Pour Esmée
Esmée est née ce matin à Lyon, et me voilà donc grand-père pour la seconde fois.
Esmée vient du latin "amatus", "qui est aimé."Je ne doute pas qu'elle le sera, aimée.Et peut-être qu'un jour elle lira ces lignes, écrites le jour de sa naissance, par un aïeul traqueur de hasards objectifs, chasseurs d'intersignes, guetteur de lucioles.
Esmée Marie Eliana. Eliana est un prénom roumain car sa maman, Bristena, est d'origine roumaine, et elle conserve beaucoup d'amour pour ce pays où vit toujours sa grand-mère et une grande partie de sa famille.
C'est pourtant un autre pays de l'Est que je voulais évoquer aujourd'hui. La Pologne. La Pologne dirigée par les nationalistes, et qui conteste en ce moment la primauté du droit européen.
Ce n'est pas de cette Pologne que je veux parler, mais de celle de Roman Opalka. Quand j'ai découvert le récit de Claudie Gallay, Détails d'Opalka, d'autres éléments pointèrent très vite vers cette Pologne. Tout d'abord mon ami Bruno, comédien de son état, me demanda l'adaptation que j'avais tirée en 1996 du conte d'Isaac Bashevis Singer, Les Sages de Chelm. Ou plutôt me redemanda, car il l'avait déjà utilisée il y a plusieurs années pour un de ses ateliers de jeunes.
Ce conte truculent, tirée du plus vieux fond yiddish, j'en avais eu connaissance par le Baroudeur (par ailleurs oncle de la petite Esmée). Je recopie paresseusement le résumé de l'éditeur : "La petite ville de Chelm est gouvernée par un Conseil de cinq Sages aux noms révélateurs, Lekisch le Bon à Rien, Zeinvel le Ramolli, Treitel le Fou, Sender l'Ane et Shmendrick Tête de Bois. Le Sage des Sages, celui qui prend les décisions quand les autres n'arrivent pas à se mettre d'accord, c'est Gronam le Bœuf, qui n'a peur de personne sauf de sa femme. Exemples de décisions prises : déclarer la guerre au village voisin, sans raison aucune, mais pour que les habitants de Chelm oublient un temps la misère qui est la leur. Ou jeûner obligatoirement le lundi et le jeudi afin d'économiser du pain et donc ne plus en manquer les autres jours. Ou supprimer tous les vêtements pour qu'il n'y ait plus ni riches bien vêtus, ni pauvres en haillons... La bêtise des Chelmites est bien sûr pour I. B. Singer le reflet de celle de tous les hommes."
Singer, né en Pologne en 1904, émigra aux Etats-Unis en 1935, où il gagne sa vie à New York comme correcteur au quotidien Jewish Daily Forward. Jusqu'à la fin de sa vie il écrira dans la langue qu'il ne voulait pas laisser mourir, le yiddish. Il reçoit le prix Nobel de littérature en 1978.
C'est d'un autre prix Nobel, la polonaise Olga Tokarczuk, que viendra l'autre résonance. Dans l'édition du 20 septembre du New Yorker, j'ai la surprise de découvrir une fiction de cette écrivaine majeure dont j'ai chroniqué ici même, il y a presque un an tout juste le roman Dieu, le temps, les rivières et les anges.
Cette nouvelle donnée au New Yorker se nomme Yente, histoire d'une vieille femme que certains prennent pour une sorcière. L'illustration de Noam Wiener est magnifique :
Ce nom de Yente m'était familier : dans le conte de Singer, Gronam le Boeuf, le chef du village, n'a peur de personne sauf de sa femme, Yente Pesha. A la fin de l'histoire elle fonde le Parti des Femmes et envoie son idiot de mari faire la vaisselle, et le bougre s'exécute sans broncher plus que ça.
De la petite fille à la vieille dame, d'Esmée à Yente, le monde entier, d'un tintement nouveau, a résonné.
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