mardi 13 septembre 2022

Cristal noir #3 : l'Hélice terrestre

Après avoir passé la Loire, qui faisait peine à voir, au pont de Gennes, nous arrivâmes, par de petites routes, à l'Orbière, le hameau troglodytique que le plasticien Jacques Warminski avait racheté, parcelle par parcelle, à ses anciens propriétaires. Dans une seconde voiture, le Doc convoyait un couple de ses amis, Géraldine et Jacques B. Jacques B. est né en 1946, comme Warminski, et il est originaire comme lui de cette région, le Saumurois, qui détient, à ce que j'ai pu lire, le patrimoine troglodytique le plus important au monde, avec 14 000 cavités, dont la moitié serait à l'abandon.  Comme lui encore, il fut élève aux Beaux-Arts d'Angers, et il lui a donné la main quand il a fallu déblayer le terrain, car le hameau était devenu après le départ de ses derniers habitants une vraie décharge, un dépotoir à ciel ouvert.

Un travail de galérien au service d'une vision qui venait de loin, du fond de l'enfance où le petit Jacques, pas encore ogre, venait là en vacances, dans ce coin de terre illuminé par le tuffeau, cette roche calcaire qui s'est formée il y a 90 millions d'années quand la mer recouvrait le pays. Son propre père peignait en prenant pour modèle le calendrier des Postes.  Jacques B. se souvient l'avoir vu réaliser une vue du cap Fréhel. Art modeste, oui, mais il avait, précise-t-il, le sens de la couleur, du mélange des teintes. Warminski élira, lui, le bleu et le jaune, que l'on trouve dès l'entrée avec ces cônes et ses fosses carrées ou rectangulaires, qui déjà figurent cette association intime du concave et du convexe à l'oeuvre sur tout le site.

Fasciné par le monde souterrain, Warminski fera de nombreux voyages dans le bassin méditerranéen (Grèce, Yougoslavie, Sierra Nevada, Cappadoce) à la recherche de l'habitat troglodytique. De retour en Maine-et-Loire, il réalisera quelques installations dont il ne reste que quelques photos et des titres qui font rêver : Harpe éolienne de 10 000 m de bolducs (1977), Empreinte du pied de Gargantua enjambant la Vienne (1981), Sculpture rotative de gazon (1986), Ligne de chemin de fer traversant le musée d'Angers (1988), Lit sur lie de la Loire, Gargantua couché à Cunault (1995) - et l'on remarquera aussitôt la grande présence de ce dernier géant.

Lie sur Lit de Loire (dessins préparatoires et photo)


Son grand oeuvre sera L'Hélice terrestre, réalisée entre 1990 et 1994 dans ce hameau de l'Orbière, "archi-sculpture" où le visiteur est invité à cheminer tout d'abord dans l'espace souterrain, dans un petit dédale de salles redessinées, gravées, sculptées par Warminski : "Figures abstraites, dit le Delarge*, aux formes acrobatiques, à la surface squameuse de reptiles ou bouillonnante de cellules, alternant ainsi de petits cubes et de petites sphères." Et puis un escalier tournant nous propulse sur le plateau, au plein air et à la grande lumière. Le paysage se déploie au grand large et devant nous s'arrondit l'amphithéâtre où l'on "retrouve, en ciment moulé cette fois, les mêmes formes humano-reptiliennes, positifs des négatifs souterrains."












Le serpent Python n'est pas très loin.



Jacques Warminski

Soit dit en passant, cet article est le millième d'Alluvions

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* Delarge : Dictionnaire des arts plastiques, modernes et contemporaines. 

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