D'Antoine Emaz, qui vivait à Angers, non loin de l'Hélice terrestre, j'aime la poésie, et plus encore, peut-être, ses recueils de notes, où l'écrire et le vivre ne cessent d'être interrogés avec une lucidité qui ne se paie pas de mots. Hier, comme je le fais régulièrement, j'ai ouvert, à la page où je l'avais abandonné la dernière fois, alors que la nuit était déjà bien avancée, l'un de ses derniers titres, Planche (Rehauts, 2016), et j'y lus ceci :
"Tel qu'il est, et compte tenu de l'histoire, ce monde part sans issue. A partir de là, on peut commencer le travail vers quelle résistance ou quel espoir, même malingre. Poésie, une charpie de mots pour soigner, accompagner un peu cette blessure du négatif. Chanter quoi dans ce tohu-bohu de misères et d'impasses ? Chanter. Le peu possible. A bouche fermée, si nécessaire.
Je revois le visage de cette élève de 2ème me demandant pourquoi ce que j'écris est "si sombre". Dans son ton, ce n'était pas une critique, plutôt une lassitude. Je comprends très bien ce désir d'échappatoire que mes poèmes ne permettent guère. "Nous ne sortirons pas du sort des condamnés", écrivait déjà Reverdy. Le poète n'est pas un enchanteur, même "pourrissant". Mais il ne confond jamais peu et rien." (p. 46)
Antoine Emaz |
Et ceci, sur la page d'à côté, où se croisent les motifs étudiés ici du propre et du sale :
"Brusque propre sur du sale. Monde illusoirement transformé. Jardin tout neuf, pour quelques jours. Même si la neige n'a rien de révolutionnaire, c'est une pause heureuse, un blanc. Ce matin, en allant chercher le pain, presque gêné de marcher, de laisser des traces de pas dans ma rue devenue comme inhabitée, en une nuit."
Antoine Emaz est mort à Angers, le 3 mars 2015, des suites d'un cancer.
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