mercredi 4 décembre 2013

Le rêve n'est que pour le rêve

Grâce à l'application Mubi à laquelle je me suis abonné récemment, j'ai découvert le cinéaste turc Reha Erdem, à travers son film Oh, Moon (A ay en turc). Film déroutant, hypnotique, au noir et blanc superbe et aux plans fascinants. Histoire de Yekta, une adolescente orpheline, élevée par ses deux tantes dans une vaste maison inachevée, sur les rives du Bosphore.


 

Yekta affirme voir chaque jour sa mère dans une petite barque, comme celle qu'elle a un jour empruntée pour ne jamais revenir. Personne ne la croit, bien sûr. Sauf, peut-être, un vieil homme à l’œil crevé, sorte de gardien d'une église abandonnée.
Quand Yekta fait un rêve étrange, et alors qu'elle a demandé à l'une de ses tantes de lui en donner le sens, lui affirme que "Le rêve n'est que pour le rêve."


Je n'ai pas tout compris dans ce film, et même je n'ai pas cherché à tout comprendre, je ne suis pas certain qu'il faille chercher à tout comprendre, et que tout même soit compréhensible, car si l'on s'accorde un moment à penser qu'en effet le rêve n'est que pour le rêve, alors le film n'est peut-être aussi que pour le film, les images qui le traversent, les sons qui le constellent, sont des sensations, des beautés, des émotions à saisir sur l'instant, et à emporter avec soi, à laisser filer en soi, irriguant on ne sait quelle partie de nous-mêmes. Dans cette histoire dramatique, curieusement c'est alors une joie, j'allais écrire presque surnaturelle mais c'est peut-être trop dire, qui nous étreint.

Hier soir, le poème 34 de Dixième poésie verticale de Roberto Juarroz m'apportait un singulier écho à ce plan de Reha Erdem :
Recuperar figuras del sueño
como quien gana terreno al mar
y fundar en esa minima playa
el temblor de un pequeño poema

Devolver luego el sueño al sueño 
y cerrar el circuito,
porque el sueño no puede estar mucho
afuera del sueño 
(...)
       Récupérer des figures du rêve
       Comme on gagne des terrains sur la mer
       et fonder sur cette plage minimale
       le tremblement d'un petit poème

       Puis rendre le rêve au rêve
       et fermer le circuit
       car le rêve ne peut pas rester longtemps
       hors du rêve
       (...)

Rendre le rêve au rêve, aussitôt le désir me vint de redire cela ici, sur Alluvions, pour diffuser cet écho, quand bien même un seul être y serait sensible, et même si personne, oui, même si.
Résonance encore cette écoute de hasard, dans la voiture m'en retournant chez moi, je capte les deux minutes de poésie sur France-Culture, l'Art poétique de Guillevic, qui dit si bien l'ignorance de celui qui se met à écrire, qui écrit pour ouvrir une porte mais ne sait pas à quel moment se produira cette ouverture.
Et aujourd'hui, ces mots dits par Danièle Lebrun :

J'ai l'habitude
De me considérer

Comme vivant dans les racines,
Principalement celles des chênes.

Comme elles
Je creuse dans le noir

Et j'en ramène de quoi
Offrir du travail

A la lumière.


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