Le 18 octobre dans le billet Un nouveau fou à l'Elysée j'ai raconté comment le thème du doublage s'était imposé par trois fois dans mon quotidien. C'est la fameuse règle de trois auquel je me plie le plus souvent, et que je décrivais ainsi le 17 janvier dernier : "Quand un motif, comme ici la prière, surgit lors de mes lectures, se signale par deux fois, je suis en alerte, je me tiens sur le qui-vive, mais qu'une troisième occurrence s'impose, alors là, c'est comme si l'ange était passé, quelque chose demande à être entendu, écouté, compris."
Le lendemain, je me suis rendu à la librairie Arcanes et je suis resté en arrêt devant le livre de Naomi Klein, Le Double, Voyage dans le Monde miroir (Actes Sud, 2024).
Je connaissais Naomi Klein mais n'avais en fait rien lu d'elle, même pas le livre que Pauline m'avait offert en Noël 2019, Plan b pour la planète : le new deal vert. Mais là, soudain, cette coïncidence avec le motif qui s'était imposé la veille. me saisit. J'ouvre le livre, le feuillette, et comprends vite qu'il me faut lire ça sans tarder.
Extrait de la quatrième de couverture :
Imaginez : vous vous réveillez un matin et vous vous découvrez un second moi, un double qui vous ressemble un peu et pas du tout ; un double qui a partagé nombre de vos préoccupations mais qui sert à présent les causes que vous avez toujours combattues.
Cette découverte, Naomi Klein l’a faite à ses dépens : sur les médias sociaux, on la confond avec une certaine Naomi Wolf, ancienne star du féminisme et consultante d’Al Gore devenue, pendant la pandémie de Covid-19, une figure de la droite complotiste.
La confusion s’amplifiant, Naomi Klein se met à filer son double sur Internet et à enquêter sur le phénomène : le moi numérique que nous nous créons sur les réseaux, notre transformation en marques virtuelles, l’IA qui brouille les frontières entre l’humain et la machine, les réécritures de l’histoire, l’extension de l’État de surveillance, la prolifération des deepfakes, les projections ethno-raciales… Tout un monde souterrain de désinformation et de conspirations qui imitent et circonviennent les croyances et les préoccupations des progressistes, un “Monde miroir” qui se nourrit de leurs silences et de leurs échecs. “Ce qui m’est arrivé avec l’autre Naomi, dit-elle, est arrivé plus largement à la gauche ; dans maints domaines, les causes que nous défendions sont désormais dormantes et ont été usurpées, remplacées par des doubles distordus dans le Monde miroir.” Les nations, les cultures, les partis ont aussi leurs doubles, sombres et vertigineux." (C'est moi qui souligne)
Je poursuivais la lecture du livre encore avant-hier dans la nuit, et puis j'apprends au matin la victoire de Trump, confirmant au passage les analyses sans concession de Naomi Klein. J'ai envie d'écrire sur cette catastrophe et, en même temps, je n'en ai pas la force encore. Alors je reprends une autre tâche, la retranscription de Cristal noir, le livre que j'ai commencé à écrire en août 2022, mais que, pour des raisons que je m'explique mal encore, j'ai interrompu. Un blocage soudain alors qu'il ne me restait qu'une trentaine de pages à écrire. Depuis quelques semaines, j'ai décidé de retranscrire à l'ordinateur (tout avait été écrit à la main jusque-là) les 174 pages dont je disposais. Hier j'ai donc continué, et je suis parvenu sur ce passage où j'évoque le dieu Deux, Omeoteotl, évoqué par Pierre Schneider dans Le commencement et la suite (Flammarion, 1994), une fascinante sculpture huaxtèque, sculpture de basalte aujourd’hui conservée au musée de Veracruz :
« Issue d’un cou long et fin, la tête de basalte se divise de part et d’autre de l’arête du nez. La moitié de droite, taillée et polie, montre un visage élégamment stylisé, où survivent des échos du style olmèque. La moitié de gauche est aveugle, plus épaisse aussi, comme une gangue opaque dont on aurait dégagé partiellement un diamant étincelant. Pourtant l’œuvre ne fait pas penser à un travail accidentellement interrompu, pas plus qu’à ces interruptions voulues par Michel-Ange, qui jouent sur le contraste de formes lisses délivrées du bloc informe pour signifier la victoire du sculpteur démiurge sur le chaos. Dans les deux cas, l’achevé refoule l’informe dans les limbes, lui succède ; nous ne sommes pas obligés de les voir ensemble, de les concevoir ensemble. L’œuvre s’est arrachée au néant, elle y replongera, entre-temps elle règne incontestée.
La tête de Veracruz interdit ce regard alternatif. Elle nous somme d’envisager ensemble l’être et le néant, littéralement : tous deux font partie du même visage. Car la pierre tout entière – et pas seulement – et pas seulement sa partie fouillée – a reçu la forme d’une tête. Ordre et désordre sont inséparables. L’ordre véritable, c’est cela et il nous faut le regarder en face, malgré l’horrible frontière où les traits ciselés viennent se déchirer dans les ressacs de la pierre brute. » (p. 132)
Cette tête double était pour moi comme la signature du jour. Et ce matin, écrivant enfin cet article, je décidai, faisant ainsi écho au premier article sur le double, de titrer "Un nouveau fou à la Maison Blanche". Bien qu'il eût été sans doute plus juste de dire "Un fou à nouveau à la Maison Blanche" (Le 7 novembre 2019, cinq ans jour pour jour, je consacrai un article à Franz Xaver Messerschmidt, où il était question de Trump ).
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