Yekta affirme voir chaque jour sa mère dans une petite barque, comme celle qu'elle a un jour empruntée pour ne jamais revenir. Personne ne la croit, bien sûr. Sauf, peut-être, un vieil homme à l’œil crevé, sorte de gardien d'une église abandonnée.
Quand Yekta fait un rêve étrange, et alors qu'elle a demandé à l'une de ses tantes de lui en donner le sens, lui affirme que "Le rêve n'est que pour le rêve."
Je n'ai pas tout compris dans ce film, et même je n'ai pas cherché à tout comprendre, je ne suis pas certain qu'il faille chercher à tout comprendre, et que tout même soit compréhensible, car si l'on s'accorde un moment à penser qu'en effet le rêve n'est que pour le rêve, alors le film n'est peut-être aussi que pour le film, les images qui le traversent, les sons qui le constellent, sont des sensations, des beautés, des émotions à saisir sur l'instant, et à emporter avec soi, à laisser filer en soi, irriguant on ne sait quelle partie de nous-mêmes. Dans cette histoire dramatique, curieusement c'est alors une joie, j'allais écrire presque surnaturelle mais c'est peut-être trop dire, qui nous étreint.
Hier soir, le poème 34 de Dixième poésie verticale de Roberto Juarroz m'apportait un singulier écho à ce plan de Reha Erdem :
Recuperar figuras del sueñoRécupérer des figures du rêve
como quien gana terreno al mar
y fundar en esa minima playa
el temblor de un pequeño poema
Devolver luego el sueño al sueño
y cerrar el circuito,
porque el sueño no puede estar mucho
afuera del sueño
(...)
Comme on gagne des terrains sur la mer
et fonder sur cette plage minimale
le tremblement d'un petit poème
Puis rendre le rêve au rêve
et fermer le circuit
car le rêve ne peut pas rester longtemps
hors du rêve
(...)
Rendre le rêve au rêve, aussitôt le désir me vint de redire cela ici, sur Alluvions, pour diffuser cet écho, quand bien même un seul être y serait sensible, et même si personne, oui, même si.
Résonance encore cette écoute de hasard, dans la voiture m'en retournant chez moi, je capte les deux minutes de poésie sur France-Culture, l'Art poétique de Guillevic, qui dit si bien l'ignorance de celui qui se met à écrire, qui écrit pour ouvrir une porte mais ne sait pas à quel moment se produira cette ouverture.
Et aujourd'hui, ces mots dits par Danièle Lebrun :
J'ai l'habitude
De me considérer
Comme vivant dans les racines,
Principalement celles des chênes.
Comme elles
Je creuse dans le noir
Et j'en ramène de quoi
Offrir du travail
A la lumière.