mercredi 20 mars 2019

Sans toi(t)

Lundi soir, j'étais donc devant le poste pour la soirée d'Arte consacrée à Agnès Varda. J'ai revu Sans toit ni loi, avec Sandrine Bonnaire dans le rôle de Mona, la routarde qui finit tragiquement, morte de froid dans un fossé du Midi (et j'ai songé que le titre de ce film - détournement d'une expression bien connue - faisait aussi écho à la chanson de Michel Legrand interprétée par Corinne Marchand dans Cléo de 5 à 7 : Sans toi). Impossible de trouver un extrait vidéo du film sur You Tube, mais voici au moins la version chantée* :


Et si tu viens trop tard
On m'aura mise en terre
Seule, laide et livide
Sans toi, sans toi, sans toi
Dures paroles qui semblent annoncer le destin de Mona la vagabonde, la solitaire.

La chanson se situe exactement au mitan du film, où va s'opérer dès lors un renversement : Cléo va quitter sa posture égocentrique de chanteuse yé-yé capricieuse et commencer à regarder les autres, le spectacle de la rue, les petits et grands manèges du monde comme il va.


Cela, Agnès Varda le dit elle-même dans la double causerie qui a suivi le film. Passionnante rétrospective personnelle de sa filmographie, qu'elle n'égrène pas de façon strictement chronologique. Elle parle par exemple très tôt de Cléo, qui lui a donné dès 1962 une stature et une reconnaissance internationale. Et je fus ravi de retrouver les images que je mis ici en ligne quelques heures auparavant, la carte XIII du tarot, la Mort en grande faucheuse, et surtout les sources précises de Hans Baldung Grien qui ont inspiré la cinéaste (que je subodorais mais dont je n'avais pas la confirmation indubitable).


Une autre photo de tournage montre bien la peinture de Baldung Grien présente sur le lieu-même des prises de vue (l'ovale qui l'encadre est de Varda).

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* Une autre vidéo propose un montage photographique de Dimitris Tsaganos sur les paroles de la chanson. Elle met l'accent sur la dimension sensuelle en éludant la noirceur du propos.


L'avant-dernière image m'a tout de même intrigué : elle montre une sorte de tumulus surmonté d'un arbre, s'élevant au-dessus d'une vaste étendue plane


Et cela m'a furieusement rappelé l'ouverture de Sans toit ni loi, avec le premier des treize travellings qui structurent le film. Cette séquence précède immédiatement la découverte du corps de Mona, seule, laide et livide.




On pourrait d'ailleurs pousser plus loin la réflexion : pourquoi Agnès Varda choisit-elle d'ouvrir sur ce paysage, ces vignobles et ce tertre sur la ligne d'horizon ? Les tumuli recouvraient souvent au néolithique des tombes de personnages importants. N'est-ce pas la mort déjà qui s'annonce de concert avec la musique mélancolique de Joanna Bruzdowicz (qui accompagne chacun des travellings) ?

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