mardi 27 décembre 2011

Vivement le cinéma

Après avoir vu Le Havre de Kaurismaki, à l'Apollo, avec Pauline, le cinéma toujours avec ce formidable documentaire de Jérôme Prieur sur Arte :


mardi 20 décembre 2011

Sale temps pour les poètes

Je me demande si je ne vire pas à un certain sadisme, car je me vois conduit à prolonger cette série de billets réjouissants axés sur la mort, le suicide et la grande déprime. C'est que décembre est plus que jamais le temps de la grande Camarde. Voilà qu'après Dubillard, ont disparu Cesaria Evora, dont la saudade continuera longtemps de donner couleur à nos mélancolies, Vaclav Havel, le moins connu Jean-Jacques Lévêque, qui connaissait si bien les surréalistes, le dessinateur Eduardo Barreto, qui a donné vie à Superman et Batman, Joe Simon, co-créateur de Captain America, le poète Georges Jean et  le « Dirigeant bien-aimé » Kim Jong Il (tiens, il y a un intrus dans la liste, saurez-vous le trouver).
Une hécatombe.


Et je viens de terminer le recueil de Kiki Dimoula, une grande poétesse grecque traduite par Michel Volkovitch. Dimoula dont un commentateur grec, Nìkos Dìmou, dit de sa poésie qu'elle n'a qu'un sujet : le néant. «L'unique thème de Dimoula, c'est le passage — progressif ou soudain — de l'être au non-être. Ce passage qui s'appelle temps, usure ou mort.»

"En effet, poursuit Michel Volkovitch, : chacun de ses poèmes reprend à neuf, obsessionnellement, l'inventaire de ce qui est perdu, de ce qui n'est plus. La mort d'un mari bien-aimé, qui hante les recueils suivant celui-ci, ne fera que cristalliser cette obsession, la rendre plus vive encore.

Pas de personnages ici. Une voix est là qui parle, seule mais entourée d'absents qu'elle interpelle : êtres chers disparus, ou soi-même autrefois, ou encore Dieu — un Dieu dont on ne sait trop s'il faut y croire. Si des formes humaines se laissent voir, c'est sous forme de sculptures ou de peintures, ou figées par la photographie, cette invention bienfaisante et cruelle qui rend le passé à jamais présent, et en même temps plus que jamais hors d'atteinte."

Par bonheur, ce n'est pas si simple. Je laisse encore la parole au traducteur :

"La perte, la mort, le néant, tout cela parfaitement vrai, mais on pourrait tout aussi bien dire le contraire. Les poèmes de Dimoula sont grouillants de vie à leur façon. Un torrent d'images les irrigue, le plus souvent inattendues, audacieuses, se chassant par moments l'une l'autre à toute allure. L'humble réalité qu'elles décrivent acquiert une vie intense, presque angoissante, vue à travers ces verres grossissants qui en la métaphorisant la métamorphosent.

Pas de personnages ici, sans doute, mais précisons : pas de personnages humains. Seulement voilà, chez Dimoula tout devient vivant : les objets qu'elle met en scène, et même des abstractions qui elles aussi, placées dans les situations les plus concrètes, apparaissent ici dotées de sentiments, capables de paroles et d'actes, promues acteurs de la tragi-comédie.

Car — autre paradoxe, mais chez Dimoula, le paradoxe est perpétuel — la mélancolie si noire et si lourde qui rôde sur ses pages est sans cesse relevée, allégée par un humour plus ou moins diffus, une espèce de vivacité guillerette. Les images incongrues, les entrechocs de ces images, les personnifications saugrenues, la syntaxe et le vocabulaire allègrement bousculés, tout cela prend des allures de jeu. Cette poésie très sombre scintille de tous ses mots, d'une éclatante vitalité. Existants ou non — Dimoula néologise avec entrain —, ils rebondissent de vers en vers, légers comme des balles de jongleur et lourds de doubles-sens, car on va jusqu'au calembour, lequel fait naître un sourire et en même temps jette une ombre, car ce double fond a quelque chose d'obscur, d'incertain, d'inquiétant."

 Allez, un petit exemple (on se reportera à la page de Volkovitch pour en lire davantage ):

BULLETIN DE SABLE

Nouvelles intérieures :
Les bruits bien sages dans la maison.
Leur vertu fatiguée
a sommeil.
Le corps a enfilé son âme de nuit
et s'apprête à sombrer.
Les ombres ont bu leur tonique
et grandissent aux murs.
Quelques lueurs soudaines
au bout rouge de la cigarette
sont apaisées par la cendre psychiatre.
Tes lunettes sur le bureau assises en tailleur
bouddha plongé dans l'autocontemplation.
Une importante découverte
de la loupe : sous son regard
la poussière se déchaîne, grossit
comme du sable et l'on a vu déserte
une mer sablonneuse
courir sur tes affaires.

Nouvelles de l'étranger :
Nous avons eu aujourd'hui un temps
un peu meilleur que le temps perdu.
Mais moi que les petits progrès
épuisent je ne l'ai pas essayé.
On a encore fêté l'anniversaire hier
du dimanche, invivable tous les six jours.
On a trouvé un phare, on a perdu son sens
avec les brisants.
Ta démission est acceptée.
Dommage.
Tu avais tant à perdre encore ici.





dimanche 18 décembre 2011

Vous aimez le gaz, vous ?

Avant-hier, je titrais "C'est foutu" pour parler un peu du Tampographe Sardon et montrer ses délicieuses gaufrettes déprimantes. Les productions et les écrits de Sardon sur son blog produisent en moi le même genre d'effet que la prose de Cioran, dont j'avais découvert à l'adolescence les Syllogismes de l'amertume. J'avais adoré. C'était d'une noirceur quasi absolue, mais l'humour et la verve, le bonheur de langue et le ciselé des formules emportait tout, et finalement vous détournait de ce à quoi on aurait pu penser que ce genre de textes ne pouvait que vous entraîner : le suicide. Cioran lui-même aimait à dire que certaines personnes l'avaient remercié d'être tombées sur un de ses livres à un moment difficile de leur vie  : elles en avaient trouvé contre toute attente des ressources pour continuer à vivre.
Aujourd'hui, après passage à la médiathèque, j'ai lu le dernier roman, court (120 pages), de Philip Roth, Le rabaissement. Le titre augure bien du propos : cette histoire d'un acteur flamboyant qui du jour au lendemain perd toute sa magie, et ne parvient plus à jouer, devient lamentable et ridicule (une prémisse que j'ai de la peine à avaler, car un grand acteur, même s'il perd son génie, sa fraîcheur, sa capacité d'invention, s'en sort toujours plus ou moins par son métier, mais passons), cette histoire est une descente dans les ténèbres, expression de la quatrième de couverture qui d'ailleurs, faisant fi du suspense, raconte presque tout. La solitude au bout du compte, et le suicide quand il finit par se faire larguer par l'ex-lesbienne avec qui il jouait les Pygmalion. C'est sec, vigoureux, nettoyé à l'Ajax. Pas de tendresse pour le personnage, on ne peut pas accuser Roth de tomber dans le sentimentalisme. Mais l'absence de toute poésie me gêne (il me semble que je n'avais pas ressenti un tel malaise dans l'autre petit roman de lui que j'ai lu l'an dernier, Un homme, et pourtant ce n'était pas non plus la joie ce bouquin-là).
J'ai lu les critiques de Télérama et des Inrocks. Elogieuses, forcément, mais elles ne m'ont pas vraiment convaincu. Il s'y déploie une sorte de rhétorique un peu creuse. Nelly Kapriélan finit par ces mots :
On ne lit pas Philip Roth pour sa joie de vivre - on le lit parce que ses livres sont sexuels, car, comme le sexe, tiraillés entre plaisir et inquiétude, purs moments où l'on se confronte à l'éclat jouissif, blessant, de la vérité alors que l'on tentait de se perdre.
Je veux bien qu'on m'explique l'éclat jouissif, blessant, de la vérité alors que l'on tentait de se perdre. Faut-il comprendre que le sexe, en libérant un flux de plaisir masochiste, nous dépouille de nos illusions ?


Bon, toujours est-il qu'à propos de suicide, je trouve dans une chronique de Rue89 sur la mort de Roland Dubillard (évoquée dans Les Misérables 62), cet extrait jubilatoire d'un des Diablogues : le suicide de Georges.

« UN –Vous aimez le gaz, vous ?
DEUX- Oui, j'aime bien. A chaque fois que je veux me suicider, j'ouvre le gaz en grand.
UN- Et ça vous réussit ?
DEUX –Assez bien, oui. Mais ma femme ne peut pas supporter l'odeur du gaz, alors elle le referme tout de suite. Et puis elle me dit : toi, tu t'en fiches , mais qui c'est qui qui paiera la note du gaz ?
UN- C'est vrai qu'un suicide au gaz ça doit revenir cher. »

jeudi 15 décembre 2011

C'est foutu

De temps en temps, pour se requinquer, faire un tour sur le blog du Tampographe Sardon.



Bel entretien ici.

lundi 12 décembre 2011

Portico Quartet

Depuis l'été 2010, cette musique de ce quartet m'accompagne.Un envoûtement.

vendredi 2 décembre 2011

Seul avec les géants

Hier soir, à l'Apollo, seul, absolument seul, pour voir le film de Bouli Lanners, Les Géants. Singulière sensation de ce cinéma juste pour soi, cette vaste salle dont j'occupai à peu près le centre géométrique. Le projectionniste invisible, que je rencontrai à la sortie, me dit n'avoir pas vu le film. Qu'avait-il fait après avoir lancé les bobines ? Fumé sa clope dans la courette de l'entrée ? Lu ses mails dans le bureau ? Discuté le coup avec E. qui tenait la caisse ? Ces images n'avaient donc été que pour moi. Le film était-il si austère et si ennuyeux pour que le castelroussin s'en détourne aussi radicalement ? Non, pourtant. Je crois plutôt qu'il n'a bénéficié d'aucune promotion, que ce n'est pas une comédie, et pas non plus un film intello, que c'est un film belge mais que Poelvoorde ne joue pas dedans, que c'est l'histoire de trois ados en rupture de famille, trois garnements lâchés dans un monde de brutes, et que les adultes se foutent des histoires d'ado et que les ados ne foutent  les pieds à l'Apollo que traînés par leurs profs. C'est en tout cas trois jeunes acteurs étonnants de justesse et de fraîcheur, trois incarnations wallonnes d'Huckleberry Finn. C'est une sorte de conte, cruel et sanglant comme les vrais contes, salubre et joyeux comme les vrais contes.