Je viens de terminer à l'instant le formidable récit de Robert Macfarlane, Underland. Je ne doute pas qu'il va m'accompagner encore bien des jours, à travers également les échos qu'il a suscités, et dont le moindre n'est pas cet article du 14 janvier 2018, Thirteen years old again. Qui mettait en relation le roman de A.S. Byatt, Le Conte du biographe, et celui de John Burnside, L'été des noyés. Le point commun était ici l'âge de treize ans, qui coïncidait alors avec l'anniversaire de ma plus jeune fille, Violette, formant ainsi une étonnante synchronicité.
Cette boucle temporelle de plus de trois ans m'a conduit à revenir sur ces deux ouvrages, et je me suis alors aperçu que d'autres correspondances pouvaient être observées. Mais pour cela il importe de se pencher plus avant sur le sujet propre de chacun d'eux. Dans Le Conte du biographe, nous suivons les traces de Phineas Gilbert Nanson, jeune universitaire anglais bien décidé à écrire la biographie de Scholes Destry-Scholes, lui-même biographe du célèbre voyageur Elmer Bole. La narratrice de L'été des noyés est Liv, une jeune fille vivant avec sa mère, Angelika Rossdal, artiste peintre, sur l'île de Kvaløya, au nord de la Norvège, Liv qui raconte dès la première page la mystérieuse noyade d'un garçon sans problème, Mats Sigfridsson, dont a retrouvé le canot dérivant dans le détroit de Malangen. Deux autres noyades inexplicables suivront dans ce même été, dont celle d'Harald, le jeune frère de Mats, qui "disparut par une nuit calme, baignée de lune, alors que l'eau était complètement lisse et que le canot - qu'on retrouva à Kvitberg, bien assis non loin de la berge, comme s'il attendait le retour de Harald -, celui-là même qu'avait utilisé Mats, volé au même voisin, était en parfait état". (p. 7)
Or, Phineas, au début de son projet de biographie de Scholes Destry-Scholes, prenant conseil auprès du professeur Ormerod Goode, s'entend dire par celui-ci que tout ce dont il est sûr, "c'est de la façon dont il est mort. Ou probablement mort." :
"Il a reversé du xérès.
"Probablement mort ?
- Il s'est noyé. Il s'est noyé au large des îles Lofoten. Ou du moins un bateau vide y a été retrouvé, à la dérive."[...]
"Les îles Lofoten, vous savez, au large de la côte nord-ouest de la Norvège. Il peut avoir eu l'idée de jeter au coup d'oeil au maelström. Il y a eu un petit entrefilet dans les journaux - je m'en suis souvenu parce que j'avais lu le livre, cela m'intéressait. Les Norvégiens l'ont mis en garde, quand il est parti, contre les courants dangereux. Il faisait une randonnée solitaire, d'après les journaux." (p. 39)
Or, les Lofoten sont une des destinations de Macfarlane, ouvrant la troisième partie de son livre, Ce qui nous hante (le Nord). Il s'y rend pour explorer l'une des grottes ornées les plus reculées de l'archipel, sur une côte nord-ouest entièrement déserte, une grotte dénommée Kollhellaren, ou "Trou de l'enfer". Il explique qu'on peut y accéder de deux façons, soit par voie de terre, en passant par le Mur des Lofoten, une longue crête escarpée, soit "par voie de mer, en contournant la pointe de l'archipel et en traversant le terrible Moskstraumen, l'un des plus puissants systèmes de tourbillons du monde, qui a inspiré à Edgar Allan Poe la nouvelle intitulée Une descente dans le Maelström (1841), où le tourbillon marin est présenté comme l'entrée d'un tunnel menant au centre de la terre." (p. 275)
"On trouve donc, tout proches l'un de l'autre, deux points d'accès au monde souterrain : une gueule de roche et une gueule d'eau, isolées par des montagnes menaçantes et par des flots impitoyables.
"Les humains qui ont produit les œuvres du Kollhellaren, voilà plus de deux mille cinq cents ans, ont pris des risques considérables pour atteindre le site recherché. Avant même de pénétrer dans la grotte, ils ont dû franchir de redoutables obstacles naturels."
Les danseurs rouges du Kollhellaren. |
Il est curieux de lire que le projet de biographie de Phineas lui est peut-être venu en rêvant. Et de quoi rêve-t-il ? De profondeurs souterraines : "Je me suis réveillé un matin en pensant : "Il serait intéressant d'enquêter sur Scholes Destry-Scholes." J'avais le souvenir d'un rêve de poursuite dans des cavernes souterraines pommelées de vert et d'or. De m'être élevé à la surface et d'avoir vu un motif de boules en verre, de flotteurs de filets de pêche, à la surface de la mer, bleus, verts, transparents." (p. 36)
Ces trois livres, de Burnside, A.S. Byatt, et Macfarlane, forment comme une tresse, entrelaçant leurs motifs et leurs obsessions. Je ne cesse de sauter de l'un à l'autre, fasciné par le jeu de leurs résonances. Et l'ombre tutélaire d'Edgar Poe ajoute à cette fascination. Je sens qu'il me faut relire la nouvelle, et que peut-être d'autres échos profonds en jailliront.
Gueule de roche (Photo : Étienne Bailly) |
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