez le boyau cullier". Ou bien faut-il penser qu'il y a confusion avec un "étroit" boyau du cul ? Car la vieille guérisseuse de Brisepaille*, près de Saint-Genou, avait donné à Gargamelle un restrictif si horrible que tous ses trous en étaient si étranglés et resserrés que "vous les auriez à grand peine élargis avec les dents". C'est par la veine creuse que Gargantua gagne la ligne des épaules, bifurque à gauche et sort par "l'aureille senestre".

Elles sont nombreuses les traces de Gargantua dans la contrée : le géant, après avoir traversé la Loire entre Gennes et Les Rosiers, se serait arrêté au Sale Village et fauché un champ de blé. Puis il aurait vidé là ses grolles remplies de sable et formé ainsi les deux collines de chaque côté du hameau. Dans l'opération, il aurait aussi échappé sa pierre à aiguiser, qui ne serait autre que le menhir de Nidevelle, de près de six mètres de haut, aujourd'hui cerné par les pavillons.

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* Hameau de Brisepaille devant lequel nous passâmes en nous rendant à l'Orbière. On peut lire par ailleurs ce que Robin Plackert, dans Fragments de géographie sacrée, a écrit sur la vieille de Saint-Genou.

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