mardi 23 octobre 2018

Trees and snakes

Nunki Bartt m'écrit : "Après la vision du petit film sur l' Ankerwycke yew, je me suis rappelé l'arbre de Sleepy Hollow (le film de Tim Burton), qui abrite le cavalier sans tête et son cheval. C'est exactement dans ma mémoire (qui est aussi très faillible) le même genre de tronc très noueux, ligneux duquel le cavalier sans tête s'extirpe pour aller décapiter ses victimes scrupuleusement choisies. On sait que Burton situe l'intrigue de son film quelque part au royaume d'Angleterre,ainsi que la légende imaginaire de Sleepy Hollow. A t-il pensé au fameux Ankerwycke yew, ce vénérable millénaire ?"

Toujours prendre au sérieux les réminiscences de Bartt, le cheval fou de son imaginaire nous mène souvent en des domaines mal soupçonnés. Suivons sa trace. L'arbre de Sleepy Hollow, film sorti en 1999, à l'orée redoutée du deuxième millénaire, le voici :


La chercheuse Alice Vincens, dans une belle  analyse* autour de cet arbre de la mort, écrit que sa figuration "mêle les métaphores et les genres : l’arbre est minéral, sculpture tourmentée dont la contorsion renvoie à la torsion des corps torturés qui peuplent l’univers baroque, dont la poétique s’accorde au vertige des points de vue et à la torsion de la matière. En outre, ses racines ressemblent tantôt à des vagues pétrifiées lorsqu’elles sont au repos, tantôt à des serpents ou des tentacules lorsqu’elles s’animent et se soulèvent pour la sortie du cavalier sans tête : l’arbre devient alors animal fantastique, monstre mythique." Pour autant cet arbre est-il un if ? Alice (un prénom cher à Bartt) ne répond pas, elle ne le spécifie à aucun moment. Pure création de studio, cet arbre semble échapper à la nomenclature, seul le critique Philippe Azoury, à ma connaissance, en parle à l'époque dans Libération **(9 février 2000) comme d'un chêne : "C'est un arbre, chêne souverain, surgi du film dans un état nervalien de rêverie supernaturaliste (...)"On n'est pas forcé de le croire.

A peine avais-je fini, de bon matin, de répondre par courriel à Bartt que, m'enquérant du nouveau film déposé à minuit par Mubi sur la plateforme, je fus saisi par le titre qui s'affichait :


Il s'agit d'un court métrage, sans commentaire, qui mêle dessins d'architecture autour du Churchill College de Cambridge et plans de paysage ou d'animaux interférant avec les bâtiments. Un hibou et surtout un serpent se glissent dans le montage. Évidemment la vision du reptile épousant le tronc d'un bouleau ne pouvait que me renvoyer tout à la fois aux racines ophidiennes de l'arbre des morts et au rituel des serpents dans le pays Hopi.


Sur cette association de l'arbre et du serpent, je finirai par cette citation de Bachelard donnée en note par Alice Vincens :
"Gaston Bachelard montre comment « l’arbre appelle une participation à un univers. C’est une image qui nous grandit. L’être rêvant a trouvé sa véritable demeure. Du fond de l’arbre creux, au centre du tronc caverneux, nous avons suivi le rêve d’une immensité ancrée. Cette demeure onirique est une demeure d’univers » (La Terre et les rêveries du repos, op. cit., p. 118). Plus inquiétante est la référence qu’il donne du texte de G. Kahn Conte de l’Or et du silence : « L’Homme (…) arrive devant un arbre immense, de ses feuillures des lianes agiles descendent (…). On dirait que des serpents dardent leurs têtes vers lui, mais bien au-dessus de sa tête. Il lui semble que d’une longue crevasse au centre de l’arbre une forme se détache et le regarde. Il y court ; plus rien, que la cavité profonde et noire… » (p. 252)." [C'est moi qui souligne]

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* Alice Vincens, « L’arbre de la mort », Entrelacs [En ligne], 6 | 2007, mis en ligne le 01 août 2012

** Je fus surpris en voyant l'heure de publication en ligne de l'article : 22:22. Je retrouvais exactement cet horaire de 22:22 enregistré comme coïncidence dans l'article du 9 octobre, The doors of perception.


Croyez bien que je ne croise pas le nom de Philippe Azoury tous les jours, et c'est une litote. Or il m'est apparu une deuxième fois ce même jour, et c'était dans la présentation sur Télérama du documentaire Jim Jarmusch, poèmes sur pellicule, de Stefan Cornic (j'aurais adoré le voir mais c'était sur Ciné+Emotion). Il me plaît de voir incidemment Jarmusch se mêler à cette nouvelle intrication (et là aussi Nunki Bartt n'est pas loin).


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