lundi 27 août 2012

Exploration par marche au hasard

Difficile de revenir, de reprendre pied dans ce petit coin de réalité après la grande déferlante théâtrale, difficile de trouver un point d'appui, un angle d'attaque quand, en somme, ne vous taraude que le besoin d'écrire, sans savoir vraiment quoi écrire. Tais-toi, dirait l'autre, si tu n'as rien à dire. Cela semble tellement évident, mais ce n'est pas si simple, car si j'ai quelque chose à dire, ce quelque chose ne m'apparaît pas clairement, il est au bout de mon chemin d'écriture, dans une pénombre encore inexplorée. Et c'est bien l'espoir de rejoindre ce quelque chose qui sera pour moi-même une surprise, c'est cet espoir-là qui me conduit à cet effort, même si je sais qu'il est souvent déçu.

Partons donc de l'une des lectures de ce mois d'août, du livre le plus récemment dévoré, Théorème vivant (un lapsus a failli me faire écrire "Testament vivant", et j'en frémis presque après coup, ne voulant pas plus que ça interroger ce que cela révèle de trouble dans mon inconscient), le récit du mathématicien Cédric Villani, qui, depuis la Médaille Fields qui lui fut décernée en 2010, a réussi à maintenir sur lui l'attention des médias (toutes proportions gardées, car un mathématicien même auréolé internationalement sera toujours moins connu par le grand public qu'un people starisé par la télévision - par exemple, Google affiche 136 000 résultats pour Cédric Villani quand il en affiche 821 000 pour Eve Angeli, dont le QI doit être inversement proportionnel à l'avance de notoriété). Et l'on pourrait malgré tout s'en agacer, si le bonhomme, qui a bien compris la logique médiatique et se prétend lui-même la Lady Gaga des maths, avec un look tout à fait singulier, le plus souvent lavallière et broche en araignée, n'affichait pas en même temps une sorte de fraîcheur désarmante, un enthousiasme communicatif devant les beautés de la science.



Cédric Villani ou la poésie dans l'équation par telerama

Son récit, selon ses propres mots, "suit la genèse d’une avancée mathématique, depuis le moment où l’on décide de se lancer dans l’aventure, jusqu’à celui où l’article annonçant le nouveau résultat - le nouveau théorème - est accepté pour publication dans une revue internationale. Entre ces deux instants, la quête des chercheurs, loin de suivre une trajectoire rectiligne, s’inscrit dans un long chemin tout en rebonds et en méandres, comme il arrive souvent dans la vie. "


Ce qui est très surprenant avec ce livre, c'est que d'une part il lève le voile sur une discipline, un monde, finalement très mal connus du grand public, en en montrant l'aspect proprement humain à travers les sinuosités de la recherche, les sentiments qu'elle développe sur un spectre très large allant du désespoir à l'illumination, et, d'autre part il est tout à fait étranger à l'idée de vulgarisation, rempli qu'il est de formules mathématiques incompréhensibles pour le commun des mortels. On n'en sait guère plus long à la fin du bouquin sur la mécanique des fluides, mais on a approché d'un peu plus près le mystère de la génération de la théorie mathématique. J'aime cette idée d'une approche non linéaire, qui fait confiance au hasard, comme Cédric Villani le rappelle à la page 201 du livre :

"Dans les années 1950, une révolution scientifique s'est produite quand on a compris que, pour explorer un système trop riche en possibles, il est souvent préférable de s'y déplacer au hasard, plutôt que le quadriller méthodiquement ou d'y choisir des échantillons successifs de manière parfaitement aléatoire. C'était l'algorithme de Métropolis-Hastings, c'est aujourd'hui tout le domaine des MCMC, les Monte Carlo Markov Chains, dont l'efficacité déraisonnable en physique, en chimie, en biologie, n'a toujours pas été expliquée. Ce n'est pas une exploration déterministe, ce n'est pas non plus une exploration complètement aléatoire, c'est une exploration par marche au hasard."
Ce passage a produit sur moi comme un effet  libératoire, comme s'il justifiait après coup ma propre démarche erratique dans presque tous les domaines. Je note qu'il distingue l'aléatoire et le hasard, ce qui peut sembler surprenant à première vue, mais je le comprends en tant que le hasard fait intervenir l'intuition, cette voix intérieure qui vous dit d'aller ici ou là, alors même qu'aucune démonstration ne peut être faite du bien-fondé de votre décision. C'est l'intuition qui guide, appuyée sur une "ferme croyance en la recherche d'harmonies préexistantes" (p. 147), et c'est là aussi une des leçons de ce récit, c'est le soupçon d'harmonies cachées qui motive la recherche, en tout cas celle de Cédric Villani, en profondeur.

On peut encore retrouver le curieux animal (ses compagnons de l'ENS l'avaient surnommé le Marsu) sur France-Culture.

Image finale qui n'a rien à voir en apparence, une porte de grange sur le plateau de l'Aubrac, avec son massif encadrement de granit, et deux petits chats tigrés apparaissant au fenestron. Fragilité et jeunesse contrastant avec la rusticité minérale des lieux.

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